• ven. Sep 20th, 2024

En optant pour l’austérité, l’État sacrifie la transition écologique


Chaque nouvelle qui tombe plante un petit peu plus le nouveau décor. Après un début de mobilisation du gouvernement pour le climat qui pouvait susciter de l’espoir (hausse de budget, création d’un fonds vert, etc.), les politiques budgétaires semblent désormais devoir s’écrire sous le sceau de la rigueur. Et pour longtemps.

Le ministre des Comptes publics a commencé, en ce début de mois de juin, à recevoir chaque ministre pour préparer le budget 2025. L’austérité devrait être à l’ordre du jour de toutes les discussions, avec un objectif d’économie compris entre 20 à 25 milliards d’euros.

C’est autant que ce qui est en train d’être infligé au budget 2024. Le gouvernement a annoncé début avril le gel de 10 nouveaux milliards de dépenses d’ici à la fin de l’année, après avoir déjà annulé 10 milliards de crédits en février, pour corriger un budget fondé sur des hypothèses trop optimistes. L’effort est donc considérable, notamment pour les politiques environnementales. « On était encore en deçà de ce qu’il faudrait, mais tout de même dans la bonne lignée. Rappeler ces crédits envoie un signal contradictoire », regrette Émeline Notari du Réseau Action Climat.

C’est la politique de rénovation énergétique qui a le plus perdu, dans le premier train de mesures, avec un rabotage de 20 %.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Dans le détail, sur le budget 2024, les économies devraient se chiffrer au total entre 3,2 et 3,4 milliards d’euros pour le ministère de la Transition écologique sur un budget de 41 milliards — qui avait augmenté de 7 milliards par rapport à 2023. C’est la politique de rénovation énergétique qui a le plus perdu, dans le premier train de mesures prises en février, avec un rabotage de 20 %, sur une enveloppe qui était là aussi en augmentation sur un an. De nombreux projets de rénovation devront donc encore patienter. Refroidis également, les espoirs des collectivités locales, en première ligne dans la lutte contre le changement climatique. Le Fonds vert lancé l’an dernier et doté de 2 milliards pour appuyer leurs projets a été réduit de 500 millions en février.

Moins d’argent pour les petites lignes de train

Les infrastructures de transport ont perdu en début d’année 340 millions, qui auraient été précieux pour sauvegarder les petites lignes de trains et les voies destinées au fret. Les investissements dans les énergies renouvelables et la prévention des risques naturels sont affectés, comme ceux de la recherche, ou encore de Météo-France.

La deuxième cure, celle annoncée en avril, est plus difficile à documenter, car elle ne porte pas sur des crédits annulés par décrets mais sur des baisses de frais de gestion. Chaque ministère doit mener sa propre chasse aux millions, notamment avec des suppressions de postes. Des discussions sont par exemple en cours au ministère de l’Économie, selon L’Opinion, pour diminuer les subventions au solaire en restreignant l’accès aux tarifs subventionnés de rachat d’électricité pour les centrales photovoltaïques.

C’est cette opacité que dénonçaient les partis d’opposition à l’Assemblée nationale, lundi 3 juin : le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI) ont déposé deux motions de censure rejetées par les députés. Ils s’insurgent contre le procédé choisi par le gouvernement. La Constitution oblige le vote d’un projet de loi de finance rectificative lorsque les annulations atteignent 1,5 % des crédits prévus.

Les infrastructures de transport ont perdu en début d’année 340 millions, qui auraient été précieux pour sauvegarder les petites lignes de trains et les voies destinées au fret.
© E.B / Reporterre

La cure de février reste juste en dessous de cette limite et le coup de rabot d’avril passe encore sous les radars, ce qui évite pour le moment au gouvernement d’avoir à passer devant le Parlement. « Il va se débrouiller pour que les décrets soient publiés en fin d’année, dans le cadre d’un projet de loi de fin de gestion. Tout ça pour éviter que l’Assemblée discute du budget. Le principe démocratique est bafoué », s’indigne Éric Coquerel, président LFI de la commission des Finances de l’Assemblée nationale.

Cette pression à l’économie vient d’un retournement de la conjoncture économique (croissance plus faible que prévu, déficit public en forte hausse, hausse du coût de la dette publique). Mais le durcissement vient aussi de l’échelon européen et de la fin des années de souplesse budgétaires, pendant et après la crise du Covid.

En avril, les États européens ont choisi de remettre sur pied le pacte de stabilité, cette fameuse règle de rigueur imposant un déficit maximum de 3 % du PIB. « Nous avions une occasion historique de revoir ses conditions, mais il ne s’est rien passé. La France s’est couchée face aux pays frugaux et nous sommes revenus à des règles automatiques dont le gouvernement est un exécutant zélé », dénonce Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

Un temps évoquée, la sortie du calcul des déficits publics de certains investissements dans la transition écologique n’a finalement pas été retenue.

Un plan « impossible » se profile

Sans surprise, donc, la France table pour ces trois prochaines années sur une cure d’austérité particulièrement corsée, dans le document remis comme chaque année à la Commission européenne. Ce sont 50 milliards d’euros qui devront être trouvés entre 2025 et 2027, selon la Cour des comptes. « Comme le gouvernement refuse d’augmenter les impôts, cela doit se faire par des baisses de dépenses. C’est totalement impossible et invraisemblable, tranche l’économiste Henri Sterdyniak. Il faudra faire des ponctions énormes et prendre des mesures brutales. »

Le gouvernement prépare les esprits à des mesures taillant notamment dans les comptes des retraites et de l’assurance chômage. Et il est difficile, dans ces conditions, d’imaginer une hausse rapide et massive des investissements pour le climat, qui devient pourtant cruciale.

Le rapport Pisani-Ferry Mahfouz sur l’impact économique de l’action pour le climat chiffrait l’an dernier le besoin à 30 milliards d’euros par an. C’est un mur d’investissement qui se profile à moyen terme et il a tendance à grossir à mesure qu’on retarde l’échéance, car il est paradoxalement coûteux d’économiser sur les dépenses d’adaptation au changement climatique. « C’est ce qu’a montré la crise de l’énergie, que nous avons subie parce que le parc immobilier est mal isolé, alors que c’était un objectif du Grenelle de l’environnement [en 2007] », pointe Émeline Notari.

Des solutions existent du côté de l’Europe

C’est pour cela, en théorie, que la France travaille à l’élaboration d’une stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, avec « des objectifs et des moyens pour les atteindre », comme l’a encore assuré le Premier ministre, Gabriel Attal, le 28 mars.

Alors comment trouver les milliards qui manquent, pour joindre les actes à la parole dans un contexte contraint ? Des leviers existent au-delà de l’outil budgétaire. La suppression des niches fiscales, subventions publiques ou dépenses de fonctionnement qui alimentent le dérèglement climatique permettrait, pour commencer, d’économiser 67 milliards d’euros, note le Réseau Action Climat.

L’Europe, désignée comme une source du problème, pourrait également être l’endroit de la solution. « Les mesures financées par l’Union européenne ne sont pas prises en compte dans les contraintes budgétaires, souligne Henri Sterdyniak. Les investissements écologiques devraient donc être assumés au niveau européen pour soulager les budgets nationaux. » Le programme de Renaissance, le parti de la majorité présidentielle, pour les européennes du 9 juin contient l’idée d’un « grand emprunt » européen permettant d’endosser ces dépenses. Les listes de gauche y ajoutent la création d’impôts nouveaux : sur les revenus des plus riches (« ISF climatique »), les multinationales et aux frontières de l’UE. Cela suppose que les vingt-sept États membres parviennent à s’entendre, à l’unanimité.



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