• sam. Sep 21st, 2024

Près de Paris, des potagers de nouveau menacés par les tractopelles


Aubervilliers (Saine-Saint-Denis), reportage

Derrière la porte en bois de la parcelle numéro 6, la terre offre de l’origan de Syrie, du concombre arménien, des roses de Damas et du jasmin… Depuis quelques mois, elle donne aussi à Lila, son occupante de 57 ans, un mélange d’amertume et de colère. Voilà trois ans qu’elle cultive ici le souvenir nostalgique de sa jeunesse, en Syrie, lorsqu’elle aidait ses parents aujourd’hui disparus à entretenir 4 hectares de culture. Son jardin, lové sous les silhouettes imposantes des tours du quartier des Courtilières, à Pantin (Seine-Saint-Denis), ne fait qu’environ 250 m2, mais il est « [s]on troisième poumon ».

Las, Lila a appris à la fin de l’année dernière que son minuscule coin de paradis était désigné dans le plan local d’urbanisme (PLU) pour accueillir « un pôle multimodal » — comprendre une ligne de bus, un dépose-minute et une piste cyclable. « Les habitants d’Aubervilliers n’ont pas le droit d’avoir un endroit de verdure pour respirer », peste-t-elle, sous le regard doux de son mari et de son fils, qui coulent une après-midi tranquille à l’ombre d’un petit cabanon installé sur la parcelle. 




C’est la deuxième fois que les jardins d’Aubervilliers, trésor de 7 hectares abritant 262 potagers, sont menacés par les tractopelles. En 2021, ils furent l’un des hauts lieux de la lutte contre la bétonisation en marge de l’organisation des Jeux olympiques. Une Jad, pour « jardin à défendre », s’y était enracinée. Elle fut occupée jour et nuit entre mai et septembre 2021, jusqu’à l’expulsion par la police et le ballet des engins de chantier, ratissant 4 000 m2 de terrain et dix-neuf parcelles. Le lieu avait été désigné pour accueillir le solarium d’une piscine olympique.

« C’est mon troisième poumon », dit Lila, 57 ans, originaire de Syrie.
© Mathieu Génon / Reporterre

Les juges de la Cour administrative d’appel avaient annulé le plan d’urbanisme en raison de son « atteinte à la biodiversité », en septembre 2021 et février 2022. Une victoire, pour les défenseuses et défenseurs des jardins qui se battent depuis afin de remettre en culture le terrain laissé en jachère, pour le moment classé « jardin public » par la mairie. 

Un « pôle multimodal » menace douze parcelles

La menace est ensuite venue d’un projet de gare de la ligne 15 du Grand Paris Express. Après des négociations entre le collectif de défense des jardins des vertus et la Société des grands projets (SGP, ex-Société du Grand Paris), « plusieurs milliers de mètres carrés ont été sauvés », résume Franck [*], de passage sur les jardins baignés de soleil avec son jeune fils. C’était sans compter sur le projet de « pôle multimodal », découvert par les défenseurs des jardins fin 2023 au cours d’un procès qu’ils avaient intenté pour sanctuariser leurs parcelles dans le plan d’urbanisme. Il menace 2 000 m2 de jardins, soit douze parcelles totalement ou partiellement visées.

© Louise Allain / Reporterre

Le 25 avril 2024, leur recours contre le nouveau plan d’urbanisme a été débouté par la cour administrative d’appel de Paris. L’association a décidé de se pourvoir en cassation. Et rouvre donc les portes des jardins pour un pique-nique militant aux airs de veillée d’armes, dimanche 16 juin, pour rendre public son nouveau combat et collecter les fonds pour payer les avocats.

Marie-Caroline, 87 ans, et sa fille entretiennent ce jardin depuis une trentaine d’années.
© Mathieu Génon / Reporterre

À l’entrée du site, Patrick fait des allées et venues. Il passe 2 à 3 heures par jour sur sa parcelle à prendre soin de ses concombres, melons, tomates et courgettes. « Cette année, j’ai tout perdu à cause des limaces », grince le sexagénaire, retraité du BTP, dans un large sourire. Il a appris le jardinage sur le tard, les mains dans la terre, avec l’aide de ses voisins de parcelle. Le jardin lui offre un passe-temps et un lieu de vie. « C’est mieux que de rester dans mon HLM toute la journée », glisse-t-il.

Pliée en deux dans son potager, Maria est soulagée. La parcelle qu’elle entretient avec sa mère Marie-Caroline, 87 ans, depuis une trentaine d’années, n’est menacée ni par les limaces – qu’elle a « traitées » — ni par les pelleteuses. Et elle affiche un rendement insolent. « Je ne vends pas, mais je donne, à tout le monde, à mes amis, aux habitants de mon immeuble… Et je congèle pour ne jamais avoir besoin d’acheter de légumes », assure cette gardienne d’immeuble de 61 ans, qui se rend sur son petit lopin de terre deux fois par semaine.

« Le vivant qui a été détruit ne peut pas être “compensé” »

« Ces jardins sont un îlot de biodiversité et un puits de fraîcheur », vante Ivan, architecte de profession et jardinier du dimanche, qui déambule entre les potagers avec un plan d’urbanisme à la main. « On se sent légitimes, et en phase avec les enjeux actuels, mais nous avons en face de nous des acteurs publics qui continuent de dire qu’il faut artificialiser les sols », souffle Mélanie, une des jardinières qui a perdu sa parcelle en 2021. Elle a retrouvé un nouveau potager, mais son amertume demeure. « Les technocrates nous disent qu’ils “compensent“, mais le vivant qui a été détruit, il ne peut pas être compensé, témoigne-t-elle. Et moi, j’étais triste de perdre cette terre. »

2 000 m2 de jardins, soit douze parcelles totalement ou partiellement visées.
© Mathieu Génon / Reporterre

Contactée par Reporterre, la Société des grands projets estime ces aménagements « indispensables à la bonne desserte du métro du Grand Paris Express » et vante son esprit d’ouverture : « Nous échangeons avec nos partenaires locaux, comme nous l’avons toujours fait, y compris avec les jardiniers. C’est grâce à ce dialogue permanent sur le terrain que la SGP a pu trouver une solution pour réduire l’impact du chantier. »

© Louise Allain / Reporterre



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