Robin, le « Greta Thunberg du football » qui défie la Fifa


Il a traversé l’Europe en train, dix-neuf heures depuis Malmö, en Suède, pour protester devant le siège de la Fifa à Zurich, en Suisse. Les 10 et 11 décembre, Robin Cartier, un Français de 25 ans, s’est posté seul sous un ciel bas, brandissant ses deux banderoles. Sur l’une, accrochée à la devanture en lettres noires et en anglais : « Non à la Coupe du monde 2034 en Arabie saoudite ». Sur l’autre, dans ses mains : « La Fifa tue la planète, les gens et le football ». Pendant ce temps, à l’intérieur, l’organisation officialisait l’attribution des Coupes du monde 2030 et 2034 : la première sera disputée sur 6 pays et 3 continents, la seconde en Arabie saoudite.

« Plus c’est gros, plus ça passe », soupire Robin, attablé quelques semaines plus tard dans un bistrot parisien, avant de reprendre son train vers Malmö. Un peu intimidé, enroulé dans une écharpe jaune de l’Ukraine, il porte fièrement le maillot des Forest Green Rovers, le club anglais réputé pour être le plus écolo du monde. Ses cheveux mi-longs rappellent ceux de Héctor Bellerín, le footballeur végane — qui ne mange et n’utilise aucun produit d’origine animale — du Real Betis Balompié, à Séville. Un hasard ? Pas vraiment, c’est l’un de ses joueurs préférés.


Au siège de la Fifa, «  c’était tendu, mais je savais pourquoi j’étais là  », certifie Robin Cartier.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Aujourd’hui étudiant en master sport et société en Suède, Robin Cartier conjugue son amour pour le ballon rond et son engagement écologiste. Pour lui, le football-business a perdu pied, coupé des enjeux climatiques et des valeurs qui l’ont fait rêver enfant. Ce cheminement, entamé sur les terrains cabossés de la Mayenne, l’a mené jusqu’aux portes de la Fifa, prêt à défier l’organisation qui régit le football mondial.

Contre-la-montre

Robin Cartier a grandi à Sainte-Suzanne, dans la ferme familiale où son père élève des bovins. « J’ai passé mon enfance dehors, à courir après les animaux, à jouer dans le foin », sourit-il. Son rêve d’alors ? Travailler dans un zoo. Mais ce qu’il retient rétrospectivement, ce sont les étés de plus en plus secs, rendant le travail de son père plus difficile. « Ces changements, je les ai vus de près. Ça marque. »

À 6 ans, il a pris sa première licence au FC de la Charnie, le club local. Là, il a découvert le plaisir du jeu, les entraînements avec les copains, l’excitation des matchs du samedi matin. Le terrain évoluait au gré des saisons : pelouse brulée et nuages de poussière en été, boue collante et ballons ralentis en hiver. « Mais on jouait, et c’est tout ce qui comptait », dit-il avec nostalgie. Capitaine parfois, impliqué toujours, excessif à l’occasion. « Je prenais tout à cœur. C’était mon équipe, mes copains. Les arbitres m’entendaient souvent râler. »


Robin Cartier a commencé le football dès 6 ans, dans son club en Mayenne.
© Robin Cartier

Adolescent, il a rejoint le bureau du club et convaincu la mairie d’entretenir le terrain. Peu après, il a monté une équipe de jeunes avec des amis du collège et du lycée. Quand le village a accueilli une cinquantaine de personnes migrantes après le démantèlement de la jungle de Calais, il leur a organisé des entraînements deux fois par semaine. « C’est là que j’ai perçu toute la dimension sociale du football, ce langage universel qui relie les gens. »


Deux fois par semaine, Robin entraînait des personnes migrantes.
© Robin Cartier

Après un bac et une filière Staps, Robin s’est orienté vers le management du sport. Il a vite déchanté : « Tout tournait autour de la rentabilité. Comment gagner de l’argent avec le sport. Ça ne me parlait pas. » C’est lors de sa troisième année à Birmingham, en Angleterre, qu’il est tombé sur le rapport Playing Against the Clock (« Jouer le contre-la-montre ») de David Goldblatt, critique acerbe des émissions de CO2 du football. Une révélation. « J’ai compris qu’il y avait un énorme enjeu à créer des ponts entre le football et la lutte contre le changement climatique. »

Lors de son séjour en Angleterre, il a visité le club des Forest Green Rovers. « Le stade fonctionne à l’énergie verte, la nourriture est végane, même l’éclairage est optimisé. Si ce petit club le fait, pourquoi pas les autres ? »

Poursuivant ses études à Oslo, puis à Malmö, il a approfondi sa réflexion. Ses cours l’ont amené à questionner la Fifa et à envisager des alternatives au modèle dominant. « J’ai découvert à quel point le football mondial est éloigné des valeurs qu’il prétend incarner. » En parallèle, il a entraîné, jusqu’à fin 2024, l’équipe féminine des moins de 17 ans du FC Rosengård, le plus grand club de Suède.

« Le foot ne doit pas appartenir aux multinationales »

L’idée de manifester devant la Fifa a mûri progressivement. Un jour, en classe, une camarade l’a interpelé : « Pourquoi tu n’y vas pas directement ? » Il a alors fondé la Climate Action Football Association, une organisation dédiée à sensibiliser les amateurs de football et à dénoncer les décisions climaticides. Il a publié une lettre ouverte pour expliquer sa démarche.

Deux pancartes, trois trains et une nuit blanche plus tard, il s’est retrouvé seul devant le siège de la Fifa. Quelques passants se sont arrêtés pour échanger. Des supporters marocains, venus célébrer l’attribution de la Coupe du monde 2030, l’ont accusé de gâcher la fête. « C’était tendu, mais je savais pourquoi j’étais là. Trois continents représentés, ça signifie une explosion des déplacements en avion. L’Arabie saoudite, c’est un pays qui se sert du football pour promouvoir le pétrole. »


Il dénonce notamment le partenariat entre la Fifa et le géant pétrolier saoudien, Aramco.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Depuis Zurich, il a participé à des réunions avec Fossil Free Football, un réseau militant européen qui le soutient, destiné à expulser les industriels fossiles du football. « Robin incarne cette frustration grandissante des amateurs de foot face à une institution qui refuse de se réformer, estime Frank Huisingh, fondateur de Fossil Free Football. Rien ne changera sans la pression extérieure de gens comme lui. »

Lire aussi : Quand les sponsors fossiles font flamber les émissions du football

La presse suédoise et française le surnomme le « Greta Thunberg du football », en référence à l’activiste suédoise. S’il trouve cela flatteur, il refuse de s’en approprier le titre : « Il y a déjà plein de Greta du football, qui mériteraient d’être mieux connues. Des joueuses comme Katie Rood dénoncent déjà les partenariats de la Fifa avec des entreprises polluantes comme Aramco », le géant pétrolier saoudien.

À la limite, il préfère être le « Robin des bois du football ». « Rendre le football au peuple, ramener la démocratie dans ce sport, c’est ça qui me motive. Ce jeu doit appartenir aux supporters, pas aux multinationales. »

« On n’a pas trop le choix »

Stéphane Blanchard, éducateur mayennais et ancien formateur de Robin Cartier, a découvert son action dans la presse. Il n’a pas été surpris. « Il ne fait pas les choses à moitié quand il croit en une cause. Robin vient du football populaire, et voir ce football ultra-commercial se couper de la réalité et des crises que le monde traverse, c’est une catastrophe à ses yeux. Il a lancé un pavé dans la mare. Il est courageux, et il mérite qu’on le rejoigne dans son combat. »

Robin, en revanche, ne manifestera plus seul. « Ce combat doit être collectif. Mon objectif est de créer un contre-pouvoir face à la Fifa, en mobilisant des figures publiques et en inspirant les amateurs à s’engager. »

Ses prochaines cibles ? Les fédérations nationales, et notamment la Fédération française de football. C’est devant elle qu’il pose pour notre séance photo. « La Fifa a du pouvoir, parce qu’on lui en donne. Si les fédérations arrêtaient d’applaudir, ce pouvoir s’effriterait. Il faut que notre football français s’engage sur ces questions. »

Avant de nous quitter, sac à la main, il imagine des chemins désirables pour le football d’après, plus sobre et plus juste. Réduire le nombre de compétitions, limiter les déplacements, revoir les formats pour concilier inclusion et environnement : des solutions existent. « On n’a pas trop le choix, de toute façon ! Si on continue ainsi, le football risque de disparaître, étouffé par ses propres excès. » Tout passionné du football qu’il est, il compte bien se battre pour éviter le hors-jeu climatique.

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