le projet d’accord final provoque la colère des pays du Sud


Bakou (Azerbaïdjan), reportage

« Égypte, Émirats, Colombie [lieux des précédentes COP], Azerbaïdjan… Quelle est la prochaine étape ? Mars ? Devons-nous vraiment aller dans l’espace pour obtenir un chiffre de nos amis développés ? » Le 21 novembre, l’allocution de Juan Carlos Gómez s’est abattu sur l’assemblée « Nizami » comme la foudre. Las des murmures polis et calculés, l’émissaire du ministère panaméen de l’Environnement a allumé l’étincelle d’un soulèvement : « Ce manque d’engagement et de transparence est comme une gifle aux plus vulnérables. Un manque de respect criant. Arrêtez de jouer avec nos vies. »

Quelques instants plus tôt, un brin trop optimiste — voire tout à fait à côté de la plaque — le président de la COP29, Mukhtar Babayev, ouvrait la séance plénière avec la conviction qu’un accord allait aisément émerger. Convoqués en « Kouroultaï », nom des assemblées de chefs de tribus dans la culture turque, les négociateurs des 197 pays participant au grand raout sur le climat ont exprimé leur opinion concernant la quatrième mouture du futur accord. Cinq heures et onze minutes de restitution… par moment enflammées.

L’Europe dénonce un manque cruel d’ambitions

« Pardonnez-moi, mais je ne vais pas édulcorer les choses. » Le commissaire européen au climat, Wopke Hoekstra, a d’entrée de jeu qualifié de « clairement inacceptable » le brouillon paru le matin même. Aux yeux de l’Union, celui-ci manque cruellement d’ambitions sur la réduction des émissions. « Cela ne peut pas être notre réponse aux souffrances de millions de personnes », a appuyé l’envoyée spéciale de l’Allemagne, Jennifer Morgan.

Autre sujet de crispation pour le Vieux continent : l’absence manifeste d’un élargissement des États contribuant à alimenter la cagnotte versée aux pays en développement, pour les aider à financer leur transition climatique. Déplorant un « grand pas en arrière », le ministre australien Chris Bowen a utilisé semblable rhétorique. Au même titre que son homologue de Nouvelle-Zélande « profondément frustré par le rythme des progrès ».

« Un grand pas en arrière »

Seuls les diplomates étasuniens ont refusé de commenter le projet de texte, se contentant de parer de louanges l’administration Biden. L’esprit déjà aspiré par le futur mandat de Donald Trump, la secrétaire adjointe par intérim du ministère de l’Intérieur, Laura Daniel-Davis, a adressé au président d’extrême droite un message à peine masqué : « Nier le changement climatique ne suffira pas à le faire disparaître. »

« Hypocrisie par excellence »

Peut-être les pays du Nord auraient-ils dû balayer leur paillasson, avant de se livrer à ces répliques héroïques. Chassant d’un revers de manche leurs paroles, le délégué bolivien, Diego Pacheco a dénoncé une « hypocrisie par excellence ». Et il y a de quoi. À quelques heures seulement de la clôture de la COP29, les États riches n’ont toujours pas découvert leurs cartes concernant le montant de l’enveloppe allouée aux pays vulnérables. Dans le projet de texte, un « X » trône toujours à l’endroit même où les bénéficiaires de ce fonds réclament depuis des jours « 1 300 milliards de dollars annuels ».

Les experts ont beau attester de ce juste prix, ce montant est qualifié d’« extrême » par les contributeurs : « Ce qui est véritablement extrême, c’est de consacrer 2 500 milliards de dollars à la guerre, tout en refusant d’en fournir la moitié pour sauver des vies, a poursuivi Juan Carlos Gómez. Ce qui n’a aucun sens, c’est d’investir 7 000 milliards de dollars dans des subventions aux énergies fossiles aggravant notre misère, tout en s’avérant incapables de fournir moins de 20 % de ce montant pour sauver les vies que ces subventions anéantissent. » Et d’ajouter que faute d’ambition, « c’est la condamnation à mort de son peuple ».

Unis sous la bannière du G77 et de la Chine, 133 pays en développement ont tous dénoncé le mutisme occidental. À leurs yeux, la partie de poker a assez duré. « Il y a quinze jours, le monde s’est réuni à Cali pour la COP15 biodiversité. Une semaine plus tard, des inondations ont ravagé ce territoire, s’est émue Susana Muhamad, ministre colombienne. Qui paiera ? Les nations victimes du changement climatique ne peuvent rester otages de vos marchandages politiques. »

L’Arabie saoudite au secours des fossiles

Un autre duel a agité l’assemblée, baignant dans une clarté clinique. S’exprimant au nom de trente-deux États arabes, le négociateur de l’Arabie saoudite, Albara Tawfiq a déclaré que sa coalition « n’acceptera pas un texte visant un secteur, y compris celui des combustibles fossiles ».

Ajoutant que « toutes ces questions sont hors mandat et inacceptables ». Quinze jours durant, le pays s’est appliqué à obstruer toute tentative de réaffirmation d’une sortie progressive des combustibles, annoncée en grande pompe lors de la COP28 à Dubaï. Des tractations jusqu’alors en coulisses, à l’abri des regards… mais désormais assumées publiquement.

De façon moins tranchante, les délégations chinoise et bolivienne ont défendu semblable position, en appelant à ne pas écrire de paragraphe mentionnant explicitement cette question. Des réclamations absolument regrettables aux yeux des petits États insulaires, menacés par la montée des eaux : « Nous ne parlons pas seulement de virgules, de points, de paragraphes. Nous parlons de vie, s’est exclamé la déléguée des Îles Marshall. [Mon pays] ne peut pas quitter la COP sans un accord protégeant l’objectif des 1,5 °C. Celui-ci ne tient qu’à un fil, et nous devons le protéger à tout prix. »


António Guterres a déclaré que «  le succès de cette COP n’est pas encore garanti  ».
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

À quelques mètres de là, dans une salle honteusement baptisée Karabagh, le secrétaire général des Nations unies a tenu une conférence de presse en parallèle de la plénière. De retour de Rio de Janeiro, où le G20 a échoué à insuffler l’élan politique attendu, António Guterres a déclaré que « le succès de cette COP n’est pas encore garanti ».

Le 22 novembre à l’aube, au terme d’une ultime nuit blanche de consultations, la présidence du sommet a fini par annoncer que l’accord révisé allait être publié à midi, heure de Bakou. Ce délai est déjà dépassé, et aucun signe de texte à l’horizon. La COP29 risque bel et bien de s’éterniser, au-delà du temps imparti.

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