Aujourd’hui, le tourisme (et en particulier le secteur de l’aviation) est responsable de près de 9% des émissions mondiales totales de gaz à effet de serre. Le secteur enregistre une augmentation annuelle de 3,5 % des émissions depuis 2009. Une croissance insoutenable pour le climat, selon une récente étude parue dans la revue Nature Communications.
Si pour certains les voyages forment la jeunesse, ils participent aussi à détruire notre nos conditions d’existence. Les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur du tourisme représentent actuellement 8,8% du total mondial des émissions, soit 5,2 Gt annuelles d’équivalent CO2 (CO2e). Un luxe qui coûte cher à la planète.
Un secteur en constante expansion depuis une décennie
Avant la pandémie de Covid-19, le tourisme mondial contribuait déjà à hauteur de 6 000 milliards de dollars au PIB mondial annuel. S’il a connu une diminution ponctuelle de ses activités en 2020, le secteur devrait à nouveau dépasser les 20 milliards de voyages en 2024 selon une équipe de chercheurs menée par Ya-Yen Sun, professeure associée de l’université du Queensland (Australie).
Leur étude, parue le 10 décembre dans la revue Nature Communications, propose une analyse des voyages internationaux et domestiques sur une décennie, au sein de 175 pays. « La réunion de ces sources permet de développer une base de données mondiale complète à partir de laquelle les empreintes carbone du tourisme peuvent être estimées par une analyse des entrées-sorties », explique l’équipe de scientifiques.
« Les principaux facteurs à l’origine de l’augmentation des émissions sont la lenteur des progrès technologiques et la croissance rapide de la demande »
D’après leurs résultats, les causes de l’augmentation vertigineuse des émissions du secteur sont sans équivoque : les gains d’efficacité générés par les avancées technologiques sont loin de contrebalancer la croissance de la demande et la consommation de produits et services touristiques à forte intensité de carbone.
Ainsi, « la croissance de la population mondiale passant de 6,9 milliards à 7,8 milliards au cours de la décennie est un facteur important à l’origine de l’évolution de la consommation touristique », expliquent les auteurs de l’étude. Ensuite, le montant d’argent dépensé pour l’hébergement, la nourriture et le transport lors des voyages n’a cessé d’augmenter au fil du temps. Alors que les dépenses touristiques par habitant s’élevaient à 536 USD en 2009, elles atteignent 672 USD dix ans plus tard, à prix constants.
En parallèle, les améliorations technologiques, loin d’être suffisantes, n’ont entraîné qu’une baisse des émissions du secteur de 0,5 Gt de CO2e. « En comparaison, la croissance des dépenses touristiques a été de 3,8 % par an, confirmant que les améliorations de l’intensité des émissions ont été largement compensées par la croissance de la consommation », détaillent les chercheurs.
« Ces résultats sont corroborés par les compagnies aériennes, les compagnies de croisière et les chaînes hôtelières qui signalent des gains d’efficacité de 1 à 2,6 % par an et des augmentations des ventes de 3 à 7 % »
Voyager, un luxe réservé aux grands pollueurs
À ces différentes réalités s’ajoutent aussi des « inégalités de répartition alarmantes », s’inquiètent Ya-Yen Sun et ses collègues. D’abord à l’échelle des pays, puisque seulement 20 pays les plus émetteurs contribuent aux 3/4 de l’empreinte mondiale du tourisme.
« La trajectoire des émissions du tourisme mondial est dominée par les États-Unis, la Chine et l’Inde, principalement en raison de la taille de la population combinée à la forte croissance de la demande de voyages observée au cours de la période 2009-2019 », expliquent les scientifiques. Ensemble, ces trois pays ont été responsables de 0,9 Gt de CO2e de la croissance nette des émissions, soit 60 % de l’augmentation mondiale des émissions du tourisme au cours de la période étudiée.
Le Top 20 des « super-pollueurs » voyageurs accueille désormais certains pays du Moyen-Orient, comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. La plupart des pays de l’Ouest-européen en font également partie, dont la France qui pèse pour 2,3 % de l’empreinte carbone du secteur en 2019.
Pas tous égaux pour partir en vacances
Au sein de chaque pays, c’est toutefois la prospérité économique des individus qui détermine si les gens voyagent et comment ils voyagent. « Le revenu par habitant est un indicateur clé des émissions dues aux voyages internationaux, mais la répartition des richesses au sein de la population est également très pertinente », souligne Ya-Yen Sun.
« Par exemple, la Chine a enregistré 0,16 milliard de voyages sortants en 2019, ce qui signifie que seulement 10 % de sa population de 1,4 milliard d’habitants ont voyagé à l’étranger. Dans les pays à faible revenu, ce taux est encore plus faible, à environ 3 % de la population », note la chercheuse. L’analyse révèle une grande disparité dans l’empreinte carbone du tourisme par habitant, tant entre les pays qu’au sein de ceux-ci.
« les calculs des empreintes carbone moyennes par habitant par pays masquent la consommation disproportionnée de tourisme et la production d’émissions touristiques à forte croissance par les citoyens les plus riches »
Des inégalités criantes qui ne freinent pourtant pas la croissance du secteur, dont les émissions devraient continuer de croître de 3 à 4% chaque année selon les tendances actuelles. Un défi qui semble « insurmontable » devant la nécessité de s’aligner sur une trajectoire à +1,5°C prévue par les Accords de Paris, selon les auteurs du rapport.
Limiter le tourisme pour sauver le climat : un défi impossible ?
Face à l’échec des solutions technologiques, « la définition de “seuils de volume touristique » pour gérer la croissance de la demande est finalement nécessaire pour freiner la hausse des émissions du tourisme ». Si les scientifiques considèrent qu’une réduction universelle du volume touristique serait inéquitable, ils suggèrent des objectifs différenciés par région et réalité économique.
D’autres stratégies sont de mises en parallèle, telles que la réduction des vols long-courriers, les taxes sur le dioxyde de carbone, les budgets carbone et les obligations en matière de carburants alternatifs.
« Nos conclusions apportent des preuves concrètes que se concentrer uniquement sur les gains technologiques et d’efficacité ne suffit pas à atteindre les objectifs de zéro émission nette », souligne Ya-Yen Sun. Des mesures fortes pour réduire la demande de voyages sont dès lors « nécessaires de toute urgence », et concernent particulièrement les pays à fortes émissions et les voyages aériens long-courriers.
« La définition et la mise en œuvre de seuils de volume touristique seront inévitables dans le cadre de la trajectoire actuelle des émissions si le tourisme doit s’aligner sur les objectifs mondiaux de zéro émission nette », concluent les scientifiques.
– L.A.
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