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Valérie Pécresse dépense 4 millions d’euros pour éviter les grèves des chauffeurs de bus


4 millions d’euros vont être mis sur la table par Île-de-France Mobilités (IDFM), le gestionnaire des transports en commun de la région parisienne, pour se payer les services d’experts privés et tenter d’éviter les grèves de conducteurs des bus de Paris et sa petite couronne.

C’est le sens d’un discret appel d’offres déterré conjointement par Reporterre et RMC. Les services de la région vont désigner un cabinet de conseil pour « analyser les propositions sociales » des entreprises concurrentes de la RATP et « assurer le suivi de l’exécution des contrats », résume IDFM à Reporterre. Autrement dit, gérer l’épineux dossier du transfert de 19 000 travailleurs de la RATP bus (RDS) à la concurrence. La RATP, qui fait aujourd’hui circuler les bus pour le compte d’IDFM, doit en effet passer la main à une multitude de sociétés de droit privé, en vertu de l’ouverture à la concurrence.

« IDFM se demande quoi mettre dans les appels d’offres et les contrats pour rassurer les salariés qui ont peur de changer de boîte. Cela nécessite un travail avec des avocats spécialistes du droit du travail », décrypte Patricia Perennes, économiste des transports et elle-même consultante.

Un « sac à dos social » inefficace

Le sujet est en effet explosif, comme l’a montré le début du processus. Depuis 2021, les 1 100 lignes de bus de la grande couronne, les départements les plus éloignés de Paris (Seine-et-Marne, Yvelines, Essonne et Val-d’Oise), ont été ouvertes à la concurrence à travers des procédures d’appel d’offres. C’est une politique prescrite par une directive européenne de 2007, censée accélérer la modernisation des transports en commun et minimiser la facture pour les collectivités.

Mais le bilan dressé par les quatre compagnies ayant remporté les vingt-et-un premiers contrats, auditionnées le 28 mai par Île-de-France Mobilités, est catastrophique, voire parfois insoutenable sur le plan financier, avec jusqu’à 20 % de pertes. Ce qui fait craindre aux usagers une dégradation du service.

Cette situation est notamment due à la hausse des prix de l’énergie, une baisse des fréquentations de bus et une pénurie de personnel qui entraîne des perturbations et d’importantes pénalités pécuniaires. Il faut dire que les conducteurs ont la fâcheuse tendance à démissionner au moment où ils doivent changer d’employeur. Exemple en vallée de Chevreuse, où le transfert du contrat de Savac à Transdev a été marqué par le départ des deux tiers des salariés. En cause : une possible dégradation de leurs conditions de travail.

Plus de 500 démissions ont été comptabilisées en 2022 et 2023.
Wikimedia Commons/CC BYSA 4.0/Titou325

La loi prévoit que les agents qui partent à la concurrence conservent un « sac à dos social » (salaire identique, peu ou pas de déménagement, garantie de l’emploi, etc.). IDFM assure vouloir « imposer aux nouveaux opérateurs de maintenir les conditions sociales dont bénéficient aujourd’hui les salariés à la RATP ».

Les négociations sont en cours, mais le « sac à dos social » ne suffit pas à rassurer les agents. Certaines garanties s’éteignent après quelques mois ou années et redeviennent donc négociables dans chaque entreprise. C’est notamment ce qui a causé la grève des salariés de Keolis à Montesson (Yveline) en septembre 2023. Un an et demi après leur transfert de Transdev, ils ont vu disparaître leurs primes et grimper la pression managériale.

« Rien ne remplacera le fait d’appartenir à une entreprise comme la RATP, avec des possibilités de mobilité et d’évolution de carrière, une rémunération et des conditions de travail plus favorables que pour les autres salariés du transport urbain. C’est un métier pénible et comme il est très facile de trouver un travail, les agents s’en vont », résume Jean-Christophe Delprat, secrétaire fédéral RATP chez Force ouvrière.

L’entreprise publique atteint un nombre record de démissions : plus de 500 comptabilisées en 2022 et en 2023, sur 15 000 conducteurs, soit près de quatre fois plus qu’en 2018.

Complexité à tous les étages

Dans ce projet d’ouverture au privé des transports en commun, la complexité est à tous les étages. Le réseau de 315 lignes de bus doit être saucissonné en douze lots et autant d’appels d’offres doivent être bordés juridiquement.

De nombreux litiges sont à prévoir. Toute l’organisation du travail doit être repensée. Les plannings et les contrats refondus. À cela s’ajoute la nécessité, pour IDFM, de s’occuper elle-même de la supervision du trafic et de l’information aux voyageurs, aujourd’hui assurées par la RATP, pour que le réseau morcelé entre douze prestataires conserve une certaine fluidité pour les usagers.

« Un consultant-mercenaire littéralement à demeure »

« Face à cette complexité, les “conseillers professionnels” ont su se rendre indispensables, regrette Jean-René Delépine, qui a suivi pour SUD-Rail le chantier similaire à la SNCF. Cet appel d’offres prouve que le service de pilotage de la mise en concurrence, au sein d’IDFM, ne sait pas fonctionner sans un consultant-mercenaire littéralement à demeure. »

C’est donc principalement le prix de cette prestation qui fait tiquer les syndicats. Les 4 millions d’euros, sur un budget de 12 milliards d’euros tous modes de transport confondus, corsent l’addition de l’ouverture à la concurrence pour IDFM, qui doit déjà racheter une soixantaine de dépôts de bus à la RATP pour les mettre à disposition des futurs opérateurs, ce qui fait bondir l’opposition à la région Île-de-France.

« Au bout du compte, on s’aperçoit que c’est la SNCF, via sa filiale Keolis, qui répond aux appels d’offres, raille Jacques Baudrier, élu d’opposition communiste à la région Île-de-France. À quoi ça sert de dépenser tout cet argent pour organiser la concurrence entre entreprises publiques ? On est chez les Shadoks  », ces êtres qui construisent des machines absurdes et pompent.

La menace d’une grève pendant les Jeux olympiques (JO) avait déjà conduit le gouvernement à ajourner le calendrier de l’ouverture à la concurrence prévue pour fin 2024. La région a désormais jusqu’à fin 2026 pour boucler progressivement les appels d’offres. Viendront ensuite les lignes de RER, les transiliens, les tramways et le métro, pour aboutir à un paysage entièrement libéralisé à l’horizon 2040. En théorie.



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