• ven. Sep 20th, 2024

Les prisonniers, victimes oubliées du changement climatique


Serviettes mouillées, brumisateur de fortune… Pour se dérober aux fortes températures, « en prison, il n’y a pas d’échappatoire », témoignaient Jérémie et Alexandre [1] détenus à la prison de Roanne (Loire), joints par téléphone par Reporterre. À chaque vague de chaleur, les personnes incarcérées souffrent. « Pourtant, ça reste un sujet très peu discuté », regrette Prune Missoffe, responsable analyses et plaidoyer à l’Observatoire international des prisons.

D’où l’importance du rapport que publie l’association Notre affaire à tous, spécialiste de la justice climatique et sociale sur les risques climatiques et environnementaux auxquels les personnes détenues sont exposées.

L’équipe s’est basée sur des données officielles, comme le site Géorisques du ministère de la Transition écologique ou les plans de prévention des risques locaux. Elle a détaillé les différents risques encourus dans les 188 établissements pénitentiaires français. Ils sont au nombre de six : canicule, inondation, feu de forêt, submersion marine, tempête, le retrait et gonflement des argiles, qui fait bouger les bâtiments. Les détenus font également face à des risques environnementaux : pollution des sols, proximité avec un site industriel classé, ou avec une voie de transport.

« L’été, la chaleur peut être suffocante »

En Hexagone comme en Outre-Mer, tous les établissements pénitentiaires sont concernés par au moins l’un de ces risques, explique le rapport. Le plus répandu est celui lié aux canicules qui concerne la totalité des centres pénitentiaires français. Dans certains établissements, « l’été, la chaleur peut être suffocante », détaille Dominique Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans son rapport d’activités 2023. Il évoque notamment les 50 °C atteint au centre pénitentiaire de Grenoble-Varces (Isère).

Or ces problèmes vont s’aggraver « dans les années à venir du fait de l’absence d’actions suffisantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre », alerte Notre affaire à tous. D’autant que l’exposition aux fortes chaleurs se cumule avec d’autres risques. Plus d’un quart des établissements pénitentiaires est situé dans des zones à risque moyen ou élevé d’inondation. En Outre-Mer et dans la Direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp) de Marseille, les risques de tempête sont par ailleurs les plus élevés de France.

Lire aussi : Canicule : en prison, les détenus cuisent

Les centres pénitentiaires souffrent également des feux de forêt. En mars 2023, un fort incendie s’était déclaré au-dessus de la maison d’arrêt de Grasse (Alpes-Maritimes). Par mesure de précaution, la promenade en extérieur avait été supprimée pour protéger les 630 personnes détenues.

Des conséquences lourdes sur la santé des détenus

Autre donnée du rapport : un établissement pénitentiaire sur dix est situé à proximité d’un site classé ICPE, c’est-à-dire qui peut présenter des dangers pour l’environnement, la santé et la sécurité publique. Ainsi, lors de l’explosion de l’usine Lubrizol en 2019, « tout le quartier de semi-liberté a été réveillé au moment de l’incendie, ils ont pensé que la station-service située à côté de la prison avait explosé et ils se sont vus mourir », expliquait à TF1 Me Massardier, l’avocate de deux personnes détenues à la Maison d’arrêt de Rouen. « Certains ont même développé des symptômes de déshydratation, l’eau leur paraissait impropre », poursuivait-elle.

Enfin, plus de la moitié des établissements pénitentiaires sont situés sur des sols potentiellement pollués. En Île-de-France, par exemple, 94,4 % des établissements sont concernés par un risque de pollution des sols.

Cela a des conséquences directes sur la santé des personnes détenues. Les fortes chaleurs et l’exposition à des pollutions sont autant de facteurs qui peuvent conduire à des malaises, au développement de pathologies, ainsi qu’à l’aggravation de maladies chroniques, comme les pathologies cancéreuses. Sans compter les « facteurs aggravants », explique Notre affaire à tous. La surpopulation carcérale chronique par exemple : dans les maisons d’arrêt, le taux d’occupation moyen dépassait 146 % au 1ᵉʳ juillet 2023.

Tout comme l’Observatoire international des prisons, Notre affaire à tous insiste sur la nécessité de « revoir la politique d’enfermement massif, absolument incompatible avec une politique d’adaptation au changement climatique », selon Chloé Lailler, coordinatrice du rapport interviewée par Reporterre. « Si on continue dans ce sens, on va aller vers des conditions d’incarcération de plus en plus insoutenables », dit Prune Missoffe, de l’OIP. Au 1er janvier 2024, 76 000 personnes étaient incarcérées en France.



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