• sam. Sep 21st, 2024

Des condamnations exemplaires pour les tueurs d’aigles protégés


C’est l’histoire d’une police de l’environnement qui prendrait un peu sa revanche. Après des décennies d’impuissance ou d’attentisme, quelques affaires commencent à payer. Un chasseur a été condamné le 17 juillet à 61 301 euros d’amende et quatre mois de prison avec sursis pour avoir abattu l’aigle le plus rare de France cet hiver, le pygargue. Parallèlement, une autre affaire, qui s’est déroulée dans les Ardennes en mai, a permis d’interpeller trois autres personnes qui auraient empoisonné un autre individu. Le procès est prévu le 30 août.

La première affaire se déroule en Isère. Tout commence le 26 février, quand le téléphone de l’inspecteur de l’environnement Emmanuel Massit sonne. À l’autre bout du fil, le fondateur de l’association Les Aigles du Léman, responsable d’un programme de réintroduction du pygargue à queue blanche, un rapace décimé au XIXe siècle et qui revient péniblement s’installer en France. « Je reçois un appel de Jacques-Olivier Travers qui me prévient : “Notre femelle, baptisée Morzine et relâchée en septembre, ne bouge plus, quelque chose s’est passé” », se remémore l’inspecteur de l’environnement à l’Office français de biodiversité (OFB).

« Pour la beauté du coup de fusil »

Quand l’équipe de l’OFB se rend sur place en suivant les indications de l’association, elle découvre une scène de chasse : des viscères de chevreuil laissés sur place, les traces de pas de deux individus dans la neige, un mouchoir et, un peu plus haut, le cadavre de la femelle pygargue. Elle semble avoir été abattue, ce que confirmera l’autopsie le lendemain : le calibre de la balle est le même que celui des fusils ordinaires utilisés pour la chasse.

Très vite, l’OFB enquête auprès de la société de chasse locale et récupère les noms de deux suspects potentiels. Puis saisit le parquet, lequel déclenche les grands moyens : bornage du téléphone des présumés tueurs, perquisitions et gardes à vue. Confondus par les vidéos retrouvées dans leur téléphone, mais surtout par les plumes conservées en trophée, les deux chasseurs avouent avoir tué « pour la beauté du coup de fusil », selon Jacques-Olivier Travers, qui a eu accès aux procès-verbaux des auditions.

Le tireur a été condamné à une forte amende, mais aussi à l’interdiction de détenir des armes à feu, à l’interdiction de chasser pendant trois ans, au retrait de son permis et à la publication de la condamnation dans une dizaine de revues nationales de chasse. « C’est assez rare et exemplaire, confirme Emmanuel Massit. D’ordinaire, il n’y a jamais de témoin, on retrouve très rarement les auteurs des destructions d’espèces menacées. Là, le tribunal a considéré que c’était bien un acte criminel majeur et a donné les moyens pour une enquête rapide et complète. »

Une quantité 129 supérieure à la dose létale

Une autre affaire bénéficie aussi d’une mobilisation des forces de l’État. Cette fois, nous sommes dans les Ardennes, le 4 mai dernier. Jacques-Olivier Travers, patron de l’association Les Aigles du Léman, a toujours les yeux rivés sur les données transmises par les balises de ses protégés. Visiblement, un jeune mâle, baptisé Michel Terrasse, en hommage à un ornithologue, survole les Ardennes et tournoie au-dessus de plusieurs étangs. Travers le connait bien pour l’avoir relâché en mai 2023.

Il est midi, l’oiseau fait halte sur les bords de l’étang des Brières. « Le soir, il mange un gros repas, quelque chose de déjà mort car je ne décèle aucune action de chasse. Puis il part dormir. Le lendemain, il se réveille, s’ébroue, puis assez vite, ne bouge plus. » Pour l’environnementaliste, cela ne fait aucun doute : l’oiseau est mort. Dès lors, il enclenche une procédure d’urgence pour récupérer son cadavre. « J’envoie un bénévole sur place qui retrouve la bestiole. Il me confirme qu’il n’y a aucune trace de plomb. Du coup, il part en autopsie. » Celle-ci révèle la présence de 3 ou 4 gardons dans son estomac et surtout une quantité 129 supérieure à la dose létale de carbofuran, un pesticide interdit depuis 2008 en France.

La population de pygargues (ici à queue blanche) avoisine les 30 individus en France.
Wikimedia Commons/CC BYSA 2.0/Michael Clarke Stuff

L’oiseau a été empoisonné. Mais par qui ? Pour quoi ? Il semble avoir pris ses quartiers dans un établissement piscicole, un pari pas si idiot pour cet aigle qui raffole des poissons d’eau douce. Fatigué de voir son étang vidé par les cormorans ou les hérons, le propriétaire a décidé de les piéger et de badigeonner des appâts — en l’occurrence des gardons — de cet insecticide puissant. Il assure avoir bien voulu tuer les pique-assiettes, sans viser spécifiquement l’aigle protégé.

« Détenir 26 kg de carbofuran chez soi, les répandre à l’envi, je me demande si ce n’est pas pire qu’un coup de fusil… raconte Jacques-Olivier Travers. Le poison, ça touche tout : les renards, les poissons, votre chien et même un enfant s’il se balade dans le coin. » Trois personnes ont été interpellées début juillet.

Une trentaine d’oiseaux

L’issue de ces deux affaires soulage l’ornithologue. « Dans le cas du tir, la défense a demandé la nullité car la destruction d’une espèce n’est pas considérée comme un acte criminel majeur. Mais cette fois, la justice a tranché : c’en est bien un et cela mérite des moyens conséquents. » Surtout, les peines deviennent enfin dissuasives, se félicitent en chœur associations et services de l’Office français de la biodiversité. « Il n’est plus possible de se balader fusil en vue, de tirer sur des rapaces et de s’en tirer comme si de rien n’était ! » confirme Emmanuel Massit.

Les deux cas sont peut-être différents sur le fond, mais ils se soldent tous deux par la mort d’un oiseau protégé classé dans la catégorie « en danger critique » d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 2016. La plupart de pygargues ont été décimés par nos ancêtres. « De même que ceux-ci zigouillaient les loups, ils tiraient les rapaces. Et à partir de 1900, il n’y en a plus un seul », raconte Jacques-Olivier Travers.

« C’est un peu l’hécatombe »

Disparu depuis le XIXe siècle, le rapace aux 2,5 mètres d’envergure fait l’objet d’un programme de réintroduction depuis 1975. L’originalité de l’expérience menée par Les Aigles du Léman est de privilégier le taquet parental : « Les petits naissent et grandissent en captivité, jusqu’à ce qu’on ouvre les volières. Ils peuvent alors partir du jour au lendemain ou rester, tels des Tanguy, dans le giron de leurs parents. Certains ont besoin de 24 heures pour filer, d’autres de huit mois. Ensuite, ils passent 2 à 3 ans à se balader, avant de trouver un partenaire et de se sédentariser. Nous avons besoin d’une vingtaine d’années pour voir les effets de ce programme. »

Surtout si les oiseaux relâchés sont supprimés intentionnellement par les humains. Aujourd’hui, la population de pygargues avoisine les 30 individus : 14 non sauvages et 16 qui se sont réintroduits naturellement en provenance d’Europe de l’Est et/ou de Norvège. « Sur les 14 oiseaux relâchés, 5 ont été retrouvés morts, soit 35 %… C’est un peu l’hécatombe. »



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