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comment une famille lutte contre l’A69


Verfeil (Haute-Garonne), reportage

« On les appelle des écoterroristes, mais ce sont les zadistes qui nous permettent de nous sentir en sécurité ici. » Aux abords de la maison qu’ils louent, à la sortie de Verfeil en Haute-Garonne, Alexandra et Thomas [*] papotent avec leurs nouveaux colocataires. « J’ai aménagé ici en 2013 et j’ai appris par hasard durant le printemps 2020 que l’autoroute allait passer sur notre terrain. J’étais enceinte à ce moment-là et c’était un vrai choc », rembobine Alexandra devant les quelques militants opposés à l’autoroute A69 qui se sont installés sur son terrain. Depuis fin mars, il est devenu une zad.

« Cela m’a fait un bien fou de les voir arriver. Je me demandais souvent ce que je ferais si les machines de NGE [le concessionnaire de l’A69] arrivaient sur le terrain alors que j’étais seule à la maison, surtout avec mon genou en vrac. J’avais vraiment peur », poursuit celle qui est en arrêt depuis plus d’un an après un accident du travail.

Des arbres fruitiers, des saules, des tilleuls, des herbes hautes… La parcelle de 8 000 m² qui borde la maison est laissée en friche depuis que la famille sait que cette terre sera tôt ou tard terrassée et goudronnée. « Autant laisser la nature vivre librement », glisse Alexandra. En rentrant de l’école, son garçon de 4 ans explore cette petite jungle accompagné de ses deux chiens, ses poules et du bouc qui vivent également sur place.

« J’ai aménagé ici en 2013 et j’ai appris par hasard durant le printemps 2020 que l’autoroute allait passer sur notre terrain. J’étais enceinte et c’était un vrai choc », se remémore Alexandra.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Un cadre idyllique alors qu’à quelques mètres de là, cachés par d’imposants arbres, les engins de NGE continuent leur travail. Un pont tout neuf sur lequel s’affairent des salariés est sorti de terre il y a quelques mois et fait désormais partie du paysage. Les champs autour ont été terrassés, laissant une terre nue et poussiéreuse. D’énormes machines bruyantes font des va-et-vient sur ces sols sans vie, parfois recouverts d’une couche de géotextile. Le chantier de l’autoroute A69 en impose lorsqu’on sort de ce village de Haute-Garonne par la route départementale 20 en direction de Castres.

Protégée par une barricade naturelle, la maison de 180 m² que louent Alexandra et sa famille est toujours debout. Une maison qu’ils louent et qu’ils peuvent occuper légalement jusqu’au 1er novembre 2025, comme le spécifie leur bail. Ce sont les derniers habitants sur le tracé de l’autoroute, et un caillou dans la chaussure pour le concessionnaire.

Visite du concessionnaire avant Noël

Fin 2021, le groupe NGE a remporté la concession au terme d’un appel d’offres pour exploiter la future autoroute A69 qui doit relier Verfeil à Castres. Dans la foulée, il s’est mis à exproprier le plus rapidement possible les propriétaires qui se trouvent sur le tracé. En tout, environ 820 personnes, dont de nombreux agriculteurs et leurs parcelles, seraient concernés. Le concessionnaire annonçait détenir 80 % du foncier nécessaire à la construction de l’autoroute fin 2023.

Lire aussi : Expropriation, surveillance… L’A69, un « enfer » pour les agriculteurs

« Une semaine avant Noël, en 2021, nous avons eu la visite d’un salarié de NGE », se souvient Alexandra, qui se fraye un chemin à travers les herbes hautes de son jardin. « On nous a dit qu’on avait un an pour partir. On était seuls, sans conseil, on s’est sentis pris à la gorge. » Cette injonction ne se base alors sur aucune base légale, puisque l’expropriation d’un locataire pour un projet reconnu d’utilité publique, comme c’est le cas pour l’autoroute A69, ne peut se faire que contre une « indemnité d’éviction » et des propositions de relogement.

Le travail des engins et machines sur le chantier entraîne des nuisances sonores et de la poussière alors qu’Alexandra vit à quelques mètres de là.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Une grosse année plus tard, en mars 2023, les travaux de l’autoroute débutaient. Le même mois, la maison et le terrain étaient vendus au concessionnaire. « Personne ne nous a mis au courant. Ni l’agence immobilière ni le propriétaire lui-même. » Un nouvel « intermédiaire » du groupe NGE-Atosca leur a alors rendu visite, et leur a proposé un relogement en HLM, en échange d’un départ rapide. « On vit dans une grande maison avec un jardin énorme. C’est cela que j’ai envie d’offrir à mon fils, pas un petit appartement où il ne pourra plus s’amuser dehors. On paye 800 euros de loyer par mois, et à ce prix-là, on ne trouvera rien d’aussi bien », raconte Alexandra.

Des militants, que l’on appelle des écureuils, sont venus en soutien à la famille en se perchant dans les arbres menacés d’abattage.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Quelques mois après, le chantier entrait dans sa phase active à quelques mètres de chez eux, à la sortie de Verfeil. Depuis, « la maison vibre du matin au soir, de 7 h 30 à 18 h 30. Quand tu te lèves, tu bois ton café, tu fumes ta clope, tout vibre, tout le temps. Parfois, tu te demandes si la maison ne va pas s’écrouler. Je suis ici toute la journée depuis que j’ai eu cet accident au travail, et cela me rend très anxieuse, je suis retournée voir le psychiatre », dit-elle, alors que Billy le bouc joue avec l’un de ses chiens juste à côté.

« C’est parfois compliqué de respirer »

En plus des vibrations, Alexandra souligne également les fortes odeurs dégagées « notamment lorsqu’ils utilisent de la chaux sur le chantier. C’est tellement fort que c’est parfois compliqué de respirer. Quand c’est le cas, même mon garçon se met à tousser quand il joue dans le jardin ».

Ces nuisances s’ajoutent à la pression que subit la famille depuis le début des travaux, selon son compagnon Thomas. « Il y a eu plusieurs survols en hélicoptère, notamment une fois quand on faisait un barbecue dehors. Des demi-tours de voitures de police ou d’engins de chantier juste devant la maison aussi, et en novembre dernier, on a eu un mois entier sans internet puisqu’un câble avait été sectionné par erreur sur le chantier », détaille-t-il. « On a parfois l’impression qu’on est des terroristes, mais ce n’est pas nous qui saccageons la nature, on veut juste vivre tranquille. »

Des militants perchés dans les arbres

En mars 2023, peu de temps avant la fin de la période réglementaire de coupe des arbres, le couple a reçu un courriel d’un nouvel intermédiaire du groupe NGE-Atosca. « On nous a proposé 6 000 euros et un relogement en HLM », détaille Thomas. « 3 000 euros de dédommagement et 3 000 euros pour les frais de déménagement. Il n’y avait aucun papier officiel, aucune garantie, juste un mail. » Contacté par Reporterre, le groupe NGE-Atosca n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews.

Face à ce qu’il estime comme du « mépris », le couple a donc décidé d’envoyer la capture d’écran à des militants anti-A69. « Quelques jours plus tard, des personnes ont sonné à la maison. Ils étaient en baudrier [harnais pour faire de l’escalade] et m’ont expliqué vouloir monter dans les arbres du jardin pour les protéger », raconte-t-elle.

Cette nouvelle zad a été baptisée « Le Verger », en référence aux nombreux arbres fruitiers présents sur le terrain.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Ces « écureuils » se sont ainsi installés sur le terrain d’Alexandra et Thomas et cohabitent depuis fin mars avec la petite famille.

« On ne savait pas du tout comment ils allaient réagir quand on est arrivés chez eux », explique Ed [*], l’un des zadistes qui habitent le lieu. « Alexandra nous a dit que sa famille n’en pouvait plus de mener ce combat seule, ils voulaient se sentir acteurs et arrêter de subir. Tout est fait pour que les expropriés se sentent isolés et démunis face à la machine Atosca. »

Le lendemain, une voiture de police est entrée sur le terrain pour prendre des photos des zadistes présents sur place et questionner Alexandra. « J’ai dit que c’était des invités que j’accueillais chez moi, et c’est le cas », déclare-t-elle en pointant du doigt le portail de l’entrée qui reste fermé depuis cet épisode.

Le concessionnaire souhaite régler le cas d’Alexandra et sa famille au plus vite pour éviter un enlisement de la situation.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Ses « invités » sont désormais ses colocataires. « On a réaménagé leur potager, on s’occupe du jardin, on construit des cabanes dans les arbres, tout se passe bien entre nous et je crois que les animaux n’ont jamais reçu autant de câlins », sourit Ed.

« C’est une lutte écologiste mais aussi sociale »

Sur place pour défendre la nature et les arbres, les zadistes occupent le lieu « surtout pour soutenir Alexandra et sa famille. C’est une lutte écologiste mais également une lutte sociale. NGE-Atosca fait preuve d’un vrai mépris de classe, notamment en leur proposant des sommes dérisoires pour quitter toute leur vie. Cela fait déjà quatre ans qu’ils savent qu’ils doivent partir, et leur courage est incroyable. Pour nous, c’est clair que leur bien-être passe avant l’autoroute », dit Ed. « Le jour où ils s’en vont, on sera quand même là pour défendre la maison, le jardin, le poulailler et les arbres. »

Cette nouvelle zad a été baptisée « Le Verger », en référence aux nombreux arbres fruitiers présents sur le terrain et vient s’ajouter aux deux autres occupations déjà présentes dans le Tarn contre l’autoroute.

Dans le même temps, des négociations confidentielles se poursuivent entre la famille d’Alexandra et le groupe NGE-Atosca. Le concessionnaire souhaite régler ce cas au plus vite pour éviter un enlisement de la situation et tenter de terminer son autoroute à temps, même si les militants anti-A69 pointent d’ores et déjà les nombreux retards du chantier.



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