• ven. Sep 20th, 2024

À la découverte du triton crêté, petit dragon des campagnes


Reporterre a imaginé un calendrier révolutionnaire et écologique, pour symboliser un changement d’ère. Noms des mois, noms des jours et éphémérides sont réinventés pour célébrer les écosystèmes et celles et ceux qui les défendent. Le mois de juin a été rebaptisé Triton.


Sort-il tout droit de la préhistoire ou d’un conte fantastique ? Avec son allure de dragon, le triton crêté emmène l’imaginaire dans de lointaines contrées. Et pourtant, avant qu’il ne subisse comme tant d’autres vivants le déclin de son espèce, sans doute, au début du XXᵉ siècle, pouvait-on le croiser à chaque coin de mare. Du moins dans son aire de répartition en France, grosso modo au nord de la Loire.

Il est peu connu du grand public et pourtant facilement reconnaissable : sombre sur le dessus, orange tacheté de noir sur le ventre, petites pattes et longs doigts fragiles. Pour le croiser, disent les naturalistes, il suffit de se poster, à côté d’une mare propice, après la tombée du jour. Ses prédateurs étant diurnes, l’amphibien est nocturne.

Choisissez la période de reproduction, de février à avril — celle-ci a tendance à s’allonger avec le changement climatique. Il ne tardera pas à pointer proche de la berge. Grâce à sa quinzaine de centimètres de long, « avec une lampe puissante, vous le verrez, nous assure Pierre Rivallin, coordinateur Île-de-France de la Société herpétologique de France. Même s’il ira vite se cacher ! »

La nuit, il chasse pour se nourrir : larves, vers, insectes, invertébrés constituent son menu. Le jour, en revanche, peu de chances de le croiser. Il se repose caché sous une souche, une pierre, les épaisseurs d’une haie… L’hiver, pour se protéger du froid, il cherche des abris plus durables tels que des terriers de mulots ou autres petits mammifères.

Un miroir qui reflète la lune

C’est l’impressionnante crête en dents de scie que sortent les mâles lors de la parade nuptiale aquatique qui donne son nom à l’espèce. Autre attribut à ce moment-là, le « miroir », une ligne blanche qui parcourt la queue et « reflète la lune comme pour attirer les femelles », explique l’herpétologue.

Madame pond ensuite ses œufs un à un, les dépose sur des feuilles de la végétation aquatique qu’elle replie minutieusement pour les protéger. L’espèce vivra ensuite, comme les autres amphibiens, les premières étapes de son développement dans l’eau.

Les tritons crêtés ont besoin de mares entourées d’une végétation leur permettant de se déplacer à couvert. Ils affectionnent particulièrement les haies denses.
FrDr / CC BYSA 4.0 / Wikimedia Commons

Le triton crêté ne se reproduit donc pas sans mares, car elles limitent la présence de poissons. « Ils sont les ennemis jurés des amphibiens, car ils exercent une prédation sur les larves et les œufs », explique Pierre Rivallin.

« Autrefois, des mares, il y en avait partout »

« Autrefois, des mares, il y en avait partout car elles servaient d’abreuvoir », dit Olivier Swift, naturaliste qui a notamment coordonné des Atlas des amphibiens et reptiles dans plusieurs départements. « Mais l’essentiel a disparu. Par exemple, au sein du parc des boucles de la Seine normande, il y a 90 % de mares en moins en 100 ans. »

« C’est le triton qui a besoin des plus jolies mares », ajoute Pierre Rivallin. « Il faut absolument de la végétation aquatique [pour que la femelle dépose ses œufs] et donc de la lumière pour la photosynthèse. » Voilà pourquoi celles créées pour abreuver les bêtes dans les prairies dégagées lui conviennent tant.

Des taillis pour varier les gènes

Il vit à proximité de la mare nécessaire à sa reproduction, mais est tout de même terrestre la plus grande partie de sa vie. Il est donc aussi dépendant d’un « maillage de haies dense », rappelle le naturaliste. Les taillis lui permettent de se déplacer à couvert. Autant de voies vitales « au brassage génétique de l’espèce », ajoute-t-il. « Sans cela, on aboutit à des malformations, voire l’absence de reproduction. »

Il lui faut donc beaucoup de haies mais aussi beaucoup de mares pas trop éloignées les unes des autres. « Avec ses toutes petites pattes, sa capacité de dispersion est inférieure au kilomètre », dit-il encore.

Le bocage est donc le lieu parfait de son épanouissement. Le remembrement à partir des années 1960 et la forte diminution des petites parcelles agricoles bordées d’arbres ont affecté notre dragon des prairies. L’arrêt de l’entretien des mares, voire leur comblement et leur remplacement par des abreuvoirs plus modernes, aussi.

« Si l’on regarde sur les quinze dernières années, il n’est qu’en légère diminution », dit Olivier Swift. « Mais si on regarde sur une période plus longue, c’est une espèce qui a énormément régressé depuis le développement de l’agriculture intensive. »

Certes, il n’est pas menacé de disparition, et reste facilement visible à qui veut bien le chercher. Mais il est bel et bien en déclin. Au niveau européen et français, il est protégé. Il est sur la liste rouge des amphibiens de France métropolitaine, classé quasi menacé. En fait, sa situation varie fortement d’une région à l’autre.

Ainsi, paradoxalement, l’Île-de-France est la région où il se porte le mieux, si l’on s’en réfère aux listes rouges régionales. « Il a trouvé refuge dans les milieux forestiers », explique Pierre Rivallin. Mais il est considéré comme « vulnérable » dans des régions pourtant fortement bocagères. En Normandie, par exemple, sa présence a diminué de 30 % entre 1990 et 2018.

30 % de baisse en moins de 30 ans

En Bretagne, entre 1988 et 2014, « les populations présentes autrefois dans le Finistère et le Morbihan [ont] vraisemblablement disparues », constate la revue de l’association naturaliste Bretagne Vivante. Elle ajoute qu’au niveau national, avec son cousin le triton marbré, « les estimations [avancent] une baisse de 30 % de leurs populations françaises en l’espace de seulement 15 à 30 ans. »

Pourtant, en refaire un animal du quotidien de nos campagnes ne serait pas si compliqué. L’animal est tout de même endurant. Notamment, le mucus sécrété sur sa peau le protège plutôt bien des pollutions.

Olivier Swift l’a ainsi trouvé dans des endroits où on ne s’y serait pas attendu. « Dans une mare au milieu de grandes cultures où il y avait même des pneus, j’ai donné un coup d’épuisette, j’y ai trouvé quatre sortes de tritons », se souvient-il. Il raconte avoir aussi souvent fait découvrir les tritons à des agriculteurs qui en avaient plein leurs mares.

De victime de l’agriculture intensive, notre amphibien paléontologique pourrait donc plutôt devenir « l’emblème de la conciliation possible entre agriculture et biodiversité », suggère Pierre Rivallin. « Pour maintenir le triton crêté, il faut des haies et de l’élevage plein air. »



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