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Charles Prats, magistrat « cow-boy » et « incompétent », se rêve en ministre de Bardella

ByVeritatis

Juil 5, 2024


Charles Prats se voit déjà dans un gouvernement Bardella. « Il faudrait être fou pour refuser le ministère des finances », lâche-t-il cinq jours après la dissolution de l’Assemblée nationale. Passé par le parti Les Républicains (LR) puis par l’Union des démocrates et indépendants (UDI), il vient d’accéder au second tour des législatives, dans la 6e circonscription de Haute-Savoie, sous la bannière de l’extrême droite rassemblée avec le soutien du RN, de Reconquête et d’Éric Ciotti. Arrivé en tête dimanche 30 juin, il est en ballottage défavorable, mais y croit encore et sait déjà ce qu’il ferait s’il était au ministère de la lutte antifraude annoncé par Jordan Bardella.

Cet ancien inspecteur des douanes devenu magistrat se dit spécialiste de la fraude sociale et fiscale et écume les plateaux télé avec un message principal : « l’immigration légale comme illégale » serait la cause de toutes les fraudes.

La réforme de la TVA pour lutter contre la fraude fiscale, la lutte contre la fraude sociale et la suppression de l’aide médicale d’État pour les personnes étrangères sont devenues ses chevaux de bataille. Et il est prêt à manipuler les faits et les chiffres pour asseoir ses démonstrations (voir ici, ici et …)

Charles Prats en 2020. © Photo Patrick Siccoli / Sipa

Mais le magistrat Charles Prats donne aussi régulièrement son avis sur ce que devrait être la justice et promet par exemple dans Marianne de « révoquer » les procureurs « récalcitrants » qui s’opposeraient aux consignes d’un gouvernement RN. Il a depuis envoyé un rectificatif au journal pour nuancer sa menace. « C’était une discussion à bâtons rompus que le journaliste a trop résumée. »

Son parcours dessine un homme qui fait passer ses idées avant la justice. En janvier 2023, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) lui inflige une sanction disciplinaire pour une série de tweets dans lesquels il fustigeait les « Khmers verts » et assimilait les « gilets jaunes » à « la peste noire ». Pour avoir « manqué à son devoir d’impartialité » et porté « atteinte à l’image de la justice », Charles Prats est muté d’office au tribunal judiciaire d’Orléans, avant de se mettre lui-même en disponibilité. 

Ciblé pour sa liberté ? 

Dans sa décision, le CSM rappelle que l’affaire débute après un article de L’Obs mettant en cause son impartialité à l’occasion d’une de ses décisions en tant que juge des libertés et de la détention, à Paris, concernant le militant antifasciste Antonin Bernanos. Ce dernier, alors accusé d’avoir frappé un militant d’extrême droite, était placé en détention provisoire.

Charles Prats rejette sa demande de remise en liberté et dénonce dans son ordonnance « le même lâche mode opératoire “antifa” semblant être toujours utilisé, en l’espèce, l’agression sauvage d’une victime isolée par une bande de nervis d’extrême gauche ».

Il est rappelé à l’ordre par sa hiérarchie puis convoqué pour un rappel déontologique pour une autre de ses ordonnances. Mais il récidive avec trois nouveaux tweets déclenchant l’enquête de l’Inspection générale de la justice, aboutissant à sa mutation. 

S’il devient ministre, c’est une catastrophe nucléaire.

Un magistrat, ancien collègue de Charles Prats

Depuis, Charles Prats crie au complot politique. Sur Sud Radio, il affirme que c’est la publication de ses deux livres sur les fraudes qui expliquerait que le garde des Sceaux ait décidé « de déclencher une enquête administrative ». Auprès de Mediapart, le magistrat livre un autre argument expliquant que l’enquête a été déclenchée parce qu’il était « porte-parole de la campagne de Valérie Pécresse ». « Je suis une victime de la répression de la liberté d’expression des magistrats », insiste-t-il. 

À l’époque, des élus de droite le défendent et accusent même le ministre d’opérer « une chasse aux sorcières » préalable à « un procès de Moscou ». « Aucun reproche dans son activité professionnelle de magistrat » ne serait « articulé », écrivent-ils. 

De nombreux manquements professionnels 

Aucun reproche professionnel ? pas vraiment, car si Charles Prats se pose en martyr politique, l’enquête menée par l’inspection dépasse largement la question de sa liberté d’expression. « Les magistrats et fonctionnaires entendus ont décrit l’intéressé comme privilégiant la rapidité au détriment de la qualité, étant absent au moment de la répartition des dossiers, n’étudiant pas les dossiers à l’avance, arrivant au dernier moment à l’audience, ainsi qu’étant difficilement joignable », pointe notamment l’inspection.

Elle relève aussi « que l’intéressé pouvait s’affranchir de certaines règles de procédure, par exemple en prenant des actes sans la présence de greffiers, en indiquant sa décision avant tout débat ou en recevant des demandes de nullité en dehors du cadre légal ». Faute de pouvoir « les démontrer avec certitudes », le CSM n’a pas retenu ces dernières accusations, mais mentionne des retards fréquents et un manquement à son devoir d’impartialité. « Tout est bidon, balaye Charles Prats. On a démontré que c’était faux, mais le CSM n’en a pas tenu compte. » 

Extrait de la décision du CSM visant Charles Prats en janvier 2023. © Conseil supérieur de la magistrature

Pourtant, l’institution est loin d’être la seule à dénoncer les inaptitudes professionnelles de ce possible futur ministre. Une dizaine de ses anciens collègues, contactés par Mediapart et qui souhaitent rester anonymes, le jugent unanimement « incompétent ». Et dressent le portrait d’un homme « régulièrement hors des clous ». « S’il devient ministre, c’est une catastrophe nucléaire », lâche d’emblée un magistrat haut placé. « Il a un vrai problème de sérieux professionnel », considère une autre. 

Au cours de la campagne actuelle, Charles Prats a diffusé des tracts le montrant en robe de magistrat, suscitant la colère de son opposant Xavier Roseren, qui y a vu une contradiction, illégale, avec la stricte neutralité requise. Charles Prats, interrogé par L’Obs, n’en a cure. 

« Dès l’École nationale de la magistrature, Charles était déjà à part et servait surtout ses intérêts », confie une ancienne étudiante. À sa sortie, le nouveau magistrat intègre la juridiction d’Auxerre avant de partir pour Bercy au sein de la délégation nationale à la lutte contre la fraude jusqu’en 2012. Il navigue ensuite entre différentes juridictions (Créteil, Meaux, Évry,…) comme « juge placé » chargé de remplacer des collègues à l’instruction.

Là encore, les critiques sont acerbes, et son travail loin d’être salué. Selon plusieurs témoignages, il lui est même interdit de former des auditeurs compte tenu des « grosses libertés » qu’il prenait « avec le Code de procédure pénale »

Un « cow-boy »

Le magistrat casse les codes et prend surtout soin de soigner son image, « celle d’un cow-boy » n’hésitant pas à exhiber un gilet pare-balle, toujours accroché à son fauteuil. « Ouais et alors ?, balaye-t-il. Je m’en servais parce que j’aimais accompagner la PJ sur certaines interpellations. »

Dans un portrait, Libé révèle qu’en 2012, alors en poste à Créteil, Charles Prats aurait dissimulé une arme sous sa veste lors de l’audition d’un futur mis en examen. « C’était une bombe lacrymogène », dément l’intéressé. « J’avais négocié la reddition d’un gars en fuite, j’étais obligé de faire attention quand je suis allé le chercher », justifie-t-il. 

Inquiets, des juges racontent avoir à l’époque œuvré pour « déplacer discrètement » certains dossiers sensibles en les confiant à d’autres collègues lorsqu’il venait les remplacer. « À chaque fois qu’il passait dans des cabinets, c’était une catastrophe », explique l’un deux. 

Il n’était pas à l’écoute, il n’était pas neutre. Il était inapte.

Une magistrate, ancienne collègue de Charles Prats

À la même époque, Charles Prats reprend le cabinet d’instruction d’une magistrate partie en congé maternité. « À mon retour, j’ai repéré un nombre conséquent d’irrégularités procédurales », témoigne-t-elle. « Tout est faux », se défend encore Prats : « De mémoire, je crois que je n’ai jamais eu une seule annulation de procédure quand j’étais juge d’instruction. » 

Et pour cause. « J’avais pris tous les dossiers qu’il avait touchés pour les envoyer à la chambre de l’instruction et faire annuler tous les actes frappés de nullité », explique la même magistrate.

Une autre de ses collègues, qui l’accuse de choisir certains dossiers pour en délaisser d’autres selon ses envies, ajoute : « En plus d’avoir un positionnement déplacé sur le plan déontologique, il n’était pas à l’écoute, pas neutre et était partial. Il était inapte. »

Charles Prats demande ensuite à devenir vice-président chargé des fonctions de juge d’instruction au tribunal judiciaire de Paris. Rien ne devait y faire obstacle, mais le CSM s’y oppose et émet un « avis non conforme » le 25 juin 2014. « C’est du jamais-vu, décrypte un magistrat de Créteil. Un juge placé chargé des remplacements obtient systématiquement sa demande après deux ans d’exercice. » Mais ses évaluations posent problème. Prats saisit le Conseil d’État.

Dans sa décision, la plus haute juridiction administrative le déboute au vu des nombreuses réserves émises sur ses anciens postes.

Extrait de la décision du Conseil d’État visant Charles Prats. © Conseil d’État

Mais là encore, Charles Prats affirme que cette décision « est politique » et vient sanctionner ses engagements pris après l’affaire Cahuzac, « au printemps 2013 », qui auraient « rendu fou de rage François Hollande ». « Avant ça, mes évaluations étaient nickel. Après ça, j’étais dans le collimateur de la chancellerie. » 

Problème : ses évaluations consultées par Mediapart, menées par des présidents de tribunaux totalement indépendants, montrent des reproches formulés de manière continue pendant toute une partie de sa carrière et bien avant 2013. Sur la période 2006-2008 (sous un gouvernement de droite), sa hiérarchie lui rappelle ainsi que son « aisance à l’oral » ne doit pas le rendre « sourd aux avis extérieurs », qu’il doit gérer ses « temps d’activité » avec « plus de régularité » et se conformer au « rythme du milieu judiciaire ». « Charles Prats doit travailler tous dossiers avec un égal intérêt », lui rappelle même sa hiérarchie.

Pour la période 2014-2016, ses pairs estiment qu’il « s’est montré peu soucieux de la cohésion du service et de la lisibilité de son action ». En 2017-2019, il est mis en garde : « Il appartient à Monsieur Prats de faire preuve de plus de rigueur dans l’exercice de ses fonctions. » 

Charles Prats sur CNews parlant du « laxisme » judiciaire. © Cnews

Empêché de devenir juge d’instruction, Charles Prats bifurque pour devenir juge des libertés et de la détention. Et là encore, les traces qu’il laisse ne sont pas glorieuses. « Il était connu pour être dans l’arbitraire », raconte un juge qui sourit de le voir défendre les couleurs d’un parti qui ne cesse de dénoncer le supposé « laxisme de la justice ».

Publiquement, Prats n’hésite pas à militer pour construire bien plus de prisons ou fustiger ses pairs. « Bienvenue au #Laxistan dans “la certitude de l’absence de peine” », dénonce-t-il sur Twitter. Dans un podcast diffusé en mai, le candidat s’en prend aussi à « l’idéologie » de toute une « frange de la magistrature » qui serait là pour dire « la prison, c’est mal ». 

« Il était pourtant exactement ce que reproche l’extrême droite à la gauche judiciaire », s’amuse un magistrat. Dominique Simonnot, l’actuelle contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, avait suivi une de ses audiences en droit des étrangers lorsqu’elle était journaliste au Canard enchaîné : « Je m’en souviendrai toute ma vie, lâche-t-elle. Il remettait tout le monde dehors. Lorsque sa greffière lui a précisé le nombre de libérations qu’il venait de prononcer, Prats a répondu : “Je continue, je veux atteindre ma moyenne.” Puis il a regardé l’avocat de la préfecture en lui lançant : “Ça vous énerve ? Allez faire votre sale boulot.” »

Dominique Simonnot raconte ensuite l’avoir poursuivi dans les couloirs du palais de justice de Paris pour tenter de comprendre. « Je considère qu’on n’a pas à ennuyer ces pauvres gens qui travaillent, qui paient leurs impôts et qui font le boulot que les Français ne veulent pas faire. Que la préfecture aille chercher des étrangers à expulser en prison », aurait-il répondu.

Des décisions juridiques opposées à ses positions politiques

Comment expliquer ce discours aux antipodes du programme qu’il défend aujourd’hui ? « Je n’ai vraiment pas d’explication », sèche l’ancienne journaliste. « C’est un type versatile qui est capable d’utiliser n’importe quel prétexte pour faire sortir des gens, estime une magistrate. Quand c’est erroné en droit, le problème, c’est que cela devient arbitraire. »

Autre sujet d’étonnement : un juge peut décider d’autoriser une personne hospitalisée sous contrainte à quitter l’établissement sanitaire. Or, en 2018, Charles Prats décroche le record du nombre de sorties accordées. Et sur ses 55 décisions, 48 font l’objet d’un appel du parquet et 41 sont infirmées par la cour d’appel. 

À l’époque, selon nos informations, des proches de patient·es s’inquiètent de ces sorties d’hôpital qui vont à l’encontre de l’intérêt des malades et les mettent parfois en danger. Les motivations de ses décisions sont jugées « très discutables » et sont même parfois signalées. « J’ai une jurisprudence qui est la mienne et qui n’est pas forcément celle des autres. Respecter le droit, ce n’est pas du laxisme », assure-t-il. 

Son interprétation très personnelle des textes déroute souvent ses collègues, qui citent à titre d’exemple un dossier de trafic de stupéfiants à Créteil avec plusieurs trafiquants et consommateurs auditionnés. L’usage veut qu’on ne poursuive pas les consommateurs. Charles Prats, lui, décide de tous les laisser tranquilles, sauf un : le patron d’une filiale d’un groupe du CAC 40. « On était dans le milieu partouze et neige dans le pif. Ce n’était pas normal qu’il ne passe pas au tourniquet comme les copains », assume Prats. « C’était une véritable rupture d’égalité », commente-t-on en interne. « Une décision pour l’exemplarité », contredit-il. 

Aimerait-il devenir ministre de la justice pour y appliquer sa vision ? « Je n’en suis pas demandeur, lâche-t-il. Mes compétences techniques sont plutôt financières. »



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