• ven. Sep 20th, 2024

un contre-la-montre pour les rénover


François Bourroux connaît le pont de Theillet, situé dans sa commune de Tarnac, en Corrèze, depuis toujours. Et pour cause, le maire de ce village de 325 habitants est né ici. L’élu pensait inaltérable ce charmant ouvrage d’art du XIXe siècle enjambant la Vienne, qui coule 6 mètres plus bas. L’idée qu’il puisse s’effondrer ne l’avait jamais effleuré. Pas même quand, début 2021, un technicien de la communauté de communes remarque une pierre tombée au pied du pont. Lequel dessert deux lieux-dits où résident, au bout de cul-de-sacs, dix personnes. Le bombement qui s’était formé dans le mur de soutènement n’inquiétait pas davantage François Bourroux.

Mais lorsqu’il apprend l’existence d’un Programme national ponts, qui permet de réaliser un bilan de santé gratuit, pris en charge par l’État, il décide de faire ausculter la construction par des experts d’un bureau d’études, en mai 2022. « On pensait qu’il allait bien, mais on préférait en avoir confirmation », expose l’élu.

L’effondrement de Gênes dans tous les esprits

L’effondrement, le 14 août 2018, du pont Morandi de Gênes, en Italie, qui a causé la mort de 43 personnes, a marqué les esprits français. Une question a alors surgi chez les élus : « Une telle catastrophe est-elle possible en France ? » se souvient Patrick Chaize, sénateur (LR) de l’Ain, alors membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat. Est alors lancée une mission d’information, dont il est corapporteur aux côtés de Michel Dagbert, ex-sénateur (PS) du Pas-de-Calais. Le rapport, publié en juin 2019, est alarmant : non seulement la France n’est pas en mesure de connaître le nombre précis de ponts routiers sur son territoire (entre 200 000 et 250 000), mais un sur cinq nécessite des travaux, et un sur dix des travaux urgents.

« Quand on a découvert ce dernier chiffre, tout le monde est tombé de l’armoire », se remémore Patrick Chaize. Et ce n’est pas tout. « On croyait les ponts en béton indestructibles, mais on se rend compte que leur durée de vie est plus courte que celle des ponts de pierre de l’époque romaine », et limitées à entre 70 et 100 ans. En cause, le phénomène de carbonatation, soit « l’action du gaz carbonique contenu dans l’air » selon le rapport sénatorial, qui fragilise les ponts au fil des ans. De même, les ponts en métal se corrodent sous l’effet de l’eau. Les canicules, pluies diluviennes et crues qui se multiplient à la faveur du dérèglement climatique malmènent elles aussi les ouvrages. Ces épisodes climatiques extrêmes, avec les variations de température qui les accompagnent, provoquent la dilatation et la rétractation des matériaux. Les ponts en pierre, parfois jointoyés à l’argile, sont ainsi également fragilisés.

Le pont des Cévennes qui s’est effondré le 18 mars 2024 enjambe la rivière Luech, sur la D906.
Facebook/Sapeurs-pompiers du Gard

En 2022, le Sénat a publié un nouveau rapport. Entre-temps, la dégradation des ponts s’est accentuée : un sur quatre nécessite désormais des travaux. « Les effets du premier rapport n’ont pas été la hauteur », regrette Patrick Chaize, qui avait appelé à un « plan Marshall ». L’État devait, selon les conclusions de 2019, injecter 130 millions d’euros par an pendant dix ans pour aider les collectivités à rénover leurs ponts. La majorité de ces infrastructures, entre 100 000 à 120 000, sont sous la responsabilité des départements, et 80 000 à 100 000 des communes et des intercommunalités. Mais entre 2020 et 2023, seulement 40 millions d’euros ont été mis dans le Programme national ponts, mis en œuvre par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

« Seuls 300 à 500 ouvrages parmi les plus sensibles devraient pouvoir bénéficier d’une étude approfondie, soit seulement 3 % des ouvrages les plus dégradés », relevait le rapport. Le pont de Tarnac a compté parmi ces premiers bénéficiaires. Car les résultats de l’analyse du bureau d’études envoyé par le Cerema n’étaient pas bons : le pont, fragilisé, devait être interdit d’accès aux véhicules à moteur. Le maire de la commune n’en revenait pas mais a publié un arrêté en ce sens, en septembre 2022. Jusqu’à la réfection de l’ouvrage, qui sera achevée dans plusieurs mois, voire années, la fermeture du pont contraint la dizaine d’habitants résidant de l’autre côté à parcourir 10 kilomètres de plus.

Une commune sur deux a recensé ses ponts

La déviation nécessaire doit être aménagée, des portions empierrées, d’autres goudronnées. Coût de cette première opération : 14 000 euros hors taxe, à la charge complète de la commune. Pour le reste des travaux, il faut encore compter 25 600 euros en frais déboursés auprès d’un bureau d’études et 330 000 euros de travaux de réhabilitation. Une somme équivalente à un tiers du budget d’investissement de la commune, qui doit aussi gérer l’entretien de 100 kilomètres de route. « Si le Cerema ne nous avait pas aidés, on se serait arraché les cheveux », considère le maire. Entre le Programme national Pont et la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) délivrée par la préfecture, le reste à charge des travaux pour Tarnac sera de 60 000 euros. « Ce sera jouable », affirme François Bourroux, qui évalue le début des travaux au printemps 2025.

Le Cerema se trouve aujourd’hui aux avant-postes de ce « chantier du siècle ». À grand renfort de communication (courriers, vidéos, webinaires, numéro vert), le centre a alerté les édiles français sur l’urgence de leur mission. Entre 2021 et 2024, près de 15 000 communes ont recensé leurs ponts, soit presque une sur deux. « C’est plutôt un bon résultat, selon Roland Abou, directeur du département des techniques d’ouvrage d’art au Cerema. Cela a permis de faire comprendre que ces ouvrages sont aussi importants que le toit de l’église ou la cour de l’école. Si jamais leur pont s’effondre, c’est aussi une catastrophe pour la vie économique de leur village. »

« On touche aux limites de la décentralisation »

« Mais les petites communes ne peuvent pas faire face à tout, alerte Sylvain Laval, coprésident de la commission transports, mobilité et voirie à l’association des maires de France (AMF). Entre la rénovation d’une école ou d’un pont, une petite commune privilégiera l’école. » Jusqu’en 2014, l’Assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (Atesat) employait 1 200 équivalents temps plein et aidait, financièrement et techniquement, les petites communes dans des missions relevant d’ingénierie civile. En la supprimant, « l’État s’est désengagé de sa mission d’assistance technique aux communes », juge le rapport sénatorial de 2019. Le Cerema, dont les effectifs ont été réduits de 20 % et les dotations pour charges publiques de 25 % entre 2017 et 2022, a dû assurer cette mission sur les ponts en urgence.

« On touche ici aux limites de la décentralisation. Si, derrière, il n’y a pas de moyens pour faire face aux sujets, on n’avance pas », ajoute Sylvain Laval. Le vœu des collectivités ? Récupérer les recettes de taxes (notamment la taxe intérieure sur les produits énergétiques, la TICPE) à l’origine dévolues à l’entretien des infrastructures et qui n’ont jamais été réorientées vers les budgets des collectivités.

Sylvain Laval réclame un débat national. Un autre devrait s’inviter dans les prochains mois : l’arrivée sur nos routes des mégacamions de 60 tonnes, contre 40 autorisées aujourd’hui. Une directive européenne, adoptée en mars dernier, devrait être prochainement débattue à la Commission. Ces gros transporteurs augmenteraient encore le tonnage circulant sur les ouvrages d’art. Déjà, beaucoup de ces derniers n’ont pas été conçus, à leur époque, pour supporter le poids des véhicules qui les franchissent actuellement.

En mars également, l’effondrement d’un pont dans les Cévennes, entraînant dans sa chute un poids lourd sans faire de victime, a rappelé l’urgence. « Tant qu’il ne se passera rien de grave, rien n’avancera », soupire Bruno Belin (LR), auteur du second rapport au Sénat.



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