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Élection présidentielle en Iran : trois candidats ultras et un trouble-fête

ByVeritatis

Juin 28, 2024


C’est un graffiti apparu ces derniers jours sur un mur du centre-ville de Téhéran. En trois mots, son auteur dit quasiment tout : « Seul, fatigué, triste ». Un témoignage révélateur de l’état d’esprit d’une grande partie de la population iranienne, largement déprimée, épuisée et amère, dont le régime espère pourtant qu’elle se sera rendue aux urnes à l’occasion de l’élection présidentielle du vendredi 28 juin, rendue nécessaire par la mort, le 19 mai, du religieux ultra-conservateur Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère.

Le taux de participation est d’ailleurs l’un des principaux enjeux de ce scrutin. Permettant au régime de se légitimer, il a une importance primordiale dans la République islamique. Or, les précédents scrutins ont vu la participation s’écrouler : 73 % pour la présidentielle de 2017, qui avait vu la réélection du « pragmatique » Hassan Rohani, mais 48,5 % seulement en 2021 pour l’élection de l’ultra-conservateur Ebrahim Raïssi, selon les chiffres officiels.

Mais depuis, l’Iran a été confronté à une répression extrême après la mort de Mahsa Amini et la révolte aux cris de « Femme, vie, liberté », les condamnations à mort, les assassinats politiques, les tortures et les viols de jeunes manifestant·es qui ont choqué la population. S’ajoute une aggravation de la pauvreté et de la crise économique et financière. Et lors des dernières législatives, en mars et mai 2024, à Téhéran, ville de 9 millions d’habitant·es, le taux de participation n’a pas dépassé les 7 %.

Le candidat réformiste Massoud Pezeshkian vote à l’hôpital Firouzabadi, dans un quartier du sud de la capitale iranienne, Téhéran. © Morteza Nikoubazl / NurPhoto via AFP

C’est dans l’espoir de faire remonter ce taux que, à la grande surprise des observateurs, un candidat réformiste, Massoud Pezeshkian, a été autorisé à se présenter parmi six candidats retenus pour participer à l’élection présidentielle. Quatre-vingts personnalités, dont trois femmes, avaient déposé leur candidature, mais le Conseil des gardiens de la Constitution, un organe non élu totalement contrôlé par des religieux conservateurs et chargé de superviser le processus électoral, n’en a sélectionné que six, dont cinq ultraconservateurs.

Deux d’entre eux se sont retirés de la course, le maire de Téhéran, Alireza Zakani, et le directeur de la Fondation des martyrs, Amir Hossein Ghazizadeh Hashemi.

Un second tour probable

Parmi les qualifiés toujours en lice figurent Mohammad Bagher Ghalibaf, président du Majlis (le Parlement), Saïd Jalili, l’ancien négociateur du dossier nucléaire, Mostafa Pourmohammadi, ancien ministre de l’intérieur, tous trois proches de l’ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution islamique, et, enfin, Massoud Pezeshkian, député de la ville de Tabriz, qui se présente comme réformiste. Seuls Ghalibaf, Jalili et Pezeshkian ont des chances d’accéder au probable second tour.

Mohammad Bagher Ghalibaf, ancien officier des Pasdarans (les Gardiens de la révolution) et ancien pilote personnel du Guide, incarne la tendance affairiste de ces derniers. C’est pourquoi il se montre favorable à des négociations avec les pays occidentaux si elles aboutissent à la levée des sanctions. Plus que les autres candidats, il incarne l’élite corrompue du régime.

Saïd Jalili est le partisan de la branche la plus dure et la plus idéologique des Pasdarans, favorable à la poursuite d’une politique résolument anti-occidentale. Pour lui, l’Iran doit renforcer ses liens avec la Chine sur le plan économique, avec la Russie dans le domaine de la défense, mais aussi avec les pays arabes, le rival saoudien en tête.

Massoud Pezeshkian est une figure peu connue du camp réformateur. C’est pourquoi sa candidature a été retenue, d’autant plus qu’il ne brille pas par son charisme. Ce médecin a fait campagne en répétant « Je ne mens pas » et en faisant valoir ses qualités morales : il a élevé seul ses quatre enfants après le décès de son épouse et assure avoir vécu de son seul travail. Différence avec les autres candidats, il a souhaité ouvertement l’établissement de « relations constructives » avec Washington et les capitales européennes, afin de « sortir l’Iran de son isolement »

Une campagne plus dynamique que prévu

« Tous les candidats autorisés à concourir sont des figures de second plan, le boulevard politique ayant été organisé ces dernières années autour du défunt président Raïssi seul, remarque l’historien du Proche et Moyen-Orient Jonathan Piron, professeur de relations internationales à l’école HELMo de Liège (Belgique). L’éternel candidat qu’est Mohammad Bagher Qalibaf concourt à nouveau. Pointé comme favori, il semble cependant peiner à rassembler une majorité tandis que l’ultra Saïd Jalili se détache. Mais ces candidats du régime ne suscitent guère l’enthousiasme. »

« La surprise vient donc de la candidature et de la campagne de Massoud Pezeshkian, ancien ministre de la santé du président Mohammad Khatami, qui voit l’ancienne base électorale réformatrice se rallier à lui, avec notamment des rappels de ce que fut la présidence Khatami », souligne le chercheur. 

« On peut d’ailleurs se demander, poursuit Jonathan Piron, si la participation d’un candidat réformateur amenant un déplacement électoral en sa faveur n’est finalement pas utile pour le régime : une hausse de la participation électorale serait ainsi montrée par le discours du régime comme un signe d’adhésion de la population au système en place. »

Traditionnellement, les minorités ethniques et religieuses et les régions périphériques votent peu, du fait de la marginalisation de celles-ci par la République islamique. Or, comme Pezeshkian vient de la province iranienne de l’Azerbaïdjan et que sa femme était sunnite, sa candidature est censée faire remonter le taux de participation auprès de ces minorités.

Une femme vote à Téhéran, vendredi 28 juin. © Photo Atta Kenare / AFP

Mais le pouvoir ne souhaitait pas pour autant qu’il y ait un second tour avec la participation d’un réformateur.

Or, indique un analyste et ancien homme politique iranien qui ne veut pas être cité, le scénario échafaudé par le régime s’est grippé. Les cinq candidats ultras avaient été désignés pour « chauffer l’espace politique » et faire le plein des voix conservatrices, mais quatre d’entre eux devaient démissionner au profit du cinquième peu avant le scrutin, pour rassembler les voix et l’emporter au premier tour.

« Du fait du désordre et des désaccords dans le camp conservateur, cela ne s’est pas passé ainsi, constate notre interlocuteur. D’où la présence de trois candidats ultras au premier tour, ce qui signifie qu’il y aura un second tour, avec la présence du candidat réformateur. Cette dynamique de la division a donné une certaine vitalité à l’élection iranienne. »

Si Pezeshkian n’est pas hostile au nizem (système) – des photos le montrent en uniforme de Pasdaran et il reconnaît le leadership du Guide suprême –, il commence cependant à inquiéter le cœur du régime. « Il est même devenu la coqueluche des opposants, insiste le même analyste. Il y a une mobilisation en sa faveur, qui s’explique par le fait qu’il est apparu comme une faille au sein du système, comme l’avaient été les présidents Khatami, Hassan Rohani et même, à sa façon, Mahmoud Ahmadinejad [qui n’a jamais pu se représenter – ndlr]. Les sondages qui lui donnaient 14 % des suffrages le créditent depuis trois jours de 42 %. »

Le vote incertain de la jeunesse

Sa campagne, aussi, est un succès. « La force motrice derrière celle-ci est Mohammad Javad Zarif, ancien ministre des affaires étrangères de Rohani et le négociateur de l’accord nucléaire de 2015, dont on distingue l’envie de revenir en politique », explique Jonathan Piron.

L’inquiétude du pouvoir s’est traduite notamment par l’annulation de la dernière réunion de campagne du candidat réformiste par l’appareil sécuritaire. 

« Cette élection présidentielle diffère de la précédente, en 2021, qui préparait la succession du Guide suprême », analyse Clément Therme, spécialiste de l’Iran et chargé de cours à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Il importait alors que Raïssi soit élu pour qu’il soit en meilleure position pour succéder au Guide.

« Cette fois, indique Clément Therme, le système se préoccupe de sa perte de légitimité à la suite du mouvement Femme, vie, liberté. Dans sa gestion du mécontentement, il importait d’avoir un candidat comme Pezeshkian pour légitimer la victoire d’un conservateur. Dès lors, il incarne le choix entre ce qu’on appelle en persan le “bad-o bad tar”, le mal ou le pire. En tant que réformateur, il cherche à attirer les électeurs alors que sa capacité institutionnelle ne lui permettra pas de donner un débouché à ses promesses de campagne. »

Reste à savoir si la jeunesse iranienne a voté pour les espoirs de changement qu’il incarne. « Il est très difficile de savoir ce qu’elle pense dans son ensemble, répond Jonathan Piron. Les sondages sont à prendre avec prudence et les observations de terrain sont désormais impossibles. Ce que l’on sait de la réalité quotidienne, c’est que les griefs à l’égard du régime n’ont pas changé. L’avenir est tout aussi bouché et le pouvoir en place ne fait rien pour redonner des perspectives à sa population et à sa jeunesse. »

« Les fourgons blancs de la police des mœurs sont de retour mais avec des approches différentes selon les espaces, poursuit-il. L’État préfère aujourd’hui faire appliquer le port du voile obligatoire de manière indirecte, par le biais notamment d’une surveillance électronique. En plus, aucun candidat ne parvient à s’engager pour un programme économique suffisamment crédible afin de sortir de l’ornière dans lequel le pays se trouve. »

À la prison d’Evin, pour les détenus du dortoir n° 14, qui accueille les prisonniers politiques les plus connus, ceux-ci, selon le chercheur iranien Reza Moini, ont décidé de ne pas voter. Dans la section des femmes, la Prix Nobel de la paix Narges Mohammadi a appelé au boycott du scrutin.

Le résultat de ce premier tour devrait être connu avant dimanche.



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