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les poissons des récifs en danger


18 juillet 2024 à 09h13
Mis à jour le 18 juillet 2024 à 10h30

Durée de lecture : 5 minutes

Dans l’océan, l’attention des humains ne se porte pas nécessairement vers ceux qui en ont le plus besoin. C’est ce que met en lumière une étude publiée le 17 juillet dans la revue Science Advances. Ses auteurs montrent que les poissons de récif les plus menacés sont également les plus ignorés par les scientifiques et le grand public. Notre intérêt se focalise en grande majorité sur les espèces considérées comme « belles » ou intéressantes économiquement. Au risque de laisser d’autres poissons, moins charismatiques mais essentiels, disparaître en silence.

L’équipe de scientifiques est parvenue à cette conclusion en collectant des données obtenues sur des réseaux sociaux (Twitter, Flickr), des encyclopédies en ligne (Wikipedia), ou encore des bases de données universitaires (Scopus, Google Scholar, Web of Science) et dédiées aux poissons (FishBase). 2 408 espèces de poissons de récif marin ont été prises en compte dans leurs recherches.

Maquereaux, thons… sont énormément étudiées par les scientifiques

En analysant les statistiques de consultation de leurs pages Wikipedia, ainsi que le nombre de fois où elles étaient mentionnées dans des articles universitaires et sur les réseaux sociaux, les chercheurs ont pu mesurer l’attention accordée à chacune d’entre elles par les humains.

Ils ont constaté de grandes disparités. Sur Wikipedia, par exemple, les pages consacrées aux 2 408 espèces étudiées cumulent de 17 millions de vues. La moitié de ces recherches ne concerne pourtant que 7 % de ces poissons de récif. 1 % d’entre eux concentrent, à eux seuls, un cinquième des consultations. Ces inégalités de traitement sont encore plus criantes dans le domaine de la recherche. La moitié des publications scientifiques portent sur seulement 1 % des espèces étudiées.

L’aire de vie des poissons semble jouer un rôle important : plus la zone de répartition géographique d’une espèce est étendue, plus elle est susceptible d’être jugée digne d’intérêt par les scientifiques et le grand public. L’usage qui en est fait (ou non) est également déterminant. Les espèces les plus pêchées (comme par exemple les maquereaux, les bonites et les thons) font l’objet d’un nombre disproportionné d’études scientifiques. « L’intérêt commercial prime pour le monde académique, parce que le financement est souvent lié à l’intérêt économique des espèces », explique à Reporterre Nicolas Mouquet, directeur de recherche en écologie au CNRS et auteur principal de cette étude.

Les poissons les plus en danger pâtissent souvent, à l’inverse, d’un déficit de popularité. L’étude évoque le sort des blennies comme celui-ci (Ecsenius midas, blennie de Midas).
Wikimedia / Jason Marks / CC BYSA 3.0

Les espèces visuellement agréables, culturellement symboliques ou prisées dans les aquariums ont quant à elles tendance à concentrer l’attention du grand public. C’est notamment le cas des poissons-anges, des poissons-papillons et des poissons-chirurgiens, stars de la superproduction Disney-Pixar Le monde de Dory (2016), qui raconte les aventures d’un poisson-chirurgien souffrant de troubles de la mémoire immédiate. Cette préférence pour les animaux attrayants construit un imaginaire « en déconnexion d’avec ce que sont réellement les écosystèmes naturels », regrette Nicolas Mouquet. « C’est une fantasmagorie. »

Les blennies et les gobiidés totalement ignorés

Les poissons les plus en danger pâtissent souvent, à l’inverse, d’un déficit de popularité. L’étude évoque le sort des blennies et des gobiidés, deux familles de poissons « cryptobenthiques » regroupant plusieurs centaines d’espèces. Ses membres, qui se distinguent par leur petite taille, vivent cachés, la nuit. Ils font l’objet d’un nombre infinitésimal d’études, au point que la communauté scientifique peine à accumuler suffisamment de données pour évaluer correctement l’état de leurs populations. « Ils sont complètement hors radar, à la fois pour le grand public et pour la recherche scientifique », constate le chercheur.

Ces deux familles jouent pourtant un rôle clé dans le fonctionnement des récifs coralliens. « Ce sont des poissons recycleurs, qui aident à remettre la matière organique en suspension dans l’eau et font charnière entre les macro et les microécosystèmes » — c’est-à-dire les écosystèmes de grand et de petit volume, comme par exemple une mer, d’une part, et une anémone de mer, qui héberge moult organismes, de l’autre.

« Ce sont des poissons recycleurs »

Elles sont également parmi les plus menacées par le changement climatique. Très dépendants de la bonne santé des récifs, les blennies ne sont pas en mesure de migrer ou de se déplacer vers des zones plus profondes (et donc plus fraîches) lorsque la température de l’eau augmente. « Ils sont excessivement impactés par les vagues de chaleur marine », poursuit Nicolas Mouquet. Sans que cela ne nous émeuve le moins du monde.

Poisson appartenant à la famille des Gobiidae. Avec les blennies, ils font l’objet d’un nombre infinitésimal d’études.
Flickr / CC BYNCSA 2.0 / Bill & Mark Bell

Ces inégalités de traitement peuvent avoir des conséquences concrètes sur le milieu marin. « Une fois que le déclin d’une espèce est engagé, le manque de connaissances ou d’intérêt pour elle n’aide pas à l’arrêter. » En se focalisant uniquement sur quelques poissons emblématiques, sans prendre en compte d’autres espèces moins saisissantes mais tout aussi importantes pour le maintien du grand tissu du vivant, l’humanité se prive « des informations nécessaires pour faire une conservation éclairée », selon le chercheur.

Afin de remédier à cette situation, Nicolas Mouquet recommande de rééquilibrer les efforts de recherche, en aiguillant davantage de financements vers l’étude de la biodiversité « ordinaire », « celle qui n’est pas spectaculaire, ni utilitaire, et dont la beauté est de faire partie d’un système qui fonctionne ». Partager ces savoirs avec le grand public est également crucial. « On en revient toujours à la même chose : il faut plus d’éducation à la nature, dans ce qu’elle a de plus ordinaire. »



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