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Les jeunes travailleurs : ces oubliés des politiques publiques convoités par le RN

ByVeritatis

Juin 28, 2024


Sur le tableau de la grande salle commune du foyer, des étiquettes représentant les principales formations politiques ont été accrochées. Les jeunes sont invités à venir coller les propositions qui correspondent à chaque parti : revenu minimum pour les jeunes, exonération d’impôts pour les moins de 30 ans, baisse des logements sociaux par commune… L’exercice est ardu. Dans ce foyer de jeunes travailleurs de Thouars (Deux Sèvres), ça tâtonne, ça discute… Certains reconnaissent manquer un peu de repères sur la vie politique. Beaucoup ne sont d’ailleurs pas inscrits sur les listes électorales.

À la veille d’un scrutin que chacun pressent comme historique, un « apéro-débat » a été organisé un peu dans l’urgence par l’équipe d’animation du foyer pour parler des élections législatives. Grands oubliés des politiques publiques, les jeunes actifs – souvent peu ou pas diplômés – sont depuis des années courtisés par le Rassemblement national (RN). Avec un succès grandissant, selon les enquêtes du Cevipof.

Cindy, 19 ans, a fait des petits cakes salés pour la soirée. Elle n’a pas voté aux européennes, mais pour le prochain scrutin son choix est arrêté. Ce sera Bardella. « Macron n’a pas fait grand-chose pour nous », avance-t-elle en pointant notamment la baisse des APL, qui a très directement impacté son budget. « Bardella, il peut faire des choses bien pour les jeunes, je crois. Vous, les adultes, vous avez fait votre vie, mais pour nous, c’est plus difficile. On n’a pas beaucoup d’aides », souffle-t-elle en détaillant un quotidien où il faut compter chaque euro : « En fait, tu travailles pour tout payer mais tu ne te fais pas plaisir. »

Cindy, 19 ans, devant le « bar à thé » mobile du foyer de jeunes travailleurs de Thouars (Deux-Sèvres). © Lucie Delaporte

Ce jour-là, elle vient d’apprendre qu’elle embauche le lendemain au Burger King d’à côté, de 16 heures à minuit. Une très bonne nouvelle. « Je ne sais pas encore sur quel type de contrat mais si ça part sur du 8 heures par jour, c’est bien », se réjouit la jeune femme au chômage depuis plusieurs mois après que son contrat de vendeuse en jardinerie n’a pas été reconduit. Sa mère, agente d’entretien à Leclerc, n’a pas vraiment les moyens de l’aider et elle partage avec elle l’idée que le RN pourrait « enfin faire un peu changer les choses ».

La problématique de la mobilité s’impose à tous les jeunes salariés dans cette zone semi-rurale où les transports publics sont pratiquement absents. Comme passer le permis de conduire est financièrement hors de portée, Cindy a acheté une trottinette électrique pour se déplacer, mais elle ne peut accepter des postes que dans un rayon très réduit. 

Les politiques publiques ont matraqué ces jeunes

Julien*, 16 ans, vraie bouille d’enfant, est apprenti en menuiserie et partage avec Cindy le même moyen de locomotion pour rejoindre son entreprise, spécialiste de la restauration des monuments historiques. Il partage aussi avec elle la même attirance pour le candidat du RN, même si lui ne votera pas encore cette fois-là. Jordan Bardella, il le trouve « super marrant sur TikTok ». « On voit ses clashs, j’aime bien. Il est fort », s’enthousiasme-t-il en reconnaissant qu’il en discute aussi avec ses parents, sa mère assistante maternelle et son père qui gère un dépôt de bières, qui ont « toujours été de ce côté-là, plus extrême droite ». Le RN a raison de vouloir « filtrer l’immigration » et d’« enlever les allocations familiales aux parents de délinquants », estime le jeune homme, qui tient à préciser qu’il « n’est pas du tout raciste ».

Marianne Auffret, directrice générale de l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (Unhaj), qui gère 800 foyers de travailleurs répartis sur tout le territoire, assure avoir vu arriver depuis quelques années « ce mur du vote RN chez les jeunes travailleurs ». « C’est une jeunesse qui se sent complètement délaissée », résume-t-elle, regrettant que médias et responsables politiques se focalisent toujours plus sur la jeunesse étudiante que sur « l’autre jeunesse, qu’on définit presque en creux comme les “non-étudiants”, ces 50 % qui travaillent et qui ont beaucoup de mal à s’en sortir ».

Baisse des APL, réforme de l’assurance-chômage particulièrement violente pour les jeunes, exclusion du RSA des moins de 25 ans : les politiques publiques ont matraqué ces jeunes. « Alors qu’on n’a pas moins faim avant 25 ans qu’après », s’agace-t-elle en référence au refus d’élargir le RSA aux moins de 25 ans.

« C’est une jeunesse qui se sent complètement délaissée, encore plus dans des territoires enclavés où la question de la mobilité est centrale », précise la directrice générale de l’Unhaj, qui goûte assez peu le tardif mea culpa de Macron sur la question du logement, pourtant évidemment centrale pour ces jeunes.

Autour de Thouars, 14 000 habitants, le bassin d’emploi est plutôt dynamique, avec un important réseau de TPE-PME. « Il y a ici un tissu d’entreprises dense et des besoins de loger les jeunes qui viennent travailler ici », précise Marie Guesdon, directrice de l’association Pass’haj, qui gère la résidence de Thouars construite il y a dix ans aux meilleurs normes écologiques, et qui compte une quarantaine de logements.

Sur ce territoire, « l’offre de logements est inadaptée à ces jeunes : on trouve des maisons, des appartements familiaux, mais aussi beaucoup de passoires énergétiques, de logements insalubres », indique-t-elle.

Dans la résidence, les studios sont meublés, les préavis sont de huit jours et, avec l’explosion des prix de l’énergie, les jeunes apprécient aussi que les charges soient incluses dans les loyers.

L’extrême droite, c’est l’inverse de notre projet de vivre-ensemble.

Christine Gorry-Bardot, coprésidente de l’association Pass’haj

Mais surtout, rappelle l’équipe dirigeante, le sens du réseau des foyers de jeunes travailleurs n’est pas uniquement de loger les jeunes. « Nous avons ici un projet d’éducation populaire, d’accompagnement social », raconte la directrice, qui décrit les activités organisées par la résidence autour du « jardin partagé », du « bar à sirops » et des ateliers thématiques réguliers proposés aux jeunes.

« Notre projet consiste à favoriser la mixité des publics », ajoute Christine Gorry-Bardot, coprésidente de l’association Pass’haj, qui admet que le scrutin de dimanche, avec une victoire annoncée de l’extrême droite, l’accable. « Nous sommes tous très mal en ce moment dans le monde associatif. Disons que l’éducation populaire n’est pas vraiment la priorité de certains candidats, et l’extrême droite, c’est l’inverse de notre projet de vivre-ensemble », soupire-t-elle.

« Notre richesse, c’est la diversité des publics que nous accueillons », ajoute Marie Guesdon, décrivant une résidence qui loge aussi bien des jeunes ingénieurs en mobilité que des sortants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou des jeunes mineurs non accompagnés (MNA).

De fait, peu après nous avoir fait l’éloge d’un Bardella qui « ferait le ménage en France », on retrouve Cindy attablée autour d’un buffet avec un petit groupe de jeunes, anciens MNA, originaires pour la plupart d’Afrique de l’Ouest. L’ambiance est plutôt joyeuse en cette fin d’après-midi, où l’on se rafraîchit en buvant les sirops produits ici par les jeunes avec les fruits du jardin partagé. Diagim, 19 ans lui aussi, est arrivé il y a trois ans du Burkina Faso.

Encore mineur, il a connu plusieurs structures avant d’arriver ici. Représentant des jeunes dans le foyer, l’apprenti chauffagiste se fait volontiers le porte-parole des revendications des résidents et peste ce jour-là sur le wifi qui continue à ne pas fonctionner. L’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en France l’interroge. « Si tu travailles, que tu respectes la France, c’est quoi le problème ? », questionne-t-il en racontant sa bonne insertion ici, où il participe depuis des années à des activités comme bénévole dans différentes structures.

Les jours d’hiver où le trajet à vélo – plus de quinze kilomètres – devient trop difficile pour aller chez son patron, celui-ci le loge dans sa famille. Diagim peine à comprendre qu’un gouvernement RN pourrait avoir envie d’expulser des gens comme lui.

Au cours de l’atelier consacré aux élections législatives, où les principes « liberté, égalité, fraternité » sont rappelés par une des animatrices, il finit par demander : « Mais l’égalité, en fait, c’est quoi ? » Dans une société où les occasions de côtoyer l’altérité ne sont pas si fréquentes pour ces jeunes, la directrice du foyer défend « un lieu précieux pour les rencontres », un lieu qui ouvre les esprits.

Sortir des bulles cognitives

Alice, 25 ans, apprentie en reconversion en menuiserie après avoir fait des études d’ingénieure, reconnaît qu’elle a découvert ici des personnes qu’elle n’aurait pas croisées ailleurs. Quand sa mère lui a parlé d’habiter dans un foyer de jeunes travailleurs pour pouvoir suivre son apprentissage loin de sa famille basée à La Rochelle, elle admet avoir eu quelques préventions.

« Je me disais que c’étaient peut-être des jeunes pas très adaptés à la société », dit-elle avec beaucoup de précaution, quand d’autres parleraient d’un « public de cassos [cas sociaux – ndlr] ». Celle qui vote écolo et votera naturellement Nouveau Front populaire (NFP) aux élections législatives, au vu de son expérience de plusieurs mois ici, trouverait « terrible qu’un gouvernement d’extrême droite coupe les budgets de ce genre d’initiative ».

Les rencontres, dans la vraie vie, aident à sortir des bulles cognitives où beaucoup de jeunes se sont enfermés, raconte-t-elle. La montée du RN chez les jeunes, Alice l’a sentie aux partages que faisaient certains de ses amis sur les réseaux sociaux. « C’était en permanence des récits d’agressions commises par des migrants. On regarde ça, on se dit que tous les migrants veulent nous tuer ! », ironise-t-elle avec amertume.

« Moi, je bloque énormément de comptes tous les jours. C’est comme si c’était devenu cool d’être d’extrême droite ! Et pas cool d’être trop gentil », s’indigne Fabien, 29 ans, prestataire dans une boîte de modélisation 3D et arrivé récemment à la résidence. Lui aussi pointe du doigt un gouvernement qui a « abandonné les jeunes », en égrenant ses expériences d’étudiant : la hausse du prix des repas au Crous, les logements mal isolés dans lesquels vivent les étudiants, sans parler d’une mobilité impossible pour ceux qui n’ont pas suffisamment de ressources.

En cette fin d’après-midi où la chaleur commence à redescendre et où le jardin partagé apporte des odeurs d’herbe fraîche, chacun redoute que le réveil de dimanche prochain soit brutal.



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