• lun. Sep 30th, 2024

Les mégabassines, symbole de la lutte des classes chez les paysans


Melle (Deux-Sèvres), reportage

Les mégabassines réactivent la lutte des classes dans le monde paysan : c’est le cheval de bataille sur lequel se focalise le mouvement antibassines à l’occasion des deux jours de « manif’action » organisés ces vendredi 19 et samedi 20 juillet à Saint-Sauvant et La Rochelle, en Charente-Maritime. Cet axe de mobilisation est l’une des leçons tirées depuis la manifestation de Sainte-Soline de mars 2023, et elle a été l’un des objets des débats organisés au Village de l’eau qui s’est installé depuis le 15 juillet en bordure de la ville de Melle, dans les Deux-Sèvres.

Si les inégalités parmi les bénéficiaires des bassines et les laissés-pour-compte sont importantes, c’est parce qu’elles permettent de « déplacer les lignes de conflictualité » portées par le mouvement, analyse Alessandro Pignocchi, ethnologue et auteur de bandes dessinées. Il fait remarquer que « l’on a tendance à considérer les adhérents de la FNSEA [le syndicat majoritaire] comme un bloc unifié, mais cette vision n’est pas pertinente » et ne reflète pas la diversité des situations économiques, et donc des intérêts, des agriculteurs. « Il faut donc aujourd’hui travailler à séparer la tête de la base, à identifier l’élite dominante qui écrase les petits agriculteurs », poursuit Pignocchi.

Pour lui, la criminalisation des mouvements écologistes a permis aux syndicats agricoles majoritaires (FNSEA, Coordination rurale et Jeunes agriculteurs) de se fédérer, et à l’ensemble des adhérents de s’unir contre un bouc émissaire commun : les écolos.

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Pourtant, les cadres du syndicat, comme le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, à la tête d’une exploitation de 700 hectares et président du conseil d’administration du groupe agroalimentaire Avril, et les petits exploitants agricoles qui peinent à joindre les deux bouts à cause de ce même système agroalimentaire, « devraient être des ennemis dans le champ politique, poursuit Pignocchi. C’est pour cela que les actions de ce week-end [du 20 et 21 juillet] visent plutôt le port commercial de La Rochelle, utilisé pour l’export de céréales à des fins lucratives, pour montrer comment le système des bassines permet une spéculation sur les céréales, plutôt que les infrastructures elles-mêmes ».

Alessandro Pignocchi au Village de l’eau.
© Pierre-Yves Lerayer / Reporterre

« Je prélève à peu près 0,01 % » de l’eau de la mégabassine

Si les bassines sont un révélateur des clivages qui parcourent le monde paysan, c’est parce qu’elles ont tendance à bénéficier aux grandes exploitations, au détriment des plus petites. En cause, notamment : les frais engagés pour construire l’infrastructure, et la redevance dont doivent s’acquitter les irrigants, qu’ils soient reliés ou non à la réserve, dans le territoire concerné.

Rémi Laurendeau, maraîcher irrigant sur une petite exploitation dans le périmètre de la bassine de Sainte-Soline, à laquelle il n’est pas raccordé, résume le problème : « France AgriMer a récemment annoncé des subventions pour le matériel d’irrigation. En regardant les investissements qu’il faut réaliser pour recevoir ces subventions, j’ai compris que ce n’était pas fait pour moi. »

Ces aides ne sont en effet délivrées qu’à partir de 2 000 euros d’investissement, un niveau « bien supérieur » aux frais engagés par le maraîcher, qui s’efforce « de faire de la récup’, d’investir le moins possible dans le matériel, parce que la taille de mon exploitation ne permet pas de dégager des marges suffisantes pour réinvestir autant ». Il paie pourtant son eau plus cher, car il a été tenu d’adhérer à la Coop de l’eau, l’organisme porteur de projet qui distribue les volumes d’eau dans le bassin versant, et doit donc contribuer à en financer une partie. « C’est paradoxal, quand on pense que je prélève à peu près 0,01 % du volume concerné dans le bassin sud des Deux-Sèvres », soupire Rémi Laurendeau.

Une étude de la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine souligne ainsi que les exploitations irrigantes sont en moyenne un quart plus grandes que les non-irrigantes. Elles ont des moyens de production par actif (matériel agricole, matériel d’irrigation, tracteurs, etc.) plus importants d’un quart à un tiers. Elle rappelle aussi que trois irrigants rattachés à Sainte-Soline utilisent, à eux seuls, plus de 13 % des volumes totaux de la bassine, répartis entre 26 agriculteurs. Autrement dit : la part belle des bénéfices fluctue, avant tout, vers les pontes locaux de l’agriculture.



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