Si Henri IV invitait à se rallier à son panache blanc — un bouquet de plumes blanches porté sur son casque —, est-ce bientôt à un panache noir de fumée de kérosène que nous pourrons suivre à la trace François Bayrou ?
Alors que le gouvernement Barnier avait arbitré en faveur d’une déjà trop modeste hausse de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), qui aurait rapporté 1 milliard d’euros par an, le Premier ministre, François Bayrou, aurait, selon La Tribune du 15 janvier, cédé au lobbying du secteur aérien, relayé par la droite sénatoriale, et prévu de limiter cette taxe.
À l’issue de la Commission mixte paritaire (CMP) où se débat le budget 2025, la taxe sur les vols intérieurs à l’Union européenne serait limitée à 7,3 € par passager en classe économique, contre 9,5 € dans le projet initial et… 2,63 € actuellement !
Ce recul conséquent coûterait environ 79,7 millions d’euros aux finances publiques selon le Réseau Action Climat, chiffre actualisé à l’issue de la CMP conclusive. Les autres contributions resteraient identiques au projet initial de Michel Barnier : de 7,5 à 15 € pour un moyen-courrier ; de 7,5 à 40 € pour un long-courrier.
Un recul à contre-courant des politiques de nos voisins européens
Rien n’est acceptable dans ce recul envisagé alors que, dix ans après la COP21, à Paris, la France ne respecte toujours pas sa trajectoire de baisse des gaz à effets de serre, en raison notamment de son secteur des transports, médaille d’or des secteurs de l’économie française pour la production de CO₂ et le seul dont les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté entre 1990 et 2022, selon les chiffres du gouvernement lui-même.
Ce recul irait à contre-courant des politiques de nos voisins européens. L’Autriche vient de décider qu’aucun billet d’avion ne pourrait être vendu en dessous de 40 euros. L’Allemagne a mis en place un « ticket-climat » mensuel pour bus et trains à 49 euros.
Après le Paris-Berlin et le Bruxelles-Vienne, le 5 février sera lancé l’European Sleeper, le premier train de nuit transeuropéen qui reliera Bruxelles à Venise. Quel signal enverra le gouvernement aux Français (et à l’Europe) si, au même moment, il recule sur la taxation des billets d’avion sur ces mêmes distances ?
Ce recul irait aussi à contre-courant des efforts budgétaires prônés par le gouvernement. Alors que le transport aérien est fortement exonéré de fiscalité (aucune taxe sur le kérosène, aucune TVA sur les vols internationaux), que les routes françaises, contrairement à tout le reste de l’Europe, n’en supportent aucune (plus de vignette, abandon de la taxe camions, qui aurait rapporté 1,2 milliard d’euros par an), va-t-on se priver de nouvelles ressources pour opérer le nécessaire basculement des transports carbonés vers les transports en commun et les circulations douces ? Il n’y a pas d’argent magique : ce manque-à-gagner sera ressenti par chaque habitant de ce pays.
79,7 millions d’euros, une somme déjà conséquente pour l’adaptation
79,7 millions d’euros, c’est plus de la moitié de ce que paie chaque année, par exemple, la région Hauts-de-France pour l’accès aux voies ferrées, plus que les 65 millions d’euros payés par la région Nouvelle-Aquitaine en 2022, « péages » qui représentent 86 % du prix des billets de TER.
Des redevances plus basses (ou davantage subventionnées comme en Belgique ou en Suisse) permettraient de rendre le train plus attractif financièrement, par rapport à la voiture ou aux compagnies d’aviation low cost, pour les Européenn⋅es et les habitant⋅es des régions. Cela inciterait davantage d’entreprises à se lancer dans les trains de nuit.
79,7 millions d’euros, ce sont des aides à l’adaptation des logements qui s’envolent pour plus de 14 000 personnes âgées en perte d’autonomie (aide moyenne de 5 596 euros en 2024, selon l’Agence nationale de l’habitat (Anah) ou encore les aides à la rénovation énergétique pour plus de 2 000 foyers (aide moyenne de 36 271 euros en 2024, selon l’Anah, permettant en moyenne 65 % de gain énergétique). Depuis 2024, le budget de Ma Prime Rénov’, dispositif phare de la rénovation énergétique des particuliers, sera ainsi passé de 4 milliards en 2024 à… 2,18 milliards aujourd’hui.
79,7 millions, nous qui sommes aussi élue locale ou engagés localement, nous savons que ce n’est pas rien pour les budgets des collectivités locales, menacées par le gouvernement de 2 milliards d’euros de coupes budgétaires dans son projet de budget 2025, alors qu’elles sont les principales actrices de la transformation écologique. Par exemple, 79,7 millions, cela permettrait qu’elles financent 478 kilomètres de travaux de voirie pour des pistes cyclables.
Ne multiplions pas les chiffres. Sauf un : les exonérations fiscales dont profite le secteur aérien représentent, selon le Réseau Action Climat, 9 milliards d’euros par an en France, 4,7 milliards de manque à gagner pour la seule absence de taxation du kérosène. Le taxer d’un milliard ne représente qu’une ponction insuffisante par rapport à cette scandaleuse subvention à la destruction du vivant. Le transport aérien doit assumer ses responsabilités.
Des solutions justes
Il est encore temps pour le gouvernement de prendre le train de l’avenir en marche. Dans ce cas précis, pourquoi ne pas opérer une autre répartition des taxes, en renforçant la hausse sur les longs-courriers, ce qui permettrait de pénaliser les vols les plus problématiques pour le climat ? Ou revenir au moins à la timide version Barnier ? Dans tous les cas, il faut bien sûr veiller à ce que les Outre-mer ne soient pas affectés : soit en les excluant de la hausse, soit en organisant une compensation via des fonds augmentés par cette taxe pour l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité (Ladom).
Monsieur le Premier ministre, vous le voyez, nous sommes constructifs⋅tives et il y a des solutions — et de l’argent, pas magique — pour qui veut les trouver : serons-nous entendu⋅es ? Henri IV portait son panache blanc pendant la huitième et dernière guerre de religion qui l’amena à sa conversion au catholicisme et à son arrivée au pouvoir. Cela devint alors le symbole du ralliement des catholiques et des huguenots au nouveau pouvoir royal, anecdote symbolique que la IIIᵉ République mit en avant dans ses manuels scolaires pour rassembler les Français.
Monsieur le Premier ministre, choisirez-vous le panache noir kérosène de la guerre au vivant ou le panache blanc d’une transformation écologique populaire, qui réunirait et protégerait toutes et tous les habitant⋅es de ce pays, de Pau à Papeete ?
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