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Pavillon, voiture et barbecue… Les clichés sur les « beaufs » servent le RN


Baisse de la TVA sur l’essence et tous les « produits énergétiques », refus de « l’écologie punitive », renoncement à l’interdiction de la vente des voitures thermiques prévue en 2035… Avec son programme, le Rassemblement national (RN) ne fait pas que taper sur l’environnement. Il va aussi chercher un électorat bien précis : celui des zones périurbaines.

Car il le sait depuis 20 ans, c’est là, au milieu des pelouses bien tondues, des grosses voitures et des maisons crépies de rose, au pays de ce que certains appellent avec condescendance les « beaufs », qu’il fait ses meilleurs scores. Le constat n’est pas nouveau, il agite sociologues, géographes et politistes depuis au moins le début des années 2000. Alors que le Rassemblement national est sorti en tête aux élections européennes et pourrait emporter la majorité lors des législatives, elle redevient saillante.

Avec aujourd’hui une nouvelle donne : les préoccupations écologiques. Dépendance à la voiture, étalement urbain, piscine et soirées barbecue… Ce mode de vie est désormais vu comme menacé par la nécessaire transition écologique. Le RN l’a bien compris et s’en est fait le défenseur, trouvant là un nouvel argument pour s’attacher les habitants des zones pavillonnaires. En 2013, une analyse de nos confrères de Slate appelait cela le « vote barbecue ». Est-il plus fort que jamais ?

Une maison crépie, une balustrade, et un petit jardin caché derrière une grosse haie : le pavillon français.
Touam (Hervé Agnoux) / CC BYSA 4.0 / Wikimedia Commons

La corrélation est faite depuis les années 2000 et a été théorisée par le géographe Jacques Lévy. Ses cartes de l’analyse des votes aux élections présidentielles de 2002 et 2007, très parlantes, montraient que les scores de l’extrême droite étaient supérieurs dans les zones périurbaines. Des graphiques réalisés pour les présidentielles de 2002 et 2012, là encore dénichés par Slate, montraient même un « pic » des votes d’extrême droite à 50 km des centres urbains. Le chercheur en a tiré la théorie du « gradient d’urbanité ».

Pour lui, plutôt que l’âge, le sexe ou la classe sociale, le type d’habitat est un critère déterminant du vote. Les villes-centre denses confrontent leurs habitants à « la diversité, produisant des configurations sociales beaucoup plus réfractaires à l’extrémisme », explique-t-il. À l’inverse, les zones périurbaines où l’homogénéité sociale est plus forte seraient propices à un repli sur soi.

À première vue, les résultats des européennes semblent confirmer cette lecture. 93 % des communes ont placé la liste RN de Jordan Bardella en tête aux européennes. La plupart sont périurbaines ou rurales. Celles qui ont résisté sont majoritairement les grandes métropoles. La Fondation pour l’écologie politique note, pour les législatives à venir, un « déplacement des enjeux électoraux vers des territoires plus périurbains (…). Le duel Nouveau Front populaire/Rassemblement national sera tranché par des populations plus fortement utilisatrices de la voiture pour aller travailler […] ou plus souvent habitantes de maisons individuelles ».

Lors de la présidentielle de 2012, le politologue Jérôme Fourquet constatait déjà que le vote pour Marine Le Pen est au plus fort dans les zones éloignées de 30 à 60 km des grands centres urbains.
© Jérôme Fourquet / Fondation Jean Jaurès

Faut-il pour autant conclure que vivre en zone pavillonnaire prédispose à voter RN et à être anti-écolo ? « Il n’a pas fallu longtemps pour qu’une interprétation géographique du vote apparaisse », remarque le chercheur en aménagement du territoire Olivier Bouba-Olga dans une note de blog. « Le rural vote Bardella, seul l’urbain le plus dense résiste, c’est lié au fait que les populations rurales se sentent abandonnées, diront certains, pendant que d’autres expliqueront que l’urbain, en exposant à la diversité, prémunit de ce vote extrême. »

Mais avec d’autres sociologues et géographes, il conteste fortement cette explication. Il a ainsi regardé les votes aux européennes dans le périurbain, ou plus précisément dans les « communes rurales sous influence », c’est-à-dire selon la définition de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), en périphérie des agglomérations de plus de 50 000 habitants.

Effets d’âge et de diplôme

Certes, ces zones périurbaines ont voté 10,5 % plus pour le RN aux européennes. Mais si les données sont corrigées par « les effets d’âge et de diplôme », ce survote tombe à 2,1 %. En fait, il note que les personnes votant le plus RN sont celles ayant entre 30 et 64 ans, et celles ayant des niveaux intermédiaires de diplômes (Bac, BTS…). Autrement dit, « lorsqu’on compare le vote rural et le vote urbain à niveau de diplôme et tranche d’âge identique, on n’observe pratiquement plus de différence. »

« Ce sont des politiques publiques, comme celles du prêt à taux zéro, qui ont conduit à créer ces zones pavillonnaires habitées par certaines catégories sociales particulières », dit à Reporterre la sociologue Violaine Girard, qui a enquêté sur le périurbain votant RN. « On y retrouve des ménages des classes populaires où au moins l’un des deux a un CDI, est dans la petite fonction publique, ce qui permet d’avoir un prêt à la banque. »

« La maison individuelle est ce qu’il y a de moins cher pour accéder à la propriété »

La théorie de Jacques Lévy « résiste mal aux enquêtes de terrain », estime aussi Éric Charmes, universitaire spécialiste du périurbain interrogé par Reporterre. « Par exemple, des enquêtes menées dans une commune périurbaine de la région parisienne, dans un village de cadres supérieurs, montre une orientation plutôt droite centriste. » Ce seraient donc certaines zones pavillonnaires, celles accueillant « des accédants modestes à la propriété, des gens contraints d’habiter loin de leur lieu de travail, qui votent plus RN », poursuit-il. Des personnes qui ont dû s’éloigner des centres urbains et des zones d’emploi pour trouver un terrain dans leurs moyens.

« La maison individuelle est ce qu’il y a de moins cher pour accéder à la propriété », rappelle-t-il. « Pour un peu plus de 100 000 euros vous avez une maison hors d’eau, hors d’air, et vous pouvez faire les finitions avec l’aide de la famille ou des amis. C’est ainsi qu’on en arrive à une situation où ce sont les ménages modestes qui se retrouvent à devoir dépenser le plus pour aller travailler. »

Souvent trop éloignées des services pour s’y rendre à pied, les zones pavillonnaires ont rendu indispensable l’usage de la voiture pour aller se procurer les nécessités.
Benoît Prieur / CC0 1.0 / Wikimedia Commons

Dans la périphérie de Lyon étudiée par Violaine Girard, composée de pavillons et d’une zone industrielle, elle note que « tout était basé sur la voiture, il n’y avait aucun dispositif de transport en commun ». Les horaires de travail, souvent décalés, empêchaient le covoiturage et « les services publics étaient dans le centre de Lyon ». Ajoutez à cela une tradition politique de droite et une « volonté explicite des grands notables locaux de créer une zone industrielle où il n’y aurait pas d’implantation syndicale forte » empêchant « la politisation des salariés ». Le terrain était prêt pour le RN.

Son discours a particulièrement bien su s’adapter à la situation des classes populaires des zones pavillonnaires. Accéder à la propriété, cela permet parfois de quitter un quartier de logements sociaux. « C’est sortir ses enfants d’un environnement que l’on juge impropre à leur réussite scolaire et s’assurer de ne plus avoir de loyer à payer quand on sera à la retraite et que les revenus baisseront », indique Éric Charmes. Pour d’autres, c’est tout simplement un moyen de rester proches des siens. « Les ménages modestes sont fortement ancrés localement, notamment pour pouvoir mobiliser les solidarités familiales, essentielles quand on a peu de moyens », poursuit-il.

Dans les deux cas, « ils tiennent un discours tel que “Nous on s’en sort parce qu’on accepte de faire des efforts, on fait des heures supplémentaires, on accepte de travailler en horaires décalés” », a remarqué Violaine Girard. Le pavillon est un signe de réussite sociale et il est important de se démarquer de ceux qui n’ont pas réussi à y accéder. Une position sociale qui rend perméable au discours du RN, inspiré du « producérisme » [1], décrit par Philosophie magazine.

Pour le RN, « vrais Français » contre urbains déconnectés

Le RN a su « politiser la question des modes de vie », remarque Théodore Tallent, qui prépare une thèse à Science-po Paris sur l’acceptabilité des politiques climat hors des grands centres urbains. Pour les habitants des zones pavillonnaires, il est « plus compliqué de s’adapter aux politiques environnementales », note-t-il. Face à cela, le RN « se positionne en défenseur des “vrais Français”, face à des urbains déconnectés. Il se dit contre la fin de la voiture thermique, ou contre les éoliennes, qui s’implantent en zones périurbaines ou rurales. »

Un discours plein de clichés qui construit une opposition artificielle entre écologie et classes populaires périurbaines, selon le doctorant. « Toutes les études montrent que ce public n’est pas contre la transition écologique, il n’y a pas de fatalité. » Aux politiques de proposer des mesures « très concrètes », adaptées aux contraintes fortes de ce mode de vie, pense-t-il. Et de reconnaître que les classes populaires des zones rurales ont déjà des pratiques écologiques.

Un besoin démontré par le mouvement des Gilets jaunes, estime Éric Charmes. « Il n’a pas convergé vers les thèses du RN », rappelle-t-il. « Mais vers une demande de justice et de démocratie via le RIC — Référendum d’initiative citoyenne. Les habitants de ces territoires se sentent mal représentés. » Le chercheur pense qu’il est possible de leur proposer une politique écologique adaptée.

Sur la mobilité, il propose de vrais investissements pour le vélo, par exemple, avec des voies cyclables protégées le long des départementales de campagne, le long desquelles il est sinon dangereux de circuler. « Des simulations effectuées dans la couronne périurbaine de Lyon indiquent qu’[…]on pourrait diminuer les consommations d’énergie d’environ 35 % avec le vélo », écrit-il. Le covoiturage aurait un potentiel de 14 %.

Des atouts à explorer

La lutte contre la précarité énergétique est aussi un sujet essentiel, car les maisons individuelles consomment plus et sont plus chères à isoler. Valoriser les compétences en bricolage des habitants est une piste, comme près de Nancy où « dans un lotissement de plus de 1 300 pavillons, créé au début des années 1970, des cheminots, des artisans, des agents de maîtrise ont fondé une coopérative pour s’engager dans des rénovations énergétiques solidaires », cite-t-il encore.

Il rappelle aussi que les maisons individuelles ont un avantage conséquent : elles ont un jardin. Lieu de loisirs qui permet de réduire les déplacements, mais qui pourrait aussi être plus souvent nourricier grâce à un potager, ou accueillir la biodiversité si on accompagne les propriétaires dans leur démarche. Il évoque le mouvement australien retrosuburbia, « qui se demande comment sur 1 000 mètres carrés, soit la taille moyenne d’une parcelle en France, une famille peut arriver à une relative autonomie avec des panneaux solaires, un potager, un poulailler, etc. ».

Car si la loi limite désormais l’extension pavillonnaire, il reste que selon l’Insee, 55,7 % des logements en France sont des maisons individuelles, parmi lesquelles on trouve de nombreux pavillons. « Je ne sais pas chiffrer combien, mais il faut faire avec », insiste Éric Charmes. « Ce dont on a fait le lieu de la dystopie écologique pourrait devenir le lieu de l’utopie. »



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