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la Bretagne tente de contourner la règlementation européenne


28 juin 2024 à 10h36

Durée de lecture : 5 minutes

Première productrice de poissons, de crustacés et de coquillages de France, la Bretagne tente-t-elle de louvoyer contre les réglementations européennes ? Le 28 juin, son président Loïg Chesnais-Girard (du groupe social-démocrate) doit soumettre au vote du Conseil régional la création d’un nouveau fonds de co-investissement, Breizh up Pêche. Doté de 3 millions d’euros d’argent public, ce programme d’aides vise, d’après la majorité régionale, à renouveler et décarboner une flottille de pêche vieillissante. Des associations et élus écolos craignent que ce dispositif contourne l’interdiction de subventionner la construction de nouveaux navires, mise en place par l’Union européenne en 2002 afin de freiner la surpêche.

La création de Breizh up Pêche s’inscrit dans le sillage de la feuille de route de la région pour le secteur de la pêche et l’aquaculture. Révélé en février par Splann ! et Reporterre, ce document stratégique avait été très critiqué par des pêcheurs artisans et des défenseurs de l’océan. La Région y exprimait notamment sa volonté de cofinancer le renouvellement des bateaux de pêche, y compris les semi-hauturiers et hauturiers de plus de 12 mètres, qui cumulent pourtant les tares sociales, économiques et environnementales, selon une récente étude.

C’est grâce à Breizh up Pêche que la région espère parvenir à cette fin. Concrètement, l’exécutif régional souhaite étendre le périmètre d’intervention de Breizh up, une société de co-investissement dont la Bretagne est actionnaire unique. Géré par la même société de gestion, Breizh up Pêche pourrait investir « selon les mêmes modalités qu’un investisseur privé », explique un document interne consulté par Reporterre, ce qui lui permettrait « de respecter la réglementation en vigueur ».

« Un gros risque de greenwashing »

Ce montage fait bouillir les experts de Bloom. Grâce à Breizh up Pêche, la Bretagne pourrait s’affranchir « de toutes les règles européennes [prohibant les aides à la construction de bateaux neufs] et des obligations de transparence », juge Laetitia Bisiaux, chargée de projet au sein de l’association de défense des océans. « On saura juste que de l’argent a été donné à ce fonds, mais pas qui en a bénéficié. » L’experte de la pêche industrielle craint qu’il soit fléché vers les bateaux les plus néfastes pour les écosystèmes marins, comme les chalutiers pélagiques et de fond. « L’argent public ne doit pas servir à détruire », estime-t-elle.

Dans sa présentation du projet, l’exécutif régional précise que Breizh up Pêche n’interviendra « qu’en faveur de la pêche artisanale » et des petites à moyennes entreprises (PME) « au sens européen du terme ». Pas de quoi rassurer Laetitia Bisiaux : « Une PME au sens européen du terme, c’est jusqu’à 249 salariés et un chiffre d’affaires annuel de 49,9 millions d’euros. En réalité, ce fonds est ouvert à la quasi-totalité des entreprises bretonnes de la pêche. » La chargée de projets cite en exemple la Compagnie des pêches Saint-Malo, une entreprise spécialisée dans le surimi industriel qui cherchait encore à investir, il y a quelques mois, dans le plus long navire-usine de la planète, l’Annelies Ilena. « Elle entre dans cette catégorie, c’est aberrant ! »

L’élue d’opposition Julie Dupuy (groupe Les écologistes de Bretagne) partage ces craintes. « Ils ne définissent pas clairement ce qu’ils entendent par pêche artisanale, il y a un gros risque de greenwashing. » La conseillère régionale précise « être favorable » aux dispositifs d’accompagnement du secteur. « Mais il faut conditionner les aides pour permettre aux pêcheurs et aux pêcheuses d’aller vers de la pêche durable. » Breizh up Pêche aurait par exemple pu, selon elle, favoriser les arts dormants (comme la ligne, le casier ou le filet), « qui ont le moins d’impact sur les milieux, mais créent le plus d’emplois », ou dédier les aides au changement de moteur aux bateaux s’engageant à diminuer leur consommation de carburant d’au moins 20 % (comme l’exige déjà l’Union européenne).

Contacté par Reporterre, le vice-président à la mer et au littoral, Daniel Cueff, évacue cette possibilité. « Si on commence à mettre des conditions de ceci et de cela, de paperasse infinie, on met de la technocratie et on empêche le développement durable, parce que les gens en ont ras-le-bol d’être sans cesse retoqués », justifie-t-il, avant d’accuser Bloom de vouloir « la suppression de la pêche ».

Laetitia Bisiaux s’en défend. « Si la région Bretagne voulait vraiment faire quelque chose pour le secteur, elle l’aiderait à sortir de sa dépendance au chalut, qui est une technique extrêmement énergivore, pas du tout sélective et donc non durable. » Continuer d’investir dans cette technique via Breizh up Pêche, « ce n’est pas aider les pêcheurs, pense-t-elle. C’est tout le contraire ».



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