Pézenas (Hérault), reportage
Ruban à mesurer en main, Elia Clauzure sonde la profondeur du trou creusé dans la terre rouille. « 1 mètre, c’est exactement ce qu’il faut pour que les espèces se sentent bien ! » pétille la trentenaire, gilet siglé Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) sur le dos. Car cette excavation fraîchement pelletée se transformera bientôt en un nid grouillant de vie : une mare.
À l’heure où certains rêvent de saper la protection des zones humides, cette petite pièce d’eau en cours de création fait figure d’espoir. D’autant qu’elle se niche au creux de parcelles de vignes, en plein cœur du Domaine Monplezy. « Les cultures vont profiter de la biodiversité apportée par la mare », explique Elia Clauzure, qui œuvre depuis quatre ans à réconcilier agriculture et défense de l’environnement.
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À ses côtés, Benoît Gil acquiesce. Il y a dix ans, il a repris les 28 hectares de cette exploitation familiale, déjà passée à l’agriculture bio. « Mes grands-pères cultivaient en conventionnel, ils sont morts tôt, résume-t-il. Pour moi, ça a du sens d’aller travailler chaque matin en regardant les fleurs et les insectes au milieu de mes vignes. »
Mais l’homme n’est pas un « écolo romantique », assure-t-il. Créer une mare revêt pour lui un attrait économique. « Dans un contexte de surproduction, il faut arriver à valoriser nos bouteilles. Quand on explique à nos clients qu’en plus d’être en bio, on favorise la biodiversité, ça leur parle. » En plus du petit étang, le vigneron entretient des haies et laisse des prairies en jachère.
Autre atout de la zone humide, et non des moindres : elle permettra de lutter contre le ver de la grappe, cette chenille vorace accro aux grains de raisin. Comment ? « La mare attire de nombreux insectes, qui eux-mêmes servent de nourriture aux chauves-souris », retrace Elia Clauzure. Et à votre avis, de quoi raffolent les chiroptères ?
« Ce sont des auxiliaires de culture précieuses », ajoute la naturaliste. Autant de raisons qui ont convaincu Benoît Gil de décaisser un bout de champ, avec l’aide de la LPO et de subventions européennes et régionales. « Pour les agriculteurs, c’est une opération au pire “nette”, au mieux bénéfique », insiste Elia Clauzure. En clair : ils n’ont rien à débourser et presque rien à faire.
Grenouilles et libellules en quelques mois
À Monplezy, Elia et Benoît ont d’abord arpenté le domaine, afin d’inventorier les espèces déjà présentes, et identifier les « manques » agroécologiques. Que pouvaient-ils améliorer pour mieux accueillir la biodiversité ? « On s’est vite rendu compte qu’il n’y avait pas de point d’eau », se rappelle le viticulteur.
Une fois le lieu choisi pour la future mare — en bas d’un terrain en pente douce nommé « parcelle du puits » —, Elia a réuni le matériel nécessaire à la construction. Bâche en plastique épais et géotextile pour tapisser le fond et retenir l’eau, petite pelleteuse afin d’excaver la terre. « Il faut créer une diversité de profondeurs qui permettront à différentes espèces de s’installer, en créant des marches, des pentes plus ou moins raides », détaille-t-elle. Nul besoin d’introduire rainettes ou roseaux, bien au contraire : si la mare est accueillante, le vivant viendra prendre sa place « en quelques mois seulement », assure l’écologiste [1].
Pour le chantier, elle a pu compter sur l’aide bienvenue d’une quinzaine de collégiens du lycée agricole voisin de Pézenas, ravis de profiter du soleil hivernal. « C’est fatigant et long de creuser, mais on est contentes, ça va être stylé », se réjouit une adolescente, une pioche à la main. Elle imagine déjà les grenouilles et autres libellules qui peupleront bientôt les lieux.
Du haut de la pelleteuse, Benoît Gil observe l’effervescence collégienne. « Si cette expérience réussit, on fera une dizaine de mares », lance-t-il, joyeux. Mais comment explique-t-il que si peu d’agriculteurs partagent son enthousiasme écologique ? « Les collègues, surtout ceux en cave coopérative, ont des contraintes énormes de rendement. Pour eux, c’est compliqué de penser à la biodiversité, ce n’est pas une priorité. »
Et d’ajouter : « Beaucoup font gaffe à ce qu’ils font, et essayent de faire au mieux. Chacun fait ce qu’il peut, avec ses moyens. » Elia Clauzure préfère aussi voir la mare à moitié pleine : « Il y a quatre ans, aucun agriculteur ne nous connaissait. Maintenant, on travaille avec une trentaine d’entre eux, et j’ai plus de demandes que de temps pour y répondre ! »
Elle aspire ainsi, peu à peu, à retisser des liens entre monde paysan et mondes sauvages. « En un siècle, entre un tiers et la moitié des mares ont disparu, comblées volontairement ou involontairement, souligne-t-elle. Mais quand on voit combien il est facile de recréer ces zones humides, et comment le vivant revient vite, ça donne des raisons d’espérer ! »