• ven. Sep 20th, 2024

Agression homophobe le soir de la victoire de Bardella : « Ils auraient pu me tuer »

ByVeritatis

Juin 29, 2024


« J’ai eu beaucoup de chance car je sais qu’ils auraient pu me tuer », ressasse Ali*, qui préfère rester anonyme. Ce jeune homme de 19 ans se refait le film de cette soirée du 9 juin, quelques heures après les résultats des élections européennes et de la victoire de Jordan Bardella.

Habitué des promenades nocturnes, cet étudiant en physique-chimie sort se balader dans les rues du VIe arrondissement de Paris. Il est deux heures du matin lorsqu’il aperçoit quatre hommes, tous saouls, proférer des insultes homophobes entre eux. « Par prudence, j’ai changé de trottoir pour éviter de me faire agresser », raconte-t-il à Mediapart.

Il ne sait pas encore que c’est une bande de néonazis guidée par Gabriel Loustau, 23 ans, fils d’Axel Loustau, un proche de Marine Le Pen et ancien conseiller Rassemblement national (RN). Il ne sait pas non plus que lui et ses amis, Louis G., 23 ans, Briac F., 20 ans, et Halvard K., 21 ans, font la tournée des bars pour fêter la victoire de Jordan Bardella. Il ignore enfin qu’ils viennent de menacer plusieurs badauds et de traiter une femme de « salope »

Ali, Français d’origine iranienne, à les cheveux longs, porte des santiags et un pantalon ample. « J’ai un look efféminé, je reçois souvent des “sale pédé”. J’ai l’habitude d’être insulté », précise-t-il, un peu résigné. Mais jamais il n’avait encore été frappé. « Je ne peux pas éviter le face-à-face, le groupe me rattrape. Ils me demandent si je suis trans, si je suis pédé, et je réponds “non” car je sais que l’inverse ne m’aurait pas aidé », rembobine le jeune homme. « Et l’un du groupe me dit : “Ça se voit que t’es pédé”, “ sale transexuel”, “sale pédé”. »

Gabriel Lousteau (à gauche) en tête du défilé du Comité du 9-Mai à Paris en 2023. © Photo Yann Castanier pour Mediapart

L’étudiant les supplie de le laisser tranquille, en vain. Deux membres du groupe l’agressent à l’aide d’un bâton et d’une ceinture et lui portent un violent coup de poing à la tempe. « J’ai été totalement sonné mais je ne les ai pas provoqués et j’ai réussi à courir », explique Ali. J’ai limité les dégâts. Clairement, si j’étais resté et n’avais pas fui, ils auraient pu me tuer », répète-t-il. La femme insultée quelques minutes avant contacte la police, qui interpelle rapidement le groupe et incite Ali à porter plainte. « Les policiers ont été bienveillants et irréprochables. » 

En garde à vue, les agresseurs entonnent des chants militaires, poussent des cris d’animaux et une policière raconte sur procès-verbal ce que l’un d’entre eux a proféré : « Vous verrez quand Bardella sera au pouvoir, vous verrez quand Hitler reviendra. » 

Cela me glace le sang de savoir que l’un est fiché S, qu’ils ont cette idéologie et qu’ils sont fiers de ce qu’ils m’ont fait.

Ali, 19 ans, agressé à Paris le 9 juin 2024

« C’était terrifiant de les entendre, explique Ali, qui n’était pas loin de leur cellule au moment de déposer plainte. « Ils faisaient des bruits de singe et chantaient. » Par peur de leur faire face une nouvelle fois, il refuse la confrontation avec ses agresseurs et sèche l’audience de comparution immédiate le 12 juin.

Ali est alors déjà parti loin de Paris se reposer dans sa famille mais a lu tout ce que la presse relayait : les articles évoquant leur condamnation à des peines allant de six mois de prison avec sursis à sept mois de prison avec mandat de dépôt ; le compte rendu de l’audience évoquant ce message retrouvé dans l’un des téléphones d’un membre du groupe, se vantant d’avoir « fumé un gay ». Et leur pedigree. 

« J’ai l’impression de voir l’Allemagne de 1933. Cela me glace le sang de savoir que l’un est fiché S, qu’ils ont cette idéologie et qu’ils sont fiers de ce qu’ils m’ont fait », poursuit Ali, qui tente désormais de gérer son traumatisme. « Je suis devenu complètement parano après, avec la crainte de marcher seul dans la rue. Je suis parti pour quelques mois, je veux oublier tout ça », espère-t-il. « C’est une bonne piqûre de rappel qui montre que le danger existe et qu’il se libère de manière de plus en plus décomplexée. » Le jeune homme « essaye de ne pas être fataliste » mais sait « qu’une victoire du RN banaliserait encore davantage cette violence ».  

Les craintes des LGBTQI+ démultipliées 

La médiatisation de cette agression rappelle combien les LGBTQIA+ restent des cibles de l’extrême droite et renforce les craintes d’une communauté qui, à la veille de la marche des fiertés parisienne, se sait plus que jamais en danger. Depuis quelques semaines en effet, les agressions venues de ces groupuscules fascistes, mais aussi les propos LGBTphobes tenus par des élus d’extrême droite ou des autorités se multiplient.

Lors de la Pride des banlieues à La Courneuve, le 24 juin 2024. © Photo Valérie Dubois / Hans Lucas via AFP

Le 10 juin, comme le révélait Mediapart, des policiers se lâchaient lors de l’interpellation d’un jeune homme dans le XIe arrondissement de Paris, et enchaînaient propos racistes et homophobes. « Avec ta casquette de pédé qui se fait enculer par des migrants » ; « Quand ta mère et ta grand-mère se seront fait violer par des migrants, tu comprendras », ont-ils notamment déclaré, avant de diffuser, au commissariat, des chansons à la gloire de Jordan Bardella. 

À Montpellier le 1er juin, un groupe de néonazis a fait plusieurs victimes lors du Festival des fanfares. Juste avant le début de l’événement, une femme trans de 19 ans avait été ciblée par « huit mecs baraqués » et avait dû prendre la fuite et se cacher après avoir été bousculée.

Depuis quelques années, de nombreuses affaires montrent comment l’extrême droite s’organise pour s’en prendre notamment aux LGBTQIA+. 

Le 13 mai 2023, une quinzaine de militants encagoulés du groupuscule rennais L’Oriflamme avait ainsi interrompu un atelier destiné aux enfants sur l’égalité des genres animé par des drag-queens à Saint-Senoux (Ille-et-Vilaine). Au mégaphone, le meneur enchaînait les insultes homophobes et transphobes.

La même année, lors de l’université d’été de Civitas, plusieurs intervenants tenaient des propos du même genre, retransmis sur la chaîne YouTube de l’association. Ils associaient la communauté LGBTQ à Satan et les transitions de genre à des rituels sataniques en estimant que « toutes les perversions se trouvent dans l’arc-en-ciel ».

Un an avant, en juin 2022, des policiers interpellaient des néonazis sur le toit de la maison écocitoyenne de Bordeaux. « Protégeons les enfants, stop folies LGBT », pouvait-on lire sur leur banderole pendant qu’ils effectuaient plusieurs saluts nazis. L’un d’eux, porteur de gants rouges, était vu sur des vidéos adressant des doigts d’honneur à la foule qui participait ce jour-là à la marche des fiertés.

Des associations mobilisées

« On est en alerte », prévient James Leperlier, président de l’Inter-LGBT. « Le fait que le RN soit si haut galvanise une foule hostile aux LGBTQI+. Les gens ne se sentent plus honteux et se sentent même légitimes à pouvoir proférer des messages de haine et à passer à l’acte », poursuit le militant, qui décrit une communauté qui « se sent plus que jamais en danger ». Et ce, malgré le discours affiché du RN : « Ce parti fait croire qu’il est gay-friendly alors qu’on sait que le RN reviendra sur les droits LGBT. Il n’y a qu’à regarder ce que fait l’extrême droite à l’étranger dès qu’elle est au pouvoir. »

Julia Torlet, présidente de SOS homophobie, partage ce constat et estime que l’agression subie par Ali le 9 juin « montre clairement ce qui va se passer si le RN obtient la majorité le 7 juillet ». « La violence va retrouver une place dans la rue et sera très difficile à endiguer », craint-elle, jugeant les politiques et les intellectuels largement responsables. 

« Ces actes sont précédés de mots, ceux de politiques, d’intellectuels ou de pseudo-scientifiques, dénonce-t-elle. Certains discours transphobes proférés à la télé, au Sénat ou récemment par le président de la République par exemple, sont aussi des cibles que l’on pose sur les personnes trans. »

L’extrême droite veut nous voir disparaître de l’espace public. On va donc faire l’inverse et occuper le terrain.

Julia Torlet, présidente de SOS homophobie

En plus de ces violences, cette homophobie traverse désormais plusieurs dossiers terroristes. En juin 2023, lors du procès « WaffenKraft » dans lequel quatre néonazis étaient jugés pour avoir fomenté des attentats en France, un commissaire de la DGSI brossait un « état de la menace d’ultradroite ». Il soulignait « une cible émergente : celle de la communauté LGBT ». Elle a d’ailleurs été visée dans plusieurs attentats meurtriers. Et le commissaire de citer les exemples de Colorado Springs (États-Unis) et de Bratislava (Slovaquie). 

En novembre 2023, un jeune néonazi qui projetait des attentats était interrogé sur les tags nazis et homophobes réalisés sur la maison des associations de Chambéry quelques mois plus tôt : une croix gammée associée aux expressions « POUR UN MONDE SAIN ET PUR », « LGBT » et « 0 TOLERANT ».

Pourquoi a-t-il ciblé cette structure ? « Parce qu’elle aide les personnes LGBT et les étrangers », répondait le mis en cause, évoquant « le mouvement LGBT » comme « déplacé et décadent ». Interrogé sur une affiche antisémite retrouvée sur son téléphone, il expliquait qu’une partie des juifs, riches et puissants, étaient responsables d’une guerre invisible entre communautés et participaient à la « dégénérescence pédo-LGBT », dans le but de « détruire l’Europe ».

En 2021, un rapport du parquet général de Paris consacré à l’extrême droite radicale évoquait justement la « porosité idéologique » avec les groupes masculinistes. Il montrait que la reconstruction d’une masculinité hégémonique était l’un des moteurs d’action des terroristes contre la « décadence » de la société. 

Dans ce modèle, « l’homosexuel » est érigé « en figure repoussoir d’une masculinité féminisée et donc négative », soulignait également le rapport. Cette dimension ressort, par exemple, du dossier AFO, où l’un des mis en examen pour terrorisme réprouve l’homosexualité, y compris celle de son propre fils. « Les pédés, j’te fusillerais tout ça », aurait-il déclaré selon son fils. 

Avec toutes ces menaces, la marche des fiertés prend donc « un sens très particulier », explique Julia Torlet. « On a l’habitude de se réunir pour célébrer nos identités et dire qu’il y a du chemin à parcourir. Mais là, on va se réunir pour montrer qu’on fait front commun face à l’extrême droite, estime la présidente de SOS homophobie. Ils veulent nous voir disparaître de l’espace public, on va donc faire l’inverse et occuper le terrain. »



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *