• ven. Sep 20th, 2024

Terminé la tondeuse ! Cet artisan remet la faux à la mode


Durbuy (Belgique), reportage

Au fond du jardin, parsemé d’îlots de végétation propices à certaines espèces, Peter, béret sur la tête et chemise à carreaux sur le dos, se livre, sous un fin rideau de pluie, à une démonstration de fauchage à la faux. D’abord avec un manche ardennais qu’il a conçu lui-même. « Je l’aime bien, il est droit donc plus facile, un peu archaïque », dit-il. Puis avec un modèle autrichien, « plus adapté pour la montagne ». D’un geste rapide et assuré, le faucheur trace des arcs devant lui, balance son buste de droite à gauche, le coude légèrement plié. Le métal caresse l’herbe qui, instantanément, courbe l’échine. Passé cinq minutes, Peter arrache une touffe d’herbe, essuie sa lame, qu’il aiguise avec une pierre, toujours mouillée. « En Belgique, les anciens rajoutaient du vinaigre fait maison, l’acidité augmentant le mordant de la pierre », raconte Peter.

De son atelier, le faucheur sort un tabouret spécial, à l’assise arrondie, une enclumette à tête large plantée au bout. Il prend place, pose sa lame sur le métal et commence à marteler le biseau. Il alterne ensuite avec le modèle portatif à tête étroite, qu’il enfonce directement dans la terre. « Quand le métal bouge un peu, c’est que c’est bon », commente-t-il. Cette technique, appelée « battage », permet de maintenir le tranchant de son outil.

Peter de Schepper procède au battage sur enclumette.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

L’homme et la faux

Depuis 2010, Peter de Schepper organise des stages de fauchage pour des groupes de huit personnes, chaque année de mai à septembre, et ce dans toute la Wallonie. Particuliers possédant un carré de pelouse, indépendants en parcs et jardins, paysans cultivant quelques hectares de terre, groupes de citoyens créant un jardin-forêt… Le profil des stagiaires varie, les âges aussi.

Avec son épouse, Christina, ils vendent également du matériel de fauchage, majoritairement importé d’Italie et d’Autriche, deux pays réputés pour leur savoir-faire en la matière. « C’est un domaine où il est important de conseiller et pas juste vendre pour se faire de l’argent », souligne Christina, qui, par mail et au téléphone, prend le temps de guider les clients.

Après avoir vécu en Irlande et dans plusieurs communautés gandhiennes du sud de la France, le couple américano-flamand s’est installé dans ce village ardennais en 2003. « On a fait la maison nous-mêmes, à base d’un maximum de récup’ », dévoile Christina, à l’énergie solaire. Autodidacte et adepte du travail du bois à l’ancienne, Peter a monté une ossature traditionnelle à tenons et mortaises. L’atelier voisin, construit en amont, lui a servi de prototype. Aujourd’hui, l’artisan y fabrique divers objets en bois, sans moteur ni électricité, à la force de ses bras et à l’aide d’outils manuels.

En plus du matériel de fauchage, il commercialise ses ouvrages via Le Pic vert, une microentreprise qui doit son nom à l’oiseau marteleur commun dans cette région, mais aussi à la matière que Peter emploie pour confectionner certaines de ses pièces, du bois vert, provenant de forêts locales et d’arbres de petits diamètres destinés au chauffage.

Peter de Schepper, qui organise des stages depuis 2010, essuie sa lame avec l’herbe fraîchement coupée.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

Son histoire d’amour avec la faux, elle, a débuté en 1988. Lorsque Peter a quitté la banlieue d’Anvers, où il a grandi, pour vivre à la campagne. « Je ne désirais pas d’engin motorisé pour un bout de terre avec des bordures herbeuses », raconte-t-il, assis sur une chaise à bascule façonnée par ses mains, dans le salon à l’ambiance cosy. Il a alors acheté une faux dans un magasin de brico, coupé l’herbe avec, mais « ça n’allait pas trop ». « Je ne connaissais pas encore le potentiel de l’outil. »

Des années plus tard, avec Christina, ils ont loué un chalet dans les Ardennes, avec un plus grand espace à faucher. Un jour, lors d’une fête des vieux métiers, Peter a vu un homme battre sa faux sur une enclumette. « Je lui ai demandé ce qu’il faisait, il m’a montré sa lame bien tranchante. Ma lampe s’est allumée à ce moment-là », confie l’homme de sa voix douce.

À force d’observation, de lecture et de pratique auprès des anciens, Peter a amélioré sa technique, étoffé ses connaissances sur le sujet. Son boulot à mi-temps dans un syndicat d’initiative, où il s’occupait notamment de l’entretien des espaces verts, lui a même permis d’être payé pour s’exercer. « Dans les bois, il fallait retirer les ronces et les orties pour les promeneurs. Les deux autres ouvriers le faisaient à la débroussailleuse, moi à la faux. J’allais aussi vite qu’eux », sourit Peter.

Peter de Schepper dans son atelier.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

Un outil plus doux et écologique

Durant plus de deux millénaires, la faux était commune dans nos campagnes, employée à la fois pour la tonte, la fenaison et la récolte des céréales. « Avant, les paysans faisaient tout à la faux. Puis les chevaux sont arrivés, et les tracteurs ont pris la relève », résume Peter. Si, au siècle passé, quelques irréductibles fauchaient encore pour nourrir leurs animaux, ces derniers ont cessé de transmettre leur savoir, en particulier celui du battage. « Le geste s’est détérioré, on hachait les herbes plutôt que de les couper net. La faux a gagné mauvaise réputation. » Les « machines », comme la tondeuse et la débroussailleuse, jugées plus efficaces, se sont alors imposées.

Dans les faits, la faux n’a rien à envier à ses homologues mécanisés. Elle présente même plusieurs avantages : « Une machine pèse lourd, émet des gaz d’échappement, produit des vibrations désagréables. Alors que la faux est plus légère, il faut juste une pierre à aiguiser autour de sa taille », observe Peter. La faux est également plus « avenante » qu’une débroussailleuse et toute son armada. « Quand tu es équipé comme pour partir à la guerre, les gens n’osent pas s’approcher. Avec la faux, on peut échanger quelques mots. »

Des lames de faux entreposées dans l’atelier de Peter de Schepper.
© Jeanne Fourneau / Reporterre

Selon plusieurs études et programmes de restauration menés à travers le monde, le fauchage traditionnel est le meilleur moyen de favoriser la biodiversité tout en gérant des zones enherbées. Il importe néanmoins de respecter certaines règles, comme « laisser au moins 10 % de zones refuges » et ne pas couper trop à ras.

Pour ceux désirant faire du foin, « il est possible de concilier rendement et écologie », assure Peter. Comment ? « En échelonnant ses périodes de fauchage pour ne pas tout raser au même moment, et ainsi laisser de quoi manger aux autres espèces. » Enfin, contrairement aux idées reçues, faucher à la faux ne prend pas forcément plus de temps que de le faire à la machine. « À condition d’apprendre la bonne technique », prévient le connaisseur.

Objectif : déployer la faux sur tout le territoire

Depuis qu’il donne ses formations de fauchage, Peter, « le seul à enseigner ce savoir en Wallonie », est sollicité de toutes parts. Alors pour répondre aux demandes de stage augmentant chaque année, le couple a pris une décision en 2020 : former d’autres formateurs.

« Notre but est que ceux souhaitant apprendre à faucher n’aient pas à faire des centaines de kilomètres », explique Christina. « Développer le réseau est aussi une façon de rendre la faux encore plus visible », ajoute Peter. Là aussi, le succès fut au rendez-vous. « On s’attendait à avoir 1 ou 2 personnes, juste de quoi assurer la relève. En fin de compte, on a eu une quinzaine de sollicitations ! » se réjouit Christina.

Chaque formation est taillée sur mesure, selon le niveau et l’objectif du stagiaire. Pour l’heure, seules deux personnes ont achevé leur apprentissage, mais d’autres suivront bientôt. De quoi laisser à Peter un peu de répit, et de temps pour s’adonner à ses autres activités : celles d’artisan menuisier… et de paysan bûcheron. « Je coupe les arbres à la hache et j’aimerais faire du bénévolat dans les réserves naturelles. Pour me faire la main, et pour le plaisir… »




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