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Nouveau Front populaire : comment faire tenir l’union


Il aura fallu quatre jours et quatre nuits d’âpres négociations, depuis dimanche 9 juin, pour obtenir un accord, mais c’est désormais chose faite : jeudi 13 juin dans la soirée, les Écologistes, le Parti socialiste, la France insoumise et le Parti communiste ont annoncé avoir conclu un accord sur la création du « Nouveau Front populaire », en vue des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet prochains. « L’union est scellée », ont indiqué les formations dans une déclaration commune.

Sept mois après l’implosion de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), les bases d’une nouvelle alliance sont donc posées. La coalition entend soutenir des candidatures uniques dès le premier tour, dans chaque circonscription, et va porter « un programme de rupture détaillant les mesures à engager dans les 100 premiers jours du gouvernement du Nouveau Front populaire ».

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Mais le chemin est encore long jusqu’à la victoire. Après une campagne européenne fratricide, où les différentes forces de gauche n’ont pas retenu les coups qu’elles se portaient, l’unité de ce Nouveau Front populaire pourrait vite être mise à rude épreuve. Comment coopérer sans se déchirer, en dépit des sensibilités différentes ? Plusieurs actrices et acteurs de l’intelligence collective et de l’éducation populaire interrogés par Reporterre livrent leurs conseils.

1- Ne pas perdre de vue l’objectif commun : contrer l’extrême droite

En décidant de dissoudre l’Assemblée nationale et en appelant dans la précipitation les Françaises et Français aux urnes, Emmanuel Macron a créé les conditions d’une immense catastrophe. L’extrême droite est aux portes du pouvoir en France, sous la forme d’un parti raciste, antisocial et réactionnaire, fondé en 1972 par des néofascistes, d’anciens collabos et membres de la Waffen-SS : le Rassemblement national (ex-Front national).

Aujourd’hui, seul le front commun des gauches sociales et écologistes paraît à même d’écarter cette menace. Pour que cette union fonctionne, il est essentiel que ses membres « gardent toujours en vue cet objectif commun », estime Youssef Akhzouz, coordonnateur de l’association d’éducation populaire Chouf Chouf.

Qui précise : « C’est parce que ce souhait partagé existe que les membres du collectif vont accepter de faire des concessions, de pactiser avec quelqu’un qui pourrait être un ennemi sur certains sujets, mais devient un allié de circonstance. Si une personne possède une barque et que vous avez les rames pour atteindre l’autre rive, alors la collaboration est riche, et au moins ponctuellement vous pouvez explorer le commun ensemble. »

En restant unie, la gauche déjoue en partie le projet d’Emmanuel Macron, qui misait sur sa désunion après l’implosion de la Nupes et la campagne des élections européennes.

2- Tourner la page des guerres fratricides

Bien qu’acté par un accord, l’édifice du Nouveau Front populaire reste fragile et ses membres sortent de plusieurs mois de querelles, entre la fracture née après l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, les atermoiements du Parti socialiste sur l’A69 ou les désaccords sur l’Ukraine.

« Il y a un temps pour tout, observe Julie Rodriguez, facilitatrice en coopération et en intelligence collective. L’urgence de la situation est telle qu’il faut plutôt, dans un premier temps, se centrer sur ce qui converge, nous relie, pour arriver au but commun qu’on s’est fixé. »

Ensuite, poursuit-elle, « viendra le moment de soulever le tapis. L’enjeu sera alors de définir ce sur quoi il est essentiel d’être alignés ». Et d’accepter, le cas échéant, des désaccords. « Rejoindre l’autre, c’est rejoindre l’endroit d’où il ou elle pense, dit Emmanuelle Faye, accompagnante au sein de l’Université du Nous, qui explore le “faire ensemble”. Même si je ne comprends pas, même si je ne suis pas d’accord, je peux accueillir à quel point c’est important pour lui ou elle. »

Manon Aubry et Jean-Luc Mélenchon au QG de LFI après les résultats du 9 juin 2024.
© Mathieu Génon / Reporterre

Ultimement, la coopération amène alors « à un vrai recentrage, l’émergence d’une nouvelle identité, un passage de la conscience individuelle à la conscience de groupe. Une conscience plus collective et inclusive qui peut accueillir la différence, la reconnaître sans se sentir en danger ». Ces divergences peuvent, par ailleurs, constituer un atout non négligeable auprès des électrices et électeurs : « Elles rendent le collectif peut-être plus à l’image de la société qu’il est censé représenter, et elles permettent de sortir d’un certain entre-soi », affirme Julie Rodriguez.

3- Rêver (et faire rêver) ensemble

Comme lors des élections législatives de 2022, les partis de gauche promettent « un programme de rupture » traçant la feuille de route des 100 premiers jours d’un éventuel gouvernement — qu’ils dévoileront entièrement le 14 juin à midi. Abrogation de la réforme des retraites, augmentation du SMIC à 1 600 euros net par mois, blocage des prix des biens de première nécessité… Une initiative que Youssef Akhzouz juge très importante : « Il faut envisager autre chose qu’être “contre” l’extrême droite et aller vers un projet qui va bien au-delà. Rêver ensemble. »

« Ce n’est jamais une bonne idée, pour une alliance, de se définir une identité uniquement “en contre” », approuve Isabel Gilbert, coach en intelligence collective dans les métiers de la création. Pour elle, il faut créer une identité collective forte en s’appuyant sur des imaginaires divers, positifs et centrés sur le vivant. « Les messages transmis ainsi éveillent le plaisir et donnent envie d’aller de l’avant. »

4- Construire un dialogue avec la société civile

« Front populaire ! Front populaire ! » Depuis le dimanche 9 juin et les résultats des élections européennes, la société civile se mobilise pour que l’union se concrétise. S’assurer que les divergences ne prendront pas le dessus. C’est aussi le sens d’une tribune publiée dans Reporterre, signée par plus de 350 personnalités de la société civile, parmi lesquelles Julia Cagé, Esther Duflo, Annie Ernaux, Didier Fassin ou François Héran.

« Cette mobilisation peut accompagner et soutenir cette union », dit Lydia Pizzoglio, accompagnante à l’Université du Nous. Mais attention, néanmoins, « à ce que cette injonction au résultat n’amène pas les partis à promettre tout et n’importe quoi immédiatement. Si l’on souhaite que le Front populaire soit le point de démarrage d’une construction plus profonde, il ne faut pas non plus aller trop vite ».

La société civile pourrait, en tout cas, être associée à cette union. Une manière d’éviter une erreur de la Nupes : aucun dialogue n’avait été institutionnalisé avec des organisations sympathisantes, comme cela avait pu être espéré à l’époque du parlement de l’Union populaire, lors de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2022.

Le parlement de la Nupes, son héritier, devait rassembler de « nombreuses figures du monde syndical, associatif, scientifique, culturel », et fonctionner comme « un laboratoire de la reconstruction de la gauche ». Il ne s’est, de fait, que très peu réuni, et s’est éteint.

« La question, c’est quel cadre d’échange et quel pouvoir on donne réellement à ces organes-là. Il en faut un minimum pour que leurs membres s’impliquent réellement, et qu’ils aient un réel impact », observe Kevin Vacher, sociologue et praticien de l’éducation populaire.

5- S’accorder sur un Premier ministre au service de l’union

Si le nouveau Front populaire arrive en tête aux élections législatives, qui pourrait être son ou sa Première ministre ? Encore une source potentielle de conflit.

Sur France 2, le 12 juin, Jean-Luc Mélenchon a assuré se sentir « capable » de devenir Premier ministre si l’union des gauches l’emporte. Le tribun insoumis a précisé que « c’est le groupe parlementaire le plus important qui propose[ra] » un nom. D’après la clé de répartition des circonscriptions, officialisée le même jour, ce pourrait bien être La France insoumise, qui dispose du plus gros contingent (229 contre 175 pour le PS).

« Éviter que la plus “grande gueule” s’impose »

Pour Lydia Pizzoglio, il serait préférable de faire émerger, d’ici les élections, un « leader coopératif » : « C’est un leader qui est avant tout au service des autres, qui arrive à favoriser la coopération et à fédérer les talents des autres membres, tout en ayant en tête la feuille de route, la stratégie du collectif. »

Dans l’idéal, juge-t-elle, « avec plus de temps, il faudrait que le collectif puisse définir ce qu’il attend précisément de la personne qui sera amenée à occuper cette responsabilité ». Ensuite, « afin d’éviter que la plus “grande gueule” s’impose, il est possible d’organiser des élections sans candidat », ce qui signifie qu’aucune personne ne se propose volontairement pour le poste, mais que les membres du collectif sélectionnent l’individu qu’ils estiment le mieux qualifié pour le mener à bien. Impossible ? Cette démarche a déjà été utilisée par des listes lors des municipales, avec succès. Et c’est la méthode « la plus sécurisante pour préserver le collectif des égos de ses membres ».



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