Pontet (Vaucluse), reportage
Dans cet hypermarché du Pontet, dans le Vaucluse, des barquettes se font face. D’un côté, la fraise origine France. De l’autre, la fraise d’Espagne. Presque à moitié prix. Jean-Claude, restaurateur retraité, s’avance vers les étals, le caddie déjà rempli. Il choisit les moins chères, à contrecœur. « C’est un produit médiocre et ça sent moins bon que les françaises, concède-t-il. Mais quand on voit le prix des courses cette année, je préfère faire attention à mon budget. »
Avec la baisse du pouvoir d’achat, la fraise française risque de se vendre moins. « C’est un produit coup de cœur, explique Frédéric Girard, expéditeur et distributeur de fruits et légumes aux Trois Capucins, à Caderousse (Vaucluse). Son prix est plus élevé que la majorité des autres fruits. Elle est donc plus sujette au phénomène d’arbitrage de la part du consommateur. » Pourtant cette année, la fraise tricolore n’a pas pris un euro. Au contraire, la tendance est plutôt à la baisse. Pour pallier d’éventuelles pertes, les centrales d’achats négocient les prix des barquettes, au grand dam des producteurs qui, eux aussi, subissent de plein fouet ce contexte d’inflation.
Une perte de 1 à 2 euros par kilo
C’est le cas de Virginie Fraysse. L’agricultrice vauclusienne est présidente du syndicat de défense de la fraise de Carpentras et à la tête d’une exploitation familiale de dix hectares. La fraise de Carpentras est l’une des premières variétés mise sur le marché. Les serres sont déjà rouges. La récolte a commencé début mars. Un doux parfum se dégage des allées de l’exploitation. Dans le hangar, les saisonniers trient, pèsent et disposent les fraises dans de petits paniers en bois. Il faut faire vite car le petit fruit rouge ne se conserve pas longtemps.
- Avec la baisse du pouvoir d’achat, la fraise française risque de se vendre moins. © Anouk Anglade / Reporterre
Si tout semble se dérouler comme à l’ordinaire, la saison s’annonce pourtant compliquée. Cette année, Virginie Fraysse fait face à une importante hausse des prix. Côté fournisseurs : plants, sacs de culture, gaines… coûtent plus cher. Tout comme le transport de ses produits, l’emballage et l’électricité. « On ne peut pas répercuter cette hausse sur nos prix », explique l’agricultrice, entre deux coups de fil avec des distributeurs. Au contraire, Virginie Fraysse vend ses fraises entre 1 et 2 euros de moins au kilo aux revendeurs par rapport aux années précédentes. À quelques kilomètres de là, Geoffrey Charrasse, lui aussi producteur de fraises à Carpentras, craint de ne rien gagner cette année. « On ne rentre plus dans nos frais, alerte-t-il. Je pense que l’on aura travaillé pour rien. »
- En supermarché, les fraises espagnoles sont vendues presque deux fois moins cher que les fraises françaises. © Anouk Anglade / Reporterre
La vente directe n’a plus le vent en poupe
En plus de la grande distribution, les deux agriculteurs écoulent une partie de leur production en vente directe. Une activité qui leur permet de fixer leurs propres prix, et d’éviter les marges appliquées par les supermarchés. Ces dernières s’élèvent généralement à plus de deux fois le prix d’achat selon les producteurs. Cette année, les clients manquent. La vente directe s’était particulièrement développée pendant le confinement lors duquel la consommation locale était encouragée. Aujourd’hui, seuls quelques clients fidèles continuent de venir directement sur leurs exploitations. « On est sur un contrecoup de la période Covid », lance Virginie Fraysse, et les appels au soutien des paysans démodés.
En mars 2020, les producteurs de fraises et d’asperges avaient été déclarés en situation de crise conjoncturelle avec le confinement et la fermeture des restaurants et des marchés. Le gouvernement avait alors appelé à la consommation locale et demandé aux grandes surfaces de mettre en avant les productions françaises. Les importations, principalement espagnoles, avaient alors baissé de 25 % en mars 2020 selon le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. La publicité mettait en avant la provenance des produits. La campagne avait porté ses fruits, dans une période où le revenu disponible des ménages progressait avec la baisse de la consommation liée aux loisirs.
- Virginie Fraysse, présidente du syndicat de la fraise de Carpentras. Elle fait partie de la quatrième génération de sa famille à cultiver la fraise de Carpentras. © Anouk Anglade / Reporterre
Cette année, les spots publicitaires mettent en avant les produits d’imports premiers prix. L’incitation à la consommation locale est bien loin derrière. « Les années Covid, on aurait souhaité que ça continue », dit Virginie Fraysse. Elle aimerait que le gouvernement les épaule à nouveau. De nombreux producteurs plaident pour une régulation des importations et des marges réalisées par la grande distribution. « Il faut que l’on réinvente nos relations avec la grande distribution, on a besoin d’eux et ils ont besoin de nous, explique l’agricultrice. Mais pour ça, il faut des décisions politiques ».
39 % des fraises sur le marché proviennent d’Espagne
Selon les chiffres du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation datant de 2022, la production nationale annuelle de fraises est estimée à 76 000 tonnes. Elle reste encore largement en deçà de la consommation française de fraises (120 000 tonnes par an). Les fraises importées en France sont principalement espagnoles (à 79 %). En tout, 39 % des fraises sur le marché proviennent d’Espagne. La majorité de ces fraises sont produites dans la province andalouse de Huelva où des pratiques illégales de pompage de l’eau menacent l’écosystème et assèchent le parc naturel espagnol de la Doñana.