• dim. Sep 22nd, 2024

le funeste destin du pangolin africain


Ntoumba (Cameroun), reportage

Le jour se lève à peine à Ntoumba, localité enclavée du sud Cameroun. Dans ce hameau, l’activité principale des villageois repose sur la chasse et la cueillette. Le petit village infesté de braconniers connaît tout type de trafic d’espèces fauniques protégées. Gorilles, chimpanzés, perroquets à queue rouge, et surtout les pangolins.

En cette matinée d’été, le soleil pointe à l’horizon. Les habitants se réveillent à peine. Thomas, un vieux braconnier du coin, sort tout à coup de la forêt, où il y a passé des heures de chasse nocturne. Sur son dos, une vieille gibecière bleue chargée de gibiers. Au total, 1 lièvre, 1 porc-épic et 2 pangolins. « La prise aurait pu être meilleure, déclare le braconnier, mais faute de munitions, je n’ai pu attraper que ces quatre gibiers. »

Dans sa case, deux acheteurs l’attendent. Deux dames affutées dans le trafic. La transaction se déroule normalement. Car le braconnage est presque une religion dans cette zone forestière du Cameroun. Les deux pangolins acquis à 15 euros chacun sont enfouis dans un sac nylon dans lequel se trouvaient déjà trois autres. Le colis est acheminé par la suite au grand marché de la ville de Sangmelima pour être écaillé.

300 à 600 dollars le kilo d’écailles

Dans son restaurant, Diane vend de la viande de pangolin. Elle aussi s’approvisionne auprès des braconniers de son village. Elle confie tirer profit non seulement de cette activité, mais aussi de la vente des écailles auprès des collecteurs.

Au Cameroun, « le trafic transfrontalier du pangolin et de ses dérivées a poussé à la surexploitation de ce mammifère inoffensif », reconnaît Étienne, un collecteur d’écailles, déguisé en acheteur d’amandes. À l’intérieur d’un sac plastique attaché à l’arrière de sa moto se trouvent près de 5 kilogrammes d’écailles de pangolins, représentant une dizaine de mammifères sacrifiés. Il faut 3 à 4 pangolins pour produire 1 kg d’écailles, d’après un rapport publié en 2013 par l’Organisation mondiale des douanes.

Dans les campagnes et les restaurants de fortune au Cameroun, les écailles de pangolins sont rassemblées par des collecteurs locaux, qui les dissimulent dans des sacs. Puis les colis sont acheminés à Yaoundé ou Douala, pour être exfiltrés frauduleusement vers l’Asie et être vendus à prix d’or. « Depuis 2008, le prix des écailles de pangolins dans la province du Yunnan en Chine a augmenté de 300 à 600 dollars le kilogramme », soit entre 275 et 550 euros, confie Zhou Jinfeng, le secrétaire général de la China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation (CBCGDF), une fondation chinoise qui milite pour la conservation de la biodiversité.

La situation est donc critique, s’inquiète l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L’espèce est menacée de disparition. Face aux messages alarmistes des organisations et activistes environnementaux, les États se mobilisent, mais timidement.

Une espèce pourtant protégée

Les pangolins sont en passe de devenir un point névralgique de leur trafic, selon The Last Great Ape Organization (Laga), une ONG camerounaise qui accompagne le gouvernement dans l’application de la loi faunique. Bien que protégés par des lois, ces mammifères sont aujourd’hui considérés comme menacés d’extinction.

Grâce à une dénonciation de Laga en janvier 2017, « une cargaison de 5 tonnes d’écailles de pangolins prête à être exportée a été saisie entre les mains d’un ressortissant chinois à l’aéroport international de Douala. Le suspect a été arrêté et condamné à quatre mois de prison ferme par un tribunal camerounais », confie Éric Kaba Tah, le directeur adjoint de l’ONG de défense de la cause faunique. Et d’ajouter : « Plus de 900 trafiquants ont été arrêtés ces dernières décennies », et la plupart condamnés pour trafic d’espèces fauniques protégées.

Des écailles de pangolin saisies par les des douanes de Hong Kong, le 1er février 2019. La Chine est un marché privilégié pour le trafic camerounais.
© AFP / Anthony Wallace

Conscient des difficultés en matière d’application de la loi faunique de 1994 au Cameroun, Laga dit s’être engagée au côté de l’État, et avoir mis en place une stratégie dans « la collecte des informations de terrain », l’assistance des équipes du ministère des Forêts et de la Faune, l’accompagnement de l’État dans les procédures judiciaires jusqu’au jugement dans des tribunaux, la vulgarisation des jugements et la « sensibilisation de la population contre le trafic d’espèces protégées ».

D’après un rapport publié en septembre 2020 par le Center for Advanced Defense Studies, une organisation qui analyse les problèmes de sécurité transnationale, les saisies d’écailles et de viande de pangolin par les autorités ont atteint un niveau record en 2019 à l’échelle mondiale, soit plus de 128 tonnes saisies. Ce qui représente une hausse de plus de 200 % par rapport à l’année 2014.

Un produit aphrodisiaque

En Afrique et davantage en Asie, les pangolins sont victimes des croyances de la médecine traditionnelle. En Chine, l’un des plus grands marchés asiatiques d’écailles de pangolins, la poudre obtenue de ces écailles aurait, selon la tradition de l’empire de Mao, des vertus aphrodisiaques et tonifierait l’organe sexuel masculin.

Elle serait également un remède aux maladies hépatiques et cutanées, mais aussi aux douleurs menstruelles. Des superstitions aux résultats non confirmés scientifiquement. Et en Malaisie comme au Vietnam, les écailles de pangolins sont utilisées comme accessoires de beauté.

Pour réduire la saignée, le Cameroun a renforcé son arsenal juridique, à la suite de l’interdiction du commerce international du pangolin, dans le cadre de la Cites, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Selon la législation nationale, toute personne trouvée en possession d’un pangolin ou d’une partie de l’animal sans permis est considérée comme l’ayant capturé ou tué, et risque un emprisonnement de 1 à 3 ans ferme et une amende de 4 751 à 15 200 euros.

Au ministère camerounais des Forêts et de la Faune, un responsable contacté par Reporterre se dit optimiste. « Le nouveau projet de loi sur le régime des forêts et de la faune, déposé au Parlement en juin 2024, viendra davantage renforcer la lutte contre la criminalité d’espèce protégée », espère-t-il. Cependant, un acteur de la société civile ayant requis l’anonymat nuance cet optimisme. Ce dernier dit craindre qu’une simple volonté ne suffise pas à éradiquer ce trafic enraciné : « La corruption gangrène [le pays] et a créé des métastases dans tous les secteurs de la vie publique au Cameroun. »



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