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Casseroles et sympathies royalistes : le détonnant diplomate candidat du RN à Vichy

ByVeritatis

Juil 5, 2024


À en croire le Rassemblement national (RN), Jordan Bardella disposerait, s’il arrivait à Matignon, de grands serviteurs de l’État ultra-diplômés, parés pour faire tourner tous les ministères, y compris les plus régaliens. Ces « pointures » dont s’enorgueillit le parti sont longtemps restées anonymes, réunies au sein d’un mystérieux club des Horaces. Mais au lendemain de la dissolution, le diplomate Rémy Queney fait partie de la poignée qui ont tombé le masque pour se présenter aux élections législatives, en l’occurrence à Vichy.

Parachuté dans la 3e circonscription de l’Allier, où il loge à l’hôtel, cet inconnu a obtenu presque 38 % des voix le 30 juin, juste derrière Nicolas Ray, le représentant Les Républicains (LR). Grâce au désistement de la candidate du Nouveau Front populaire, il aborde son duel de second tour en position délicate. Mais qu’il entre ou non à l’Assemblée nationale, son profil mérite d’être exposé au grand jour.

Car d’après nos informations, Rémy Queney, 55 ans, dont dix-huit au Quai d’Orsay, fait plutôt figure de « pied nickelé » de la diplomatie, sa carrière peu flamboyante ayant été bloquée à la suite d’alertes et d’incidents multiples, dont un scandale avec une compagnie aérienne qui lui a valu les foudres de son ambassadrice.

À l’heure où le RN revendique avoir fait le ménage dans ses hauts rangs, qu’il s’agisse de racisme, d’homophobie ou d’intégrisme religieux, Rémy Queney a aussi multiplié les propos jugés déplacés à l’encontre de collègues, et reconnaît auprès de Mediapart sa « sympathie » pour la royauté et l’héritier du trône de France.

Photomontage de captures d’écran du réseau social X.

« J’ai rencontré des hauts et des bas au cours de ma carrière », admet ce spécialiste des Balkans, qui parle serbe ou allemand mais est aujourd’hui coincé « en inter-affectation », selon le jargon du Quai. Concrètement, cette fine fleur supposée des Horaces est placardisée depuis deux ans, sa dernière mission remontant à 2022. Depuis ? Il « ne reste pas sans rien faire » et prend soin de se montrer au ministère, étant toujours payé : Rémy Queney fouille dans les archives pour préparer un livre, a participé à un jury de concours, donné une poignée de cours – bref, quasiment rien.

« Si quelqu’un est en défaut, ce n’est pas moi, c’est l’administration, se défend-il. C’est moi qui suis la victime ! » À l’entendre, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, piloté par le macroniste Stéphane Séjourné, lui ferait payer ses « accointances politiques ». « J’en suis certain mais je ne peux pas l’affirmer », corrige-t-il, tout en parlant de « chasse aux sorcières », voire de « surveillance » (« Par les téléphones, on peut savoir quelle est votre position… »).

Le Quai, sollicité par Mediapart, dément discriminer ses agents « à raison de leurs opinions politiques ». Selon nos informations, ses supérieur·es ont estimé que ce cadre A de la fonction publique ayant essentiellement occupé des fonctions de « rédacteur » ces dernières années (producteur de notes et d’analyses), il n’avait pas les compétences requises pour encadrer.

Surtout, l’administration connaît par cœur ses casseroles. En langage diplomatique, le ministère répond ainsi à Mediapart qu’il « doit […] tenir compte dans sa politique d’affectation » non seulement « de l’adéquation des profils et des postes », mais aussi « de la manière de servir des agents et de l’intérêt du service (et des contraintes de sécurité) ». 

Quand il était en Éthiopie entre 2015 et 2017, comme deuxième conseiller d’ambassade, Rémy Queney est passé tout près d’un « vol bleu », soit un rapatriement pour faute imposé en urgence. Cette humiliation évitée, il a tout de même été forcé à un retour en France anticipé.

« Administrativement, c’est moi qui ai demandé mon retour », précise-t-il. Mais il accuse l’ambassadeur de l’époque d’avoir « exercé sur [lui] une forte pression psychique pour [le] contraindre à demander [lui-même son] départ ». C’est que ses supérieurs avaient quelques griefs.

Il peut arriver qu’entre agents […] on plaisante en disant le “Gay d’Orsay”.

Rémy Queney

Le problème s’est particulièrement manifesté lors de ses voyages. À l’aéroport d’Addis-Abeba, ce représentant de la France a multiplié les comportements déplacés pour des histoires d’attribution de siège ou de contrôles de sécurité. « J’étais quelques fois impatient en termes de caractère », concède-t-il, ajoutant qu’il ne s’est « pas adapté au pays de façon idéale et suffisamment rapidement ». Quant aux Éthiopiens, ils « sont à juste titre très fiers et [il a] dû faire parfois quelques remarques lors de [s]es voyages en avion qu[’il] n’aurai[t] pas dû faire ».

Un jour, alors qu’il s’apprête à s’envoler pour des vacances privées aux Seychelles, Rémy Queney est empêché d’embarquer à bord d’un vol d’Ethiopian Airlines, faute de disposer du carnet de vaccinations obligatoire. Il choisit non seulement d’adresser des messages de réclamation furieux à la compagnie, mais également de le faire via sa messagerie professionnelle. Pour mieux faire pression ? Le haut fonctionnaire répond à Mediapart que ce choix était lié à des problèmes de « connexion internet » dans le pays.

L’ambassade est alertée par la compagnie aérienne. Et selon Rémy Queney, l’ambassadrice demande peu après « [son] retour à Paris », sans succès. L’épisode contribuera à alourdir son dossier et, in fine, à son départ pour la France.

Son comportement inapproprié a encore laissé d’autres mauvais souvenirs. Rémy Queney a ainsi pu affirmer en 2016, à un chercheur français qu’il rencontrait pour la première fois, qu’il existait « trois lobbies » au ministère des affaires étrangères : « le lobby juif », « le lobby homosexuel » et « le lobby pro-arabe ». Interrogé sur ce point, le diplomate « conteste avoir prononcé cette phrase ». Ou sinon, « ce ne serait évidemment pas une phrase prononcée sérieusement ».

Il n’empêche : « Il peut arriver qu’entre agents du Quai d’Orsay […] on plaisante par exemple en disant le “Gay d’Orsay” ou alors quelques fois plaisanter sur le fait qu’il y a quand même un certain nombre de personnes qui vivent de cette manière (sic) ». S’il ne « [sait] pas exactement » ce que veut dire « le terme homophobie », « en tout cas ça ne [lui] correspond pas ».

Tout de même, souligne Rémy Queney, « il y a une association des homos, bi, et cætera » qui « existe » au ministère et « s’affiche ». Comment ? Il répond sans rire : « Par exemple, on nous donne souvent […] pour accrocher notre carte d’accès un cordon arc-en-ciel. »

Quand on représente la France à l’étranger, on représente y compris […] l’héritage de nos rois.

Rémy Queney

Cinq anciens collègues, croisés au fil des postes, témoignent d’un « comportement caractériel », « inadapté » ou « très centré sur lui-même », parfois d’une « idéologie douteuse ». Lui avance qu’à l’issue de sa dernière mission à l’étranger, soit six mois de renfort à Berlin en 2017-2018, il a reçu une appréciation très positive de la part de l’ambassadrice, devenue secrétaire générale du ministère. « Je n’ai pas toujours un langage […] correspondant à la norme chez les woke, mais je n’ai jamais tenu de propos ambigus », assène-t-il. 

Certains ont bien en tête des blagues sur le nazisme, qui auraient engendré des malaises. Rémy Queney en concède une, à Berlin. Alors qu’un collègue l’emmenait déjeuner et s’excusait de l’inviter à la cantine d’un ministère construit sous le Troisième Reich, il a répondu que le bâtiment « n’était pas si laid ». Son interlocuteur n’a pas du tout apprécié. Mais le diplomate préfère se souvenir d’un pot de départ avec beaucoup de monde et des livres qu’il a reçus, notamment ceux relatifs à l’une de ses passions, Frédéric II de Prusse – et de préciser bizarrement que « Hitler avait [pour ce roi] de l’admiration aussi ».

À vrai dire, Rémy Queney s’intéresse de très près à toutes les royautés, leurs héritiers ou leurs armoiries. Sur les réseaux sociaux, il suit Louis de Bourbon, descendant direct de Louis XIV. « Il est aussi descendant du général Franco [dictateur espagnol – ndlr], donc c’est déjà quelque chose d’intéressant », glisse-t-il. « En France, on a peut-être un peu trop l’habitude de considérer que la Révolution constitue une rupture […]. Moi je pense que quand on représente la France à l’étranger, on représente y compris la France qui précède, y compris l’héritage de nos rois. […] J’ai de la sympathie pour ce passé […] et pour l’idée d’incarnation aujourd’hui. » Avec « une forme de piété pour Louis XVI et Marie-Antoinette, en raison peut-être de la façon dont ils ont été traités ».

Se définit-il comme royaliste ? Alors que la République est inscrite dans le préambule même de la Constitution française, Rémy Queney refuse à plusieurs reprises de répondre. « Ça ne présente aucun intérêt de savoir si je le suis ou non. » Son employeur – et ses électeurs potentiels – apprécieront.

La vérité se niche sans doute dans cette anecdote : le diplomate du RN « aime bien aller à la chapelle expiatoire le 21 janvier ». Soit la date d’anniversaire du décès de Louis XVI, prisée par les catholiques intégristes qui investissent alors ce lieu abritant la dépouille du Monarque guillotiné. Un monument contre-révolutionnaire s’il en est.



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