• jeu. Oct 3rd, 2024

À Paris, des expulsions à un rythme olympique


Paris, reportage

Le jour à peine levé, le ballet des voitures a déjà repris sur le périphérique parisien. Tandis que des camions rentrent dans le parc de la Villette pour décharger leur cargaison, quatre cars sont stationnés, la porte ouverte et le moteur coupé. Si l’on s’éloigne, ils deviennent invisibles sous le pont qui leur sert de toit. Le long du canal, tour à tour, des hommes, les visages fatigués, sortent de leurs tentes vertes, rouges et bleues alignées sur le quai entre la ville de Pantin et le Zénith de la Villette. 250 personnes sont encore là ce mardi 16 juillet à l’aube — une partie a quitté les lieux la veille. Afghans, Érythréens ou Soudanais, ils ramassent leurs maigres affaires dans des cabas en plastique. Certains de ces hommes dormaient là depuis plusieurs mois, d’autres quelques jours. Aucun ne devrait passer la prochaine nuit ici.

Les associations dénoncent un « nettoyage social » au service des JO.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

À 7 heures pile, les CRS, armés de leur nouvel écusson « Pays hôte Paris 2024 » au bras gauche, arrivent pour détruire le campement et transférer ses « habitants ». Leur destination : l’un des centres d’accueil et d’évaluation des situations (CAES) en Île-de-France ou bien le sas de Besançon (Doubs). Ce centre d’accueil temporaire fait partie des dix unités créées au printemps 2023 par le gouvernement dans les Régions pour abriter loin de Paris — et pour un temps — les personnes exilées en vue des Jeux olympiques (JO).

Un Paris « carte postale » pour les JO

Combien de temps les personnes seront accueillies dans ces centres ? « Au moins un mois, peut-être jusqu’à mi-septembre, le temps de ne pas gâcher la belle carte postale de Paris pendant les JO », répond Paul Alauzy, coordinateur veille sanitaire à Médecins du Monde et porte-parole du Revers de la médaille. Le collectif qui regroupe 80 associations (dont le Secours catholique, Action contre la faim…) a été créé pour dénoncer l’exclusion des personnes les plus précaires pendant les Jeux. « La flamme olympique va passer juste ici lors de la cérémonie d’ouverture le 26 juillet avant de rejoindre le parc de la Villette. Un campement, ça ferait tache sur les images », ajoute-t-il ironiquement.

Le but : abriter loin de Paris — et pour un temps — les personnes exilées en vue des Jeux olympiques.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Si expulser les personnes exilées — ainsi que les communautés roms — de leurs lieux de vie est fréquent, les associations observent une intensification depuis quelques mois à Paris et en proche banlieue. « Cette expulsion n’est qu’un exemple parmi une longue série, plus on se rapproche des JO, plus le nettoyage social s’accélère », constate Paul Alauzy, amer. Bidonvilles, campements de tentes, squats… Selon le rapport Circulez, y’a rien à voir du collectif publié en juin dernier, les expulsions pour la période allant d’avril 2023 à mai 2024 en Île-de-France ont concerné 12 545 personnes. Soit une augmentation de 38,5 % par rapport à la période 2021-2022. Parmi ces personnes, 3 434 étaient mineures, soit deux fois plus que l’an dernier, et presque trois fois plus qu’en 2021-2022.

« On a été chassées par la police »

Pendant qu’une pelleteuse détruit les tentes — les exilés n’ont pas le droit de les garder — sous le regard médusé des coureurs ou des cyclistes sur le quai, les associatifs s’assurent que les relations soient apaisées avec la police. Progressivement, tous les hommes rejoignent les bus. Seule une personne a accepté de partir pour Besançon, les autres préférant rester en Île-de-France. « Ça démontre l’échec des sas en région, la plupart ont un travail, de la famille, des amis et connaissent les associations ici, ils n’ont aucun intérêt à changer de région pour un mois », poursuit Paul Alauzy.

Un collectif, Le Revers de la médaille, regroupe 80 associations et a été créé pour dénoncer l’exclusion des plus précaires pendant les Jeux.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Ce jour-là, une rumeur circule parmi les associations : une grande station Vélib’ (les vélos en libre service) serait installée à l’emplacement du campement le temps des Jeux. L’objectif serait de faciliter les déplacements entre le nord de Paris et le parc de la Villette qui accueillera sur la période 700 000 visiteurs dans une fan zone entièrement dédiée à l’équipe de France. Sollicités par Reporterre, ni la mairie de Paris, ni l’opérateur Smovengo n’ont répondu sur ce sujet. Quelques heures après l’évacuation de la zone, il n’y avait aucun signe de travaux ni de Vélib’.

Squats, camps, gymnases… et zéro place d’hébergement pérenne

Sur place, le directeur de cabinet du préfet de la région Île-de-France Christophe Noël du Payrat répète que ces évacuations n’ont aucun lien avec l’organisation des Jeux : « Le campement posait un certain nombre de problèmes de salubrité, j’ai du mal à comprendre cette critique de “nettoyage social” car on propose des mises à l’abri aux personnes » — des places temporaires et hors de Paris, donc. Ce que réclame le collectif Le Revers de la médaille, c’est la création nette de 20 000 places d’hébergement pérenne sur l’ensemble du pays, dont au moins 7 000 en Île-de-France.

Si expulser les personnes exilées de leurs campements de fortune est fréquent, les associations observent une intensification depuis quelques mois à Paris et en proche banlieue.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Invité à prendre la parole à la conférence de presse organisée par le collectif dans la soirée, Abdi fait partie des nombreux exilés qui ont refusé de rejoindre un sas en région. Le jeune homme originaire d’Afrique de l’Ouest a vécu huit mois dans le squat de Vitry-sur-Seine. Avec lui, 450 personnes ont été délogées du lieu à 100 jours du coup d’envoi des JO. « Depuis, je suis à la rue, j’attends un titre de séjour, un logement et j’ai effectué des démarches pour faire une formation, c’est de plus en plus difficile. » Il n’en dira pas plus.

© NnoMan Cadoret / Reporterre

C’est ensuite au tour de Milor de s’exprimer devant la vingtaine de journalistes présents. L’adolescente de 16 ans aux cheveux noués en chignon est arrivée en France en janvier dernier après un long voyage depuis la République démocratique du Congo (RDC). « Au départ, je dormais sur le parvis de l’Hôtel de ville avec d’autres jeunes, puis on a été chassées par la police », explique-t-elle, la voix haute. Très vite, la jeune fille a rejoint les Jeunes de Belleville, collectif de 800 mineurs isolés à Paris créé en septembre dernier.

Des familles roms expulsées se retrouvent en tente

Avec eux, Milor a occupé plusieurs lieux comme la Maison des métallos, dans le 11ᵉ arrondissement pour réclamer des hébergements. Si grâce à leur lutte, ils ont obtenu en mai 80 places dans le gymnase d’une école du XXe arrondissement, « c’est seulement pour la nuit, le matin, on doit partir tôt et on erre toute la journée dans la rue en se cachant de la police ».


Tous évitent la police en temps normal. Mais là, « c’est encore pire », abonde Laura, venue témoigner avec Simina, l’une de ses filles de 10 ans. Cette mère de 32 ans aux longs cheveux noirs ne sait pas où ses quatre enfants, auparavant scolarisés à Villeneuve-la-Garenne, feront leur rentrée en septembre. Comme elle, dix autres familles roms ont été expulsées mi-mai du terrain qu’elles occupaient depuis près de deux ans dans des logements préfabriqués à Saint-Denis. Désormais en tente sur un autre terrain dans la commune, « il n’y a pas de douche, rien pour faire à manger ».

Elle regrette qu’une partie de la population ait été complètement exclue de ces jeux. « Pourquoi cacher la misère ? Toutes nos différences, c’est une grande richesse, on aurait pu amener du folklore. » En attendant, les expulsions continuent. Deux autres campements du nord-est parisien de 150 et 80 personnes doivent être évacués ce mercredi matin.



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