La filière française de kéfir de fruits en danger


7 février 2025 à 14h25

Mis à jour le 8 février 2025 à 09h29

Durée de lecture : 5 minutes

Sans alcool et quasiment sans sucre, le kéfir de fruits rencontre le succès au rayon frais des supermarchés et des magasins bio. Une douzaine de producteurs artisanaux français se sont lancés sur ce marché, à côté des kombuchas et des kéfirs de lait. Les consommateurs plébiscitent ce produit à l’origine ancestrale pour sa teneur en probiotiques susceptibles d’améliorer la flore intestinale. Résultat : les ventes de boissons fermentées ont augmenté de 35 % entre 2023 et 2024. Pourtant, cet élan pourrait bien être stoppé net en France.

C’est l’alerte lancée par des fabricants, scientifiques et personnalités dans une tribune que nous publions sur Reporterre. En cause : une réglementation inadaptée. « Un produit non laitier ne peut être qualifié de kéfir », explique la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), interrogée par Reporterre.

Lire aussi : « Nous refusons d’abandonner le “kéfir de fruits” »

Elle s’appuie sur la norme internationale codex Alimentarius dans laquelle le kéfir figure parmi les laits fermentés, en tant que kéfir de lait [1]. C’est la seule définition juridique qui existe. Autrement dit, les producteurs ne sont pas autorisés à utiliser l’appellation « kéfir » pour un kéfir de fruits, qui par définition ne contient pas de lait. 

Du kéfir de lait avec des grains de kéfir.
Flickr/CC BYNC 2.0/Chiot’s Run

Récemment, l’administration a commencé à sévir en envoyant des injonctions aux fabricants, s’inquiètent les signataires du texte : « Un producteur des Côtes-d’Armor a même dû changer son appellation depuis plusieurs années pour se conformer aux injonctions de sa DDPP locale », la direction départementale de la protection des populations.

« On tromperait le consommateur »

Pour Christophe Lavelle, chercheur spécialisé en alimentation au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et signataire de la tribune, cette situation est aberrante. « Kéfir de fruits et kéfir de lait sont 100 % des kéfirs, insiste-t-il. Ils sont d’ailleurs sans doute totalement liés d’un point de vue historique. Si l’on utilise une formule comme “boisson fermentée à base de fruits” ou autre, on tromperait en réalité le consommateur, car cette boisson, c’est réellement un kéfir. »

Pour lui, si le kéfir de lait est dans le codex et pas celui de fruits, « c’est juste parce qu’il y a des gros industriels » derrière le premier — à l’instar de Danone ou Lactalis — et que l’industrie du second n’existait pas encore au moment de la rédaction, et n’a donc pas pu faire de lobbying. Les auteurs de la tribune réclament donc à la DGCCRF de suspendre ses injonctions et d’agir pour inscrire le kéfir à base d’eau et de fruits au codex Alimentarius.


Pour les producteurs de kéfirs de fruits, c’est toute l’industrie qui pourrait s’écrouler.
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

Les producteurs artisanaux craignent, par ailleurs, que certains industriels profitent de l’absence de réglementation pour vendre un peu tout et n’importe quoi sous cette appellation. Nicolas Pradillac, fondateur de la marque Symbiose et de la Kéfir Academy, site d’information sur la boisson, dénonce d’ores et déjà la présence de « faux » kéfirs, c’est-à-dire ne provenant pas de vrais grains, mais dans lesquels on a ajouté des ferments actifs. L’UFC-Que choisir dressait le même constat pour les kéfirs de lait industriels, dans une étude publiée fin 2024.

Démasquer le « faux » kéfir

Pour savoir si l’on a affaire à un vrai kéfir, il suffit de vérifier la liste des ingrédients, explique Nicolas Pradillac. Vous lisez la mention Bacillus Coagulans ou Lactobacillus rhamnosus ? C’est que des ferments ont été ajoutés. « Quand on utilise des grains de kéfir, on ne peut pas mettre le nom du ferment sur l’étiquette, juste “grains de kéfir”, parce qu’ils contiennent des communautés de dizaines d’espèces, et à moins d’en séquencer l’ADN, on ne sait pas ce qu’il y a dedans », complète Christophe Lavelle.

En outre, certains kéfirs, issus de vrais grains, sont désormais proposés en canettes au rayon des boissons non réfrigérées. Ce qui signifie qu’ils ont été pasteurisés (chauffés pour détruire les micro-organismes), tout comme les boissons fermentées que sont les bières ou les cidres. « La pasteurisation permet de stabiliser le produit et d’éviter, lorsqu’il n’est plus maintenu au froid, qu’il ne reparte en fermentation, qu’il monte en pression et que la bouteille explose », précise-t-il. C’est l’une des limites des produits « vivants », selon lui : « Beaucoup de bars aimeraient bien proposer des kéfirs, mais ils ne peuvent pas faute de place de stockage suffisante en chambre froide. »

Sans règles établies, le risque pour les producteurs artisanaux est de voir débarquer sur le marché de multiples kéfirs industriels et pasteurisés. « Forcément, ces derniers vont prendre le dessus parce qu’ils sont beaucoup plus faciles à commercialiser », anticipe le chercheur. Or si l’appellation « kéfir de fruits » est finalement autorisée un jour, la pasteurisation sera-t-elle permise ? Les fabricants pourront-ils utiliser des ferments à la place des grains ? Il reste du grain à moudre avant de légiférer.

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