• sam. Sep 21st, 2024

À la rencontre des sauterelles, ces artistes en herbe


Cet article est publié en partenariat avec la Revue Salamandre.


« Rouge, émeraude, bleu, jaune, brun… vous en verrez de toutes les couleurs ! Cabrioles, sauts périlleux, numéros d’équilibristes, cache-cache, violonistes… Prenez-en plein les mirettes et les oreilles, jusqu’au bout de la nuit ! »

Imaginez l’annonce d’un tel show dans votre jardin ou dans l’espace vert voisin, y croiriez-vous ? Et si, en plus, on vous révélait que les têtes d’affiche sont une vulgaire bande de sauterelles, il y a fort à parier que vous passeriez votre chemin en criant à la publicité mensongère.

Pourtant, vous êtes officiellement invité à réserver une belle journée de juillet, tout près de chez vous. ­Munissez-vous d’une loupe ou d’une paire de jumelles, bloquez l’après-midi, la soirée et la nuit dans votre agenda… C’est parti !

Scène 1 : 11 h 45, rue des framboisiers

Pour démarrer cette tournée de spectacle vivant, une ouïe fine est nécessaire. Une discrète, mais insistante stridulation se joue en lisière de la haie de petits fruits. Elle fait indéniablement penser à une crécelle. Approchons.

Le soleil frappe déjà pleinement l’herbe jaunie et clairsemée. La terre craquelée gagne chaque jour du terrain sur la pelouse. Un microclimat parfait pour le criquet noir-ébène.

Il est là ! Dissimulé par l’ombre d’un brin de graminée, c’est la vibration d’un fémur qui trahit sa présence. En frottant ce dernier, muni d’une râpe dentée, contre la nervure spécialement épaissie de son aile antérieure — élytre —, le musicien joue invariablement sa partition.

Le criquet noir-ébène.
© Éric D’Hossche / Adobe stock

Ce mâle territorial reste farouche, soyons discrets. De plus près, l’insecte montre une subtile apparence, loin des a priori dont souffrent ces habitants de l’herbe. Pointe de l’abdomen rouge sang, ventre d’un vert lumineux et motifs bariolés encadrent avec finesse son corps brun sombre.

Les grands yeux noirs et brillants sont surmontés d’antennes robustes et courtes, typiques des caélifères — criquets. D’un geste imperceptible, l’acteur bondit à une vingtaine de centimètres et disparaît dans la végétation. Il n’y aura pas de rappel. Bravo l’artiste.

Scène 2 : 13 h 20, impasse de l’hôtel

La foule s’agite au pied de l’immeuble en bois qui abrite notamment la tribu des abeilles solitaires. Âmes sensibles s’abstenir, les cascades sont réelles, les figurants risquent leur vie chaque jour.

Le show aérien est assuré par un autre genre de colocataire de l’hôtel, une guêpe noire : l’isodonte mexicaine. Entre ses pattes, la pauvre victime n’est autre qu’un méconème fragile, une frêle sauterelle traditionnellement capturée par le robuste hyménoptère d’origine américaine.

La réalité dépasse ici la fiction, le destin de la verte proie paralysée sera de nourrir les larves du prédateur. La danse macabre se joue au son de la decticelle bariolée, une autre espèce de sauterelle perchée dans le rosier. L’élégante arbore un joli motif vert pâle en forme de U en arrière de la tête, sur le pronotum. Sa stridulation très audible — qui fait penser au bruit d’un vélo en roue libre ou au chant d’une locustelle — est émise par un frottement des élytres l’un contre l’autre.

Scène 3 : 16 h 35, terrain vague

Rendez-vous dans la cour, en plein cagnard. Décor minimaliste de gravillons brûlants et de poussière grise. Le programme annonce un numéro d’illusionniste. Personne en vue, est-il en retard ? Avançons un peu… toujours rien. Encore un pas… Et hop ! Une cabriole d’une fraction de seconde, étincelante de bleu vif, puis à nouveau le néant.

Disparu. Époustouflant ! Tentons l’expérience à nouveau : un pas de plus. Rebelote ! Encore plus haut, encore plus éphémère. Pas moyen de voir l’artiste au sol.

L’œdipode turquoise.
© Adobe stock

Posons-nous et guettons attentivement sans bouger. Là, parmi les cailloux beiges, gris et noirs une forme étrange habillée de motifs de camouflage. C’est bien lui, l’œdipode turquoise. Ce criquet aux ailes colorées habite les terrains nus et pionniers. Il échappe à la vue aussi bien qu’à l’oreille, sauf lorsqu’il fuit dans un vol quasi aléatoire, suivi d’un atterrissage souvent maladroit.

Scène 4 : 19 h 50, chemin du lilas

Si le soleil baisse, la chaleur, quant à elle, ne faiblit pas. La représentation de la grande sauterelle verte, acrobate aux longues guiboles, est prévue dans les branches de l’arbuste. Une fois encore, la musique du personnage principal nous guide vers la meilleure place. Ses stridulations produisent des strophes constituées de notes bisyllabiques aiguës au volume à peu près constant.

La grande sauterelle verte.
© Franck Stefanini / Adobe stock

Notons que leur rythme augmente avec la température environnante. La voici qui passe de branche en branche en étendant ses longs membres. Cette fois, c’est un petit vol qui déploie ses larges ailes d’un vert délicat. Une vraie fée… mais une fée carnivore, en quête de menus insectes.

Une oreille attentive remarquera que trois ou quatre de ses congénères lui font écho dans la végétation alentour. Tettigonia viridissima est clairement une voix phare de l’été.

Scène 5 : 22 h 40, clos des chardons

Il nous a été impossible d’assister à toutes les exhibitions. Tant pis pour le conocéphale gracieux et sa sérénade stridente, le numéro de la paire des bien nommés criquets duettistes, ou encore le cache-cache incroyable du minuscule tétrix commun.

Pour clore la soirée, finissons en beauté avec le violoniste virtuose, le grillon d’Italie équipé de son Stradivarius, il joue la bande originale des nuits d’été avec un répertoire doux et lancinant, propice à la contemplation des étoiles et aux rêves les plus inspirants. Débusquer l’artiste relève de l’exploit, tant il excelle dans le brouillage acoustique.

Qu’à cela ne tienne, voici un très chouette défi pour ce début de nuit. Direction les chardons !


3 faits passionnants à connaître

Alors qu’ils abritent aussi les grillons, les criquets et même la courtilière, la connaissance populaire réduit souvent leur belle diversité au seul terme de sauterelle. Les orthoptères, du grec orthos — droit — et pteron — ailes — sont omniprésents autour de nous, surtout d’avril à octobre. Dans leur stade adulte, ils se montrent avant tout lors de bonds dynamiques ou de vols brefs devant nos pas pressés.

Au repos, leurs ailes postérieures membraneuses sont pliées et protégées sous les ailes antérieures rigides, les élytres. Insectes chanteurs, ils stridulent et se font entendre des oreilles les plus fines.

Nos régions n’abritent qu’une faible proportion des 27 000 espèces d’orthoptères connues dans le monde, dont un millier en Europe. Pour autant, découvrir les 260 représentants qui nous entourent est déjà une fascinante aventure naturaliste qui peut commencer sur le pas de la porte.

Les courageux grimperont sur les hauts sommets de Suisse — pays qui compte 115 espèces —, d’autres baladeront leur loupe dans les landes wallonnes — 73 criquets, sauterelles et grillons sont visibles en Belgique. En France, grâce aux habitats variés et au contexte méditerranéen favorable, on rencontre près de 220 espèces.

Si le printemps s’offre au concert des oiseaux, la bande-son de l’été est davantage celle des orthoptères. Les trois quarts de ces insectes sont chanteurs. Bémol, seuls 25 à 40 % de ces choristes s’expriment dans des fréquences qui nous sont accessibles. Pour profiter des stridulations perchées dans la gamme des ultrasons, des appareils de détection sont nécessaires, comme pour les chauves-souris.


Cet article est issu du N° 282 de la Revue Salamandre « Le Clan des marmottes »).

© La Salamandre

La Revue Salamandre est un magazine indépendant à but non lucratif, qui révèle tous les deux mois la vie extraordinaire des animaux et des plantes sauvages qui vivent sur le pas de votre porte. Abonnez-vous ici.



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