Abandon des pistes, statut juridique… Comment préserver les glaciers ?


Bourg-Saint-Maurice (Savoie), reportage

Une vingtaine d’enfants montent sur scène. Un peu timides, ils tiennent dans leurs mains une déclaration dont ils lisent tour à tour quelques lignes. « Hey, les humains, au lieu de nous faire fondre, vous ne voulez pas nous aider ? », récite un écolier. Ils sont membres du conseil municipal des enfants de Bourg-Saint-Maurice et ont clôturé le festival Agir pour les glaciers avec une question qui a tenu en haleine les scientifiques, associatifs, élus, professionnels et habitants : comment protéger les glaciers de leur totale disparition ?

Car il y a urgence. En 1950, à la fin du petit âge glaciaire, on comptait 927 glaciers dans les Alpes recouvrant une superficie de 616 km2. En 2022, ils ne sont plus que 503 pour 212 km2 selon une étude d’Ice&Life.

Afin de ralentir l’inéluctable, il faut d’urgence réduire nos émissions de gaz à effet de serre, comme le rappelle Jean-Baptiste Bosson, glaciologue et organisateur du festival. « 1 g de CO2 émis fait fondre 16 g de glace », précise-t-il. En attendant une stratégie politique nationale qui respecterait l’Accord de Paris, plusieurs initiatives locales ont vu le jour, comme à Bourg-Saint-Maurice.

Bourg-Saint-Maurice ne va pas s’acharner sur son glacier

La commune compte trois glaciers dont le Varet, situé sur le domaine des Arcs. Perché à 3 226 m d’altitude, c’est le point culminant de la station. Il a longtemps fait le bonheur des skieurs qui se lancaient, de là-haut, dans une descente de 7 km.

Depuis les années 1850, le glacier du Varet a perdu 90 % de sa surface et continue de fondre au rythme de 2 à 3 m par an. Sa pente est devenue si raide que seuls les sportifs aguerris peuvent désormais l’emprunter.

Plutôt que de s’acharner à le rendre praticable à coups de bulldozers et de dameuses, la commune de Bourg-Saint-Maurice et la station des Arcs ont décidé à terme d’abandonner cette piste. Une décision qui n’a pas été prise à la légère. « Nous avons fait deux soirées pour partager les données scientifiques sur l’état du glacier avec les habitants et les socio-professionnels. Quand on leur a dit qu’il lui restait entre 10 et 15 ans à vivre, nous avons réussi à obtenir un consensus sur un sujet très clivant », explique Guillaume Desrues, le maire de Bourg-Saint-Maurice.


Le glacier Blanc, dans le parc national des Écrins (Hautes-Alpes), subit une fonte accélérée.
Flickr / CC BYNCSA 2.0 / ro_sch

Il souhaite aujourd’hui aller encore plus loin et instaurer un statut protecteur pour le Varet et les autres glaciers de la commune. « Pendant les six prochains mois, nous allons travailler avec les habitants et les professionnels de la montagne pour imaginer le périmètre et le degré de protection de cette zone. Nous allons écrire l’avenir de ces géants afin que les enfants qui naissent aujourd’hui aient encore la chance d’y poser leur main. »

Pas question pour autant de fermer le téléphérique de l’Aiguille rouge, qui permet d’accéder au Varet et qui est emprunté chaque année par 400 000 personnes. La commune réfléchit plutôt à la mise en place d’un observatoire pédagogique. « C’est l’occasion de faire de la sensibilisation sur ce territoire fragile et sur l’importance de protéger ces milieux », poursuit Guillaume Desrues.

À Tignes, la fin du ski 365 jours par an

Il n’est pas le seul à tenter d’infléchir la politique du ski à tout prix. Trente kilomètres plus loin, la station de Tignes s’interroge, elle aussi, sur l’avenir de ses glaciers, notamment celui de la Grande Motte. Cet endroit mythique, figurant sur le logo de la station, a été longtemps la promesse d’un ski 365 jours par an. « J’ai grandi avec l’idée qu’il y avait des neiges éternelles et qu’on pourrait toujours y faire du ski. On a du mal à se dire que ça ne va pas durer », explique Olivier Duch, l’adjoint au maire de Tignes.

Pourtant, le réchauffement climatique fait des ravages ici comme ailleurs. La Grande Motte a perdu un tiers de sa surface et deux tiers de son volume entre 1982 et 2019. Résultat, la saison de ski se réduit chaque année : 23 novembre 2024 au 4 mai 2025 pour l’hiver dernier.

À terme, Tignes va aussi abandonner le ski sur le glacier. « On ne va pas s’acharner. On ne va pas faire travailler les dameuses à outrance, ou aller casser des congères pour amener de la neige », assure Olivier Duch. Les 4 km2 de sa surface devraient être sanctuarisés. « Nous travaillons sur un projet de requalification de cet espace en créant un projet contemplatif et pédagogique pour sensibiliser sur le réchauffement climatique », poursuit Olivier Duch.


Tignes, station de ski de haute altitude, il y a près de vingt ans.
Flickr / CC BYNCND 2.0 / Anna

Ces initiatives locales peuvent donner l’exemple à l’échelle nationale. Mais elles devront être accompagnées d’outils juridiques et de budgets dédiés comme le rappelle Arnaud Gauffier, le directeur du conservatoire d’espaces naturels de Savoie. « Des statuts de protection en France, il y en a plein. L’objectif aujourd’hui est d’avoir les moyens financiers pour les gérer, les protéger et les étudier avec les scientifiques. »

Or, avec la baisse des crédits consacrés à l’écologie et les attaques à l’encontre du travail de l’Office français de la biodiversité ces objectifs vont être difficiles à atteindre.

Et si on donnait des droits aux glaciers ?

Selon Mountain Wilderness, 62 % des glaciers sont aujourd’hui sont « sous protection forte » (au cœur de parc national ou de réserve naturelle par exemple). Pour les autres, comme le glacier de la Girose, divers outils juridiques pourraient être mobilisés.

Philippe Billet, professeur en droit public à l’université de Lyon et directeur de l’Institut du droit de l’environnement, en a listé toute une série durant le festival. Il propose par exemple de piocher dans le droit européen, avec la directive Natura 2000 ou le règlement sur la restauration de la nature, ou encore dans le droit français, comme le régime des continuités écologiques, celui des réserves naturelles, ou encore des obligations réelles environnementales.

Lire aussi : Grâce aux ORE, ils préservent le vivant sur leurs terres pendant 99 ans

Marine Yzquierdo, juriste de Notre Affaire à tous, a évoqué les droits de la nature comme en Inde, où les glaciers disposent d’une personnalité juridique depuis 2017.


Objectif de cette zad à plus de 3 000 m d’altitude, en octobre 2023 : s’opposer à un chantier de téléphérique sur le glacier de la Girose.
Les Soulèvements de la Terre

Année internationale de la préservation des glaciers

Légiférer à l’échelle internationale, c’est le rêve de Jean-Baptiste Bosson. Le glaciologue propose que la France soit motrice en portant, lors du prochain Congrès mondial de la nature en octobre 2025, la première motion internationale sur la protection des systèmes glaciaires et écosystèmes postglaciaires.

« Les territoires que ces géants de glace, une fois disparus, vont révéler sont déjà visés par l’industrie. En protégeant ces zones, on protège cette nature qui va émerger du retrait glaciaire », espère Jean-Baptiste Bosson.

Préserver les glaciers, ce n’est pas seulement faire plaisir à une élite d’alpinistes chevronnés. C’est avant tout protéger nos châteaux d’eau dont la disparition pourrait totalement bouleverser le cycle hydrique de notre pays. « Aujourd’hui, la fonte de la neige se fait plus tôt dans l’année. Nous avons donc plus de débit en hiver. À long terme, cela posera problème pour la quantité d’eau présente dans les rivières », explique Olivier Champagne, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

Lire aussi : Nastassja Martin : « Il faut repenser collectivement la disparition des glaciers »

De plus, grâce à leur surface claire renvoyant les rayons du soleil — phénomène d’albédo — les glaciers jouent un rôle crucial dans la régulation du climat. Alors qu’une fois fondus, ils laissent un sol sombre qui accélère le réchauffement climatique.

Pour accélérer cette prise de conscience, l’ONU a déclaré 2025 comme l’année internationale de la préservation des glaciers. Un premier pas, estime Jean-Baptiste Bosson. « Les glaciers sont quelque chose qui émerveille et qui permet de rassembler. Nous devons montrer qu’agir pour le commun permet de retrouver de la joie. »



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *