Après son KO debout face à celui qui ose tout, c’est-à-dire Donald Trump, le très flapi Joe Biden est remonté sur le ring vendredi 28 juin. Remonté il l’était, par rapport à son état cataleptique lors du débat calamiteux de la veille. L’hôte actuel de la Maison-Blanche n’accusait alors que ses 81 ans, laissant tout l’espace à son prédécesseur aspirant à devenir son successeur.
Requinqué tardivement, à contretemps et peut-être pour rien, le président a lui-même mobilisé la métaphore pugiliste face à une petite foule de supporteurs inconditionnels à Raleigh (Caroline du Nord) : « Mon père avait une expression. Il disait : “Champ’ [abréviation de champion – ndlr], ce n’est pas le nombre de fois où tu es mis à terre qui compte, c’est la rapidité avec laquelle tu te relèves.” »
Mais Biden n’apparaît plus que comme le champ(ion) de lui-même, laissant le champ libre à son adversaire d’extrême droite ayant fait main basse sur le Parti républicain. Le Parti démocrate, jusqu’à présent résigné, le petit doigt sur la couture du pantalon face au président en fonction, ne cache plus désormais la panique qui le gagne : son candidat spectral le conduit droit dans le mur.
La sénescence du président sortant n’est plus seulement un argument polémique de l’adversaire trumpiste : elle apparut à l’électorat qui s’émeut. Que faire ? Continuer dans le déni et s’en tenir aux fanfaronnades du vendredi lancées par un candidat en difficulté pour articuler le jeudi ?
« Je peux faire le job »
« Je vous donne ma parole de Biden. Je ne me représenterais pas si je ne croyais pas, de tout mon cœur et de toute mon âme, que je peux faire le job », a donc quasiment hurlé aux siens Joe Biden, réussissant à élever la voix, sinon le débat, au lendemain de la catastrophe cathodique à laquelle assistèrent 50 millions de téléspectateurs.
Il semble désormais seul à y croire et maudit l’image que la presse donne de lui. Le New York Times a lâché la première salve dès vendredi 28 juin : « Pour servir le pays, le président Biden doit quitter la course. » Toujours ces images sportives qui accentuent le fait que l’occupant de la Maison-Blanche a l’âge de ses artères – et alors que la dégradation de ses facultés cognitives s’impose comme une réalité.
Dans un éditorial solennel et censé refléter l’opinion et le sentiment du grand quotidien de la côte est, la pommade est d’abord de mise concernant un « président admirable », dont l’action à la tête du pays ne ferait pas un pli : « Sous son commandement, la nation a prospéré et a commencé à relever une série de défis à long terme. »
Toutefois, en quelques mots chirurgicaux qui portent davantage que les défenses piteuses, lénifiantes et hypocrites semées par les anciens présidents démocrates Bill Clinton et Barack Obama, la flèche du Parthe ne se fait guère attendre, dans l’éditorial du New York Times : « Le plus grand service public que pourrait rendre aujourd’hui M. Biden serait d’annoncer qu’il ne se représentera pas à l’élection. »
Il n’en fallait pas plus pour libérer la parole derrière laquelle piaffent bien des ambitions. Parallèlement à une chasse aux coupables ayant mené le Parti démocrate et le pays jusqu’à la situation actuelle – haro sur Jill, l’épouse du président ! –, une course de chevaux, mêlée à un gigantesque chamboule-tout, se profile dans les médias comme chez les stratèges démocrates.
La vice-présidente, Kamala Harris, impopulaire et inexistante, ne servirait qu’à entériner le soutien des Afro-Américains, déjà plus ou moins acquis et de toute façon beaucoup moins crucial que par le passé : les suffrages d’origine latino et asiatique feront, ô combien, davantage la différence.
Revenir vers d’autres compétiteurs de la précédente primaire démocrate en 2020 ? Bernie Sanders, arrivé deuxième, va sur ses 83 ans. Elizabeth Warren, lointaine troisième, incarne une sorte de troisième manche passée de mode face au rouleau compresseur Trump. Pete Buttigieg, qui fit forte impression par sa jeunesse et ses qualités intellectuelles, ne fait pas non plus le poids, plombé par sa participation au gouvernement – il est ministre des transports depuis février 2021.
Des noms surgissent alors. Des gouverneurs de divers États : Gavin Newsom (Californie), rusé, prudent, déterminé. JB Pritzker (Illinois), fonceur, s’y voit quasiment déjà. Tout comme le banquier d’affaires afro-américain Wes Moore (Maryland).
Sans oublier celle qui semble parfois tenir la corde, au gré des commentateurs, des donateurs et des militants : Gretchen Whitmer (Michigan). À 52 ans, cette « démocrate progressiste » à laquelle avait songé Biden pour occuper la vice-présidente tient bon sur le terrain faible de Trump : le droit à l’avortement. En octobre 2020, le FBI arrêtait des membres d’une milice d’extrême droite du Michigan qui envisageaient de la kidnapper. Bref, une femme, des principes, un destin.
Establishment démocrate
La peur du chaos – ou de la démocratie ! – prédomine dans l’establishment démocrate : si Joe Biden venait à se retirer avant la convention démocrate du mois d’août, tout sera à recommencer dans la précipitation, voire la foire d’empoigne. Les délégués prévus pour se ranger derrière la candidature du président sortant s’égailleront à qui mieux mieux alors que la personne choisie doit en recueillir au moins 300 dans son giron.
Se détache une seconde hypothèse, en forme de « trou de souris » : après la convention démocrate. Dans l’entre-soi. Le retrait de Biden, encore hypothétique mais désormais possible – surtout si son état s’aggravait – permettrait alors au comité national du Parti démocrate de décider seul de la suite. Quelques centaines de notables auraient la main.
L’image serait fâcheuse, terriblement oligarchique, mais ne ferait que vendre un peu plus la mèche : la démocratie en Amérique est une oligarchie. On éviterait ainsi le saut dans l’inconnu de la convention démocrate prévue à Chigaco du 19 au 22 août. Une telle procédure permettrait de voir si le président Biden s’avère capable de sursaut, ou s’il est définitivement à mettre au rebut.
Avec, en ce cas, une solution de rechange fiable, sans surprise, parfaitement planifiable, même si les infortunes aussi se planifient : on appelle cela des tragédies, quand rôde le fatum et que chacun joue son rôle de rouage du cataclysme. Voilà que l’Amérique se prend soudain pour la Grèce antique.