• mar. Avr 23rd, 2024

L’attentat de Moscou rappelle les liens entre les islamistes et les « nationalistes intégraux » de Kiev, par Thierry Meyssan


Le 22 mars 2024, un commando de quatre combattants a attaqué le public d’un concert de rock au Crocus City Hall de Krasnogorsk (banlieue du nord-est de Moscou), tuant 140 personnes et en blessant 115 autres. Puis, il a incendié le bâtiment.

Le commando terroriste a été arrêté par les Russes alors qu’il tentait de franchir la frontière ukrainienne et que, de l’autre côté, on les attendait. Ils ont été identifiés comme tadjiks. Ils ont avoué avoir été recrutés via internet afin de tuer pour de l’argent. Ils ont assuré ne pas avoir eu de contact avec leur employeur. Pourtant une carte de visite au nom de Dmytro Yarosh a été trouvée sur eux. Yarosh ayant été fondateur de la milice Pravy Sektor, numéro 2 du Conseil de sécurité ukrainien, puis conseiller du chef des armées, les autorités russes ont immédiatement accusé l’Ukraine. Yarosh a démenti l’implication de son pays [1]. Sept complices ont également été arrêtés.

La police antiterroriste russe a torturé les terroristes et a filmé sa brutalité. La télévision publique a montré ces images et les a commentées. La culture russe est à la fois européenne et asiatique. Le peuple russe ne ressent aucune empathie pour des criminels.

Daesh a revendiqué l’attentat coupant court aux accusations d’opération russe sous faux drapeau. Ces terroristes n’étaient pas des fanatiques, mais des professionnels. Ils ne se sont pas immolés en public, mais ont fui, comme ceux qui ont attaqué Paris et Saint-Denis, faisant 130 morts, en 2015, notamment au concert de rock du Bataclan. Ils n’ont donc pas agi par haine de la Russie, mais dans le cadre d’une opération militaire dont les implications stratégiques ont été pensées à l’avance.

Selon la porte-parole du Conseil national de sécurité états-unien, Adrienne Watson, les terroristes de l’État islamique sont les seuls responsables de cette attaque. De nombreux commentateurs ont dénoncé a priori tout amalgame entre l’organisation islamique et les soutiens du gouvernement de Kiev. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a accusé la Russie de s’en prendre à l’Ukraine par réflexe. Pourtant le président russe, Vladimir Poutine, a maintenu ses accusations exclusivement contre Kiev, ignorant Daesh.

Dès 2014 et le renversement du président ukrainien élu, nous avons régulièrement souligné les liens entre les nationalistes intégraux et les islamistes, et particulièrement le rôle de Dmytro Yarosh. Les faits parlent d’eux-mêmes. Nous ne savons pas si les Ukrainiens ont ou non organisé cet attentat, mais il est clair qu’ils connaissaient fort bien les assaillants : les nationalistes intégraux ukrainiens et les jihadistes combattent ensemble depuis trois quarts de siècle.

• Avant la Seconde Guerre mondiale, la Confrérie des Frères musulmans noua des liens avec les nazis contre les Britanniques. À cela rien d’étonnant, tous les mouvements anti-colonialistes de l’époque (y compris l’Indien M.K. Gandhi) se tournèrent naturellement du côté de l’Axe à la recherche d’un allié. En général, ils s’en démarquèrent dès qu’ils eurent vérifié sur place leur racisme. Cependant, la Confrérie bénéficia des subventions du III° Reich durant les années [2] et conserva ces liens durant toute la guerre. Lorsque, à la Libération, les services secrets britanniques et les états-uniens récupérèrent de nombreux dirigeants nazis et les recyclèrent dans leur « guerre froide » contre les Soviétiques, ils récupèrent aussi la gouvernance de la Confrérie des Frères musulmans. C’est donc tout naturellement que la CIA fit travailler ensemble Gerhard von Mende, le spécialiste nazi de l’islam en Union soviétique, avec Saïd Ramadan, le gendre du fondateur de la confrérie. Ce dernier ayant été responsable d’une émission à la radio publique pakistanaise [3], la CIA le plaça à Munich à Radio Free Europe/Radio Liberty. Il y anima une émission pour les musulmans soviétiques et rencontra dans ces locaux Stepan Bandera, leader de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), et son bras droit, Iaroslav Stetsko, l’ancien Premier ministre ukrainien nazi. Ce sont précisément les « bandéristes » (qualifiés d’« ukrainonazis » par le Kremlin, mais se dénommant eux-mêmes « nationalistes intégraux ») qui réalisèrent le coup d’État (« EuroMaïdan ») de 2014 contre le président ukrainien élu Viktor Ianoukovytch [4].

• Dans les années 1970, le milliardaire saoudien Oussama Ben laden participa aux réunions de la Ligue anti-communiste mondiale de Tchang Kaï-Chek etde … Iaroslav Stetsko [5]. Oussama ben Laden était membre de la Confrérie et avait été formé par le frère de Sayyid Qutb, le stratège de la Confrérie et le théoricien du jihad. C’est dans ce cadre qu’il fut choisi par les Etats-Unis pour devenir le chef des moudjahidines en Afghanistan contre les Soviétiques.


• Des Nazis et des islamistes se battirent à nouveau ensemble contre les Russes, lors de la création de l’Émirat islamique d’Itchkérie (Seconde guerre de Tchétchénie, 1999-2000). Cependant, je n’ai pas trouvé de documentation précise sur leur engagement.

Dmytro Yarosh présidant l’alliance des « nationalistes intégraux » ukrainiens et des milices islamistes des Frères musulmans, le 8 mai 2007 à Ternopol.

• Le 8 mai 2007, à Ternopol (ouest de l’Ukraine), à l’initiative de la CIA, les « nationalistes intégraux » d’Autodéfense du Peuple ukrainien et les islamistes de la Confrérie des Frères musulmans créèrent un « Front anti-impérialiste » anti-Russe sous la présidence conjointe de l’émir d’Itchkérie, Dokka Umarov, et de Dmytro Yarosh (qui a depuis reconstitué l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) de Stepan Bandera). Des organisations de Lituanie, de Pologne, d’Ukraine et de Russie participèrent à cette réunion, dont les séparatistes islamistes de Crimée, d’Adyguée, du Daghestan, d’Ingouchie, du Kabardino-Balkarie, du Karatchaïévo-Tcherkessie, d’Ossétie, de Tchétchénie. Ne pouvant s’y rendre du fait des sanctions internationales, Dokka Umarov, y fit lire sa contribution [6].

• De novembre 2013 à février 2014, les nationalistes intégraux ukrainiens firent la « Révolution de la dignité », sous la supervision de la straussienne Victoria Nuland, alors assistante du secrétaire d’État pour les Affaires eurasiatiques. La presse occidentale a assuré que la police du président avait tiré sur la foule. Au contraire, un tribunal de Kiev a établi, par la suite que des tireurs non-identifiés, placés sur les toits, avaient assassiné en même temps des manifestants et des policiers ; une méthode déjà utilisée par la CIA dans de nombreux autres pays pour y déclencher de pseudos-révolutions.

Le leader du mouvement islamiste de jeunesse Azatlik, le Russe Naïl Nabiullin, partit faire le jihad contre les musulmans syriens dans la tradition de la Confrérie. Il rentra alors en Ukraine et participa au coup d’État avec ses combattants [7].

• Selon le New York Times, les bataillons Cheikh Manour et Djokhar Doudaïev, principalement composés de Tchétchènes venus de Géorgie et d’Ouzbékistan et le bataillon Crimée, composé de Tatars, tous s’étant battus contre les musulmans de Syrie, ont été engagés au Donbass par les nationalistes intégraux de Kiev contre les populations russophones [8].

• En août 2015, le leader tatar Moustafa Djemilev fonde à Ankara (Türkiye) la Brigade musulmane internationale pour reprendre la Crimée à la Russie. Il est reçu par le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, qui s’engage à financer ces jihadistes [9]. Cette milice, dépend du Hizb ut-Tahrir, une scission de la Confrérie. Elle réunit des combattants du Tatarstan et de Tchétchénie (Russie), d’Ouzbekistan, d’Azerbaidjan, et de Meskhétie (Géorgie). Elle fut basée à Kherson, mais son rôle se limita à quelques sabotages privant la Crimée d’eau potable et d’électricité, la population tatare se ralliant à Moscou.

• Depuis un mois, indique le Wall Street Journal, une centaine de commandos des forces spéciales ukrainiennes se bât au Soudan pour soutenir le général Abdel Fattah al-Burhan [10]. Ce dernier s’est rendu en Libye, rencontrer l’ancien mufti El-Sadeq el-Gheryani, un chef reconnu des Frères musulmans. Il a également envoyé des commandos se battre pour lui, donc aux côtés des Ukrainiens. Ce sont ces soutiens qui ont permis au général al-Burham de reprendre Karthoum, le 12 mars 2024, aux forces de son rival, le« général » Mohamed Hamdan Dogolo (dit « Hemeti »).

Depuis deux décennies, nous n’avons pas cessé de documenter l’instrumentation des islamistes par les services secrets anglo-saxons. Il n’existe aucune explication convaincante des attentats du 11-Septembre [11], de la guerre contre l’Iraq et des « printemps arabes » [12]. Cette vérité ne sera dure à admettre que pour ceux qui croient que la guerre en Ukraine n’est rien d’autre qu’une agression russe et que les « nationalistes intégraux » ukrainiens se battent uniquement pour leur pays, et dans leur pays.



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