• sam. Sep 28th, 2024

Le vélo est encore à la traîne sur la grande boucle du recyclage


Lyon (Rhône), reportage

« Le vélo n’est plus du tout écologique dans sa conception actuelle », assène Priscillia Petitjean. Cette observation tombe sous le coup de l’évidence pour la fondatrice des Ateliers de l’audace, une association qui forme les personnes en insertion professionnelle à la réparation des bicyclettes. Logé dans le 3ᵉ arrondissement de Lyon, l’atelier a pour règle de ne rien gâcher. « Nous privilégions les pièces récupérées sur les vélos irréparables pour en retaper d’autres et les vendre », présente Smaïne, l’un de ses mécaniciens.

Preuve que tout est bon dans le biclou, les étagères du local débordent de potences, pédales et dérailleurs recyclés. Le réemploi des vélos mis au rebut atteint 90 % quand ils sont traités par des structures spécialisées comme les Ateliers de l’audace. Pourtant, 28 788 tonnes de vélos et de trottinettes sont jetées chaque année, estime une étude de l’Agence de la transition écologique (Ademe) publiée en 2020.

Priscillia Petitjean est mécanicienne vélo et fondatrice des Ateliers de l’Audace.
© Moran Kerinec / Reporterre

Comment expliquer que les vélos produits aujourd’hui ont environ 7 ans d’espérance de vie en France alors que des modèles des années 50 roulent toujours leur bosse ? La réponse se cache dans leurs détails de fabrication.

« La raréfaction des métaux oblige les constructeurs à utiliser des alliages de moins bonne qualité, explique Priscillia Petitjean en pointant les différents modèles présents dans son atelier. Les tubes des vieux vélos sont particulièrement fins et emmanchés dans des pièces métalliques. Les vélos modernes sont dotés de grosses pièces soudées entre elles. »

Appréciés pour leur légèreté, les cadres en aluminium et en carbone sont également plus fragiles que l’acier utilisé par le passé. En cas de fissure, il est presque impossible de les réparer, alors qu’un cadre en acier peut être ressoudé.

Un panneau à outils dans les Ateliers de l’Audace.
© Moran Kerinec / Reporterre

La mécanicienne dénonce une « obsolescence programmée » dans le choix de produire certaines pièces maîtresses du vélo en plastique plutôt qu’en acier. Tel le boîtier de pédalier, qui fixe le mécanisme au cadre et assure sa rotation. Le manque de compatibilité entre les marques complique également les réparations.

« Il y a plus de 160 pièces par vélo, dont beaucoup changent à chaque nouvelle collection parce qu’il n’y a aucune législation là-dessus », se désole Priscillia Petitjean. « Les marques se distinguent par leurs choix technologiques et leurs design, c’est la loi du marché », assume Olivier Moucheboeuf de l’Union sport et cycle, la fédération des industriels du vélo.

« On a fait entrer le vélo dans une logique de consommable »

Aujourd’hui, la majorité des cadres, roues et dérailleurs des vélos mécaniques sont fabriqués au Portugal, en Roumanie et en Italie pour être assemblés en France. Ce qui leur permet de bénéficier malgré tout du label « made in France ». Les modèles d’entrées de gamme de ces biclous se vendent à qualité et prix réduits… Au risque de se dégrader rapidement et de dissuader leurs propriétaires de les réparer.

« Parfois, la réparation ne vaut pas le coup par rapport au prix d’un vélo neuf », estime Olivier Mouchebœuf. « On a fait entrer le vélo dans une logique de consommable alors que c’est un outil qui a pour essence d’être perpétuellement réparable, durable et accessible à n’importe quel individu », regrette Thibault Quéré, porte-parole de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB).

L’atelier regorge de pièces détachées, comme celles-ci pour dérailleurs.
© Moran Kerinec / Reporterre

C’est pourtant le chemin qu’a pris l’industrie du vélo française, qui a organisé sa chaîne de production autour des vélos à assistance électrique (VAE). Ce choix dicté par la rentabilité a néanmoins eu le mérite d’avoir mis en selle des publics traditionnellement plus éloignés du cycle.

« Le VAE a eu un effet spectaculaire en rendant le vélo accessible à une plus grande diversité de profils, notamment parmi les femmes, seniors, ruraux, et ceux qui habitent loin de leur travail ou dans des zones avec du relief », observe Élodie Trauchessec, coordinatrice mobilité à l’Ademe. Mais le prix de ces modèles haut de gamme est un frein pour que les foyers modestes accèdent à des biclous durables.

Élève aux Ateliers de l’audace, Dimitri règle un frein arrière sur un vélo recyclé.
© Moran Kerinec / Reporterre

L’industrie réussira-t-elle à changer de braquet ? « La filière du VAE est encore jeune. Nous avons l’opportunité de l’inscrire dans une recherche de performance environnementale dès ses premiers pas », assure Élodie Trauchessec. C’est dans ce sens que l’Ademe a amorcé en 2024 l’appel à projets Industrie du vélo financé par le plan d’investissement France 2030.

Objectif : assembler deux millions de vélos par an sur le territoire national d’ici à 2030 et y implanter des usines pour produire leurs pièces détachées. Un volet est également consacré à améliorer l’éco-conception des bicyclettes pour réduire leur impact sur toute leur durée de vie : recyclabilité, réparabilité, industrialisation du recyclage et du réemploi des vélos…

« Un vœu pieux », estime Olivier Mouchebœuf de l’Union sport et cycle. Pour lui, l’enveloppe du projet, plafonnée à 55 millions, est trop maigre pour financer des sites de production. Quant à l’espoir de produire davantage de vélos en France, il serait douché par l’impératif de rentabilité. « On n’en vend pas assez pour justifier la production de tous ses composants », affirme-t-il.

Un étiquetage pour l’empreinte écologique

Preuve qu’elle souhaite montrer patte blanche, la filière économique France Vélo a élaboré avec l’Ademe un « Cycle score » qui mesure l’empreinte écologique de ses produits. Son calcul est basé sur l’analyse du cycle de vie des bicyclettes, ainsi qu’une étude RSE (responsabilité sociétale des entreprises) de leurs fabricants.

« Nous prenons en compte le lieu de fabrication du cadre, la pollution liée à sa peinture, la distance entre les composants et leurs lieux d’assemblage, la durabilité des pièces… » liste Florence Gall, déléguée générale de France Vélo. Après cette annonce le 24 juin au salon du vélo Prodays, les premiers étiquetages apparaîtront en magasin à l’automne et seront appliqués… sur la base du volontariat.

D’un point de vue écolo, réparer les vélos reste plus intéressant qu’en produire massivement des neufs.
© Moran Kerinec / Reporterre

Priscillia Petitjean, elle, craint les conséquences d’une surenchère irréfléchie vers le « tout-vélo » : « On fait comme nos arrière-grands-parents, qui ont foncé tête baissée dans le modèle du tout-voiture. » Le risque : produire trop, trop rapidement, au risque de répéter les erreurs qui ont frappé la Chine.

Pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, le régime chinois a encouragé l’explosion des vélos en libre-service. Une flotte de plus de 27 millions de bicyclettes a ainsi été déployée dans les métropoles chinoises entre 2015 et 2017… Jusqu’à ce que la compétitivité du marché chinois provoque la faillite des sociétés de partage de vélo et envoie leurs bicyclettes terminer leur vie dans de gigantesques cimetières pour deux-roues.

« Est-ce qu’on veut une société de consommation ou une société de réparation ? »

« Est-ce qu’on veut une société de consommation ou une société de réparation ? interroge Priscillia Petitjean. Plutôt que de créer des usines, la vraie innovation du made in France serait de récupérer les vélos inutilisables pour les remettre au goût du jour. On serait autonome sur les pièces et ça créerait énormément d’emplois. » La preuve par l’exemple. Ouverts en 2020, les Ateliers de l’audace sont passés de quatre bénévoles à 37 salariés en quatre ans. Plus de 80 personnes y ont été formées, avec un taux de sortie vers l’emploi ou vers un diplôme de 75 %.

D’autant que les biclous à retaper ne manquent pas. Le regard de la mécanicienne s’arrête sur une dizaine de vélos blanc et violet rangés dans la cour. Les vestiges de la flotte en libre-service Indigo, qui a confié près de 500 bicyclettes à l’atelier en quittant Lyon. « On peut composer les flottes de vélos [des collectivités] avec des recyclés », assure-t-elle. Un travail déjà accompli par la Métropole de Lyon, qui prête gratuitement des « Free Velo’v » reconditionnés aux étudiants et aux personnes en recherche d’emploi ou en insertion.

Réussir à récupérer les vélos usagés demeure l’un des gros enjeux de la filière.
© Moran Kerinec / Reporterre

Partout en France, la jeune filière du recyclage de vélo prend son élan. Elle doit son acte de naissance officiel à la loi antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) promulguée en 2022. Depuis, l’éco-organisme Ecologic a été chargé de collecter et d’encourager la réparation et le réemploi des vélos.

« On a la chance de pouvoir nous appuyer sur les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) qui ne nous ont pas attendus pour mettre en place le réemploi », apprécie Vanessa Montagne, directrice Nouvelles filières chez Ecologic. Les grandes enseignes suivent le mouvement. Il est désormais possible de déposer son vélo dans les magasins de sport agréés pour l’envoyer vers un centre de tri.

Lucie répare une roue heurtée par une voiture.
© Moran Kerinec / Reporterre

« Si le vélo n’est pas sauvable, il sera transmis à un centre de traitement où les métaux et les plastiques seront séparés pour être valorisés dans de nouveaux objets, comme des bâtis de fenêtre », décrit Vanessa Montagne. Les chambres à air sont recyclées pour fabriquer de nouveaux boyaux en caoutchouc. En revanche, aucune solution de recyclage industriel n’existe encore pour les pneus des vélos, dont la plupart sont incinérés.

La difficulté reste de récupérer les vélos usagés. Sur un gisement total estimé à près de 20 000 tonnes par Ecologic, seuls 30 % sont collectés par l’éco-organisme. « Il nous reste encore beaucoup d’angles morts pour capter les flux de vélos à recycler, notamment auprès des collectivités », pointe Vanessa Montagne. Ce qui ne l’empêche pas de porter un regard optimiste sur l’avenir de la filière : « Le vélo n’est pas complexe à recycler, le marché de l’occasion est porteur, les acteurs sont en place… Il faut juste que tout le monde se mette en ordre de marche. » Ou donne un bon coup de pédale ?



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