• ven. Sep 20th, 2024

Élection présidentielle en Iran : le grand retour du camp réformiste  

ByVeritatis

Juil 6, 2024


Ils étaient devenus invisibles : les uns en résidence surveillée, voire emprisonnés, les autres totalement discrédités par leur absence de soutien au grand mouvement de contestation « Femme, vie liberté » né de la mort de Mahsa Jina Amini, en septembre 2012, pour un foulard mal porté et leur refus de condamner l’effroyable répression du régime. Non sans une certaine surprise, les réformateurs viennent pourtant de faire leur grand retour sur la scène politique iranienne en remportant l’élection présidentielle qui s’est tenue vendredi 5 juillet, avec quelque trois millions de voix d’avance.

À peu près inconnu des Iraniens, le candidat réformateur Massoud Pezeshkian, un médecin de 69 ans, surnommé le « docteur » par ses partisans, député et ancien ministre de la santé, a remporté l’élection avec 53,6 % des suffrages, soit plus de 16 millions des voix. Son adversaire Saïd Jalili, figure un peu plus connue du camp ultraconservateur, notamment pour ses positions radicales, a obtenu 44,3 % des suffrages, soit 13 millions des voix.

Massoud Pezeshkian, le 14 jun 2024 à Téhéran en Iran © Atta Kenare / AFP

Quelque 61 millions d’Iraniens étaient appelés aux urnes dans les 58 638 bureaux de vote du pays. La participation s’est établie à 49,8 %, en sensible progression par rapport au premier tour marqué par une forte abstention − plus de 60 %, soit la plus forte en quarante-cinq ans de République islamique. Le scrutin avait été organisé à la hâte après le décès de président ultraconservateur, Ebrahim Raïssi, dans un accident d’hélicoptère le 19 mai.

« Le chemin devant nous est difficile. Il ne sera facile qu’avec votre collaboration, empathie et confiance. Je vous tends la main », a déclaré le candidat vainqueur.

La victoire de Massoud Pezeshkian doit beaucoup à Mohammad Javad Zarif, ancien ministre des affaires étrangères de Hassan Rohani et le négociateur de l’accord nucléaire de 2015, lequel avait permis de desserrer l’étau des sanctions internationales. C’est lui qui a mis en lumière la campagne de son poulain. Ce dernier a aussi reçu le soutien de deux anciens présidents, le réformiste Mohammad Khatami et le « conservateur pragmatique » Hassan Rohani.  

De son côté, Saïd Jalili a sans doute contribué à rallier au candidat réformiste de nombreux électeurs inquiets de ses positions très dures sur la question du voile, sa proximité avec les pasdarans et les mandataires (proxies) de l’Iran, du Hezbollah libanais aux rebelles houthis du Yémen et au Hamas, et son agenda politique résolument anti-occidental.

Ses déclarations pendant la campagne, faisant référence à Gaza, où il affirmait que l’Iran ne craignait pas la guerre, ont aussi fait peur. La population se souvient également de ses positions radicales lorsqu’il dirigeait, entre 2007 et 2013, les négociations sur le nucléaire et qu’il s’était opposé fermement à l’accord conclu finalement en 2015 entre l’Iran et des puissances mondiales, dont les États-Unis, qui imposait des restrictions à l’activité nucléaire de la république islamique en échange d’un allègement des sanctions. 

Or, l’un des enjeux de ces élections était la question de ces sanctions qui ont accablé l’Iran, provoquant à la fois une très grave crise économique et financière. C’est pourquoi les différents candidats en ont beaucoup parlé lors de leurs débats.

Le régime dans son ensemble sort vainqueur car l’élection d’un réformateur lui permet de toiletter son image.

Reza Moini, politiste iranien

Quand Saïd Jalili affirmait que la République islamique pouvait se passer des pays occidentaux, en fabriquant ce qu’elle ne peut pas acheter et en se tournant davantage vers la Chine, la Russie et les pays arabes, Massoud Pezeshkian défendait un point de vue inverse en plaidant pour un Iran plus ouvert à l’Occident, y compris un dialogue avec les États-Unis, pour alléger les sanctions mais aussi vendre son pétrole.

« Le pouvoir iranien a profité de la mort d’Ibrahim Raïssi pour se réorganiser, souligne le politiste iranien Reza Moini. Au final, tout le monde est gagnant dans ce scrutin : les réformistes bien sûr. Mais aussi le candidat ultra : il a obtenu plus de 13 millions de voix, ce qui est un score assez honorable pour une personne qui ne représente rien au niveau de l’Iran. Sans oublier ceux qui, dans l’ombre, vont tirer profit de cette ouverture vers les pays occidentaux voulue par Pezeshkian. Et, enfin, le régime dans son ensemble, sort vainqueur car l’élection d’un réformateur lui permet de toiletter son image. »

Le chercheur s’attend donc à « un gouvernement de compromis » avec des personnalités désireuses de sortir de la crise née de la contestation après la mort de Mahsa Amini.

« Engineering électoral »

Reste qu’une abstention importante importe au régime puisqu’il puise dans les élections une partie de sa légitimité.

Dans un aveu exceptionnel entre les deux tours, le Guide suprême de la révolution islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, a d’ailleurs reconnu que certains Iraniens nacceptaient pas le pouvoir en place. « Nous les écoutons et nous savons ce qu’ils disent. Ce n’est pas comme s’ils étaient cachés et qu’on ne les voyait pas. » Et il a semblé s’inquiéter de la forte abstention du premier tour, y compris parmi l’électorat du camp conservateur : « Il y a des raisons (à la faible participation) et les politiciens et sociologues les examineront, mais si quelqu’un pense que ceux qui n’ont pas voté sont contre l’ordre établi, il a tout simplement tort. »

C’est pourquoi, anticipant cette faible participation, le régime avait autorisé la candidature d’un réformiste, faible et peu charismatique, parmi les six prétendants au poste de président.

« À propos de ce scrutin, on peut parler “ d’engineering électoral ”, analyse de son côté l’historien Clément Therme, spécialiste de l’Iran et chargé de cours à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Le système a fabriqué une compétition électorale, ce qui lui permet, du moins à court terme, de gérer la crise de légitimité après le mouvement “Femme, vie, liberté ” et de coopter les mécontentements en créant une semi-opposition chargée de contrer une véritable opposition à la République islamique qui se trouve à l’extérieur du pays. »

Le même chercheur ajoute : « C’est déjà ce qu’il avait fait lors de la précédente crise, celle de 2009, lorsqu’après l’écrasement du Mouvement vert (mouvement de contestation post-électoral née de la société civile après la réélection frauduleuse en 2019 de l’ultraradical Mahmoud Ahmadinejad, ndlr) le conservateur pragmatique Hassan Rohani s’était présenté et avait été élu. Cette fois, l’objectif du régime n’a pas été atteint. Car, s’il fallait retenir un chiffre, ce serait celui de la participation : moins de 50 %. La campagne de boycott a donc bien fonctionné. »

Massoud Pezeshkian devra soit trahir ses promesses en demeurant fidèle au système (…) soit trahir sa loyauté au Guide suprême.

Clément Therme, historien spécialiste de l’Iran

En effet, une large partie de la jeunesse iranienne n’a pas voté pour le « docteur » même si elle reconnaît avoir craint l’arrivée au pouvoir d’un ultra faisant figure d’épouvantail, voire de « taliban ». Contactées à Ispahan (centre de l’Iran), deux jeunes femmes, Afsaneh et Hengameh, confient ainsi avoir longtemps hésité mais n’avoir pu se résoudre à se rendre aux urnes.

« Certes, Massoud Pezeshkian sort gagnant de cette élection mais celle-ci n’a pas mis fin aux divisions entre les réformateurs, remarque Reza Moini. Certains ne sont pas allés voter, d’autres ont appelé au boycott. » Et sur certains sites de personnalités réformatrices, où l’on appelait à voter pour le « docteur », les commentaires ont été particulièrement virulents.

« L’élection de Massoud Pezeshkian risque de provoquer de nouvelles fractures, analyse Clément Therme. Il devra soit trahir ses promesses en demeurant fidèle au système, soit se confronter aux différents cercles de pouvoir non élus de la République islamique, et donc trahir sa loyauté au Guide suprême en rompant avec les principes de ce régime car il n’y a pas de solution de compatibilité entre la permanence de celui-ci, sa survie et la solution aux problèmes économiques du pays. »

Le rôle du président étant limité en Iran, l’élection de Massoud Pezeshkian ne va rien changer sur les conflits en cours, notamment celui de Gaza ou de l’Ukraine, où Téhéran est un fidèle allié de Moscou. Mais pour Reza Moini, l’enjeu du scrutin est d’abord intérieur : « Après le mouvement “Femme, vie, liberté ” et la guerre interne qui s’est ensuivie, non seulement la répression mais l’épuration sociétale, la mise à l’écart de tant de personnalités, jusqu’au sein des pasdarans, il apporte la possibilité à la société civile de se reconstruire et de resurgir. » 



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *