• sam. Sep 21st, 2024

comment des militants européens s’inspirent de la lutte française


Venu d’Allemagne, l’activiste et politologue Tadzio Müller est reparti du Village de l’eau (Deux-Sèvres) avec la sensation d’avoir participé au « début de la reconstruction du mouvement écologiste radical européen ». Ce regroupement de 10 000 personnes au total, du 16 au 21 juillet, consacré à la lutte contre les mégabassines et marqué par une tentative de blocage d’un port agro-industriel et des manifestations, a aussi été l’occasion de discuter stratégie entre militants de France et d’ailleurs. L’activiste allemand a ainsi pu participer à de nombreuses assemblées, traduites en plusieurs langues. « La puissance tactique de l’action radicale écologiste est passée de l’Allemagne, avec Ende Gelände [adepte de la désobéissance de masse contre les projets miniers], à la France avec Les Soulèvements de la Terre » (SLT), assure-t-il.

Las, partout dans le monde, la problématique est la même : comment lutter contre la destruction du monde alors que la criminalisation des mouvements écologistes grandit ? Si les Soulèvements inspirent, ils se heurtent, eux aussi, aux limites des grandes actions massives et doivent sans cesse se réinventer.

Les Soulèvements, sources d’inspiration

Fille d’agriculteurs, Olive, 28 ans, originaire de Suisse, remarque qu’« en politisant les enjeux de la terre et de l’eau », le mouvement français a réussi à faire « converger différents mouvements autour d’un enjeu local ». En quelques années, la bataille contre les mégabassines est devenue un moteur de la « convergence des luttes » tant espérée par les militants écologistes, jusqu’à ouvrir des perspectives d’alliances bien au-delà des Deux-Sèvres et même du continent européen. Au Village de l’eau, les conférences et assemblées ont été l’occasion de rencontres avec des représentants de mouvements chiliens, mexicains ou brésiliens.

L’ambiance du village, propice aux longues discussions, « était bien différente des campements que nous avons réalisés en Allemagne, qui consistaient surtout à s’organiser pour l’action, explique Tadzio. Là, il s’agissait d’un espace politique et culturel d’échanges et de créations de liens entre les luttes. C’était inspirant pour nous. » Co-organisateur des premières mobilisations d’Ende Gelände contre l’extraction minière outre-Rhin, il observe lui aussi avec intérêt Les Soulèvements de la Terre et leur « capacité à mettre en lien les militants écologistes radicaux et les luttes environnementales locales ».

Un champ a pris feu à cause des grenades lacrymogènes lancées par les gendarmes le 19 juillet.
© Fiora Garenzi / Hans Lucas via AFP

« Nous pourrions nous inspirer de la façon dont les Soulèvements de la Terre viennent en appui des luttes locales et sont parvenus, à travers l’opposition aux mégabassines, à s’unir avec un syndicat agricole [la Confédération paysanne] sur un combat spécifique », complète Olive, étudiante en agronomie. Au niveau européen, les enjeux de l’agriculture ont été « relativement absents des mouvements écologistes qui se sont plutôt concentrés sur les énergies fossiles ».

« Flop tactique » des manifestations

S’ils ne tarissent pas d’éloges sur l’organisation du village de Melle et le succès stratégique des convergences, certains militants internationaux sont en revanche déçus des manifestations de vendredi 19 à Poitiers et de samedi 20 juillet à La Rochelle. « Les actions en elles-mêmes ont été un flop tactique, alors que nous étions des milliers rassemblés à l’appel du mouvement le plus expérimenté que nous ayons en Europe actuellement », juge le politologue allemand Tadzio Müller. 

La journée d’action du 20 juillet à la Rochelle s’est terminée par une grande baignade.
© Jérôme Gilles / NurPhoto via AFP

La manifestation de vendredi, visant à un rassemblement dans la commune de Sainte-Sauvant, où le prochain chantier de bassine doit être lancé en septembre, s’est terminée par un repli. Les militants ont finalement traversé un champ pour s’approcher d’un « site emblématique de l’agro-industrie ». Le lieu ciblé n’a pas été atteint. Tout comme celui de la manifestation de samedi qui visait le port de La Pallice – toutefois bloqué toute la matinée par les tracteurs de la Confédération paysanne.

« C’était un peu décevant pour nous, activistes allemands », regrette Tadzio Müller qui souhaitait participer à une action de « désarmement » pour « s’inspirer de ‘l’escalade’ opérée vers cette modalité d’action en France ». Une quête de nouvelles tactiques pour un mouvement climat allemand dans l’impasse stratégique : « Nous avons jusqu’ici plutôt mené des actions de blocage et d’occupation qui ont été des succès pendant un temps, mais elles sont désormais normalisées et ne nous permettent plus d’obtenir une visibilité médiatique. »

En 2018, par exemple, 6 500 activistes écologistes venus de toute l’Europe avait bloqué les infrastructures de la mine d’Hambach, près de Cologne.

Répression à la française

S’il regrette d’avoir dû se contenter d’une « promenade », après s’être extrait d’un nuage de gaz lacrymogènes, Tadzio Müller a aussi pris la mesure du traumatisme de la manifestation de Sainte-Soline de mars 2023 : « Nous étions contraints à une posture défensive, d’évitement de la répression, et j’ai compris que la priorité était d’éviter que Sainte-Soline se reproduise. » Stella, une militante italienne, était à Sainte-Soline avec d’autres camarades : « Même parmi les plus expérimentés d’entre nous, nous n’avions jamais rien vécu de tel. Un véritable champ de bataille. Nous ne vivons pas une répression aussi violente en Italie. »

Des deux journées de manifestation, les militants européens retiennent des chants entêtants pour mettre « à bas l’État policier » et une joyeuse baignade accompagnée par la fanfare, mais aussi le sentiment d’assister à une répression accrue des mouvements écologistes qui rend les actions de masse « moins efficaces ». « Ce qui m’a beaucoup surprise, c’est que des pratiques de la police française, comme les contrôles d’identités et les fouilles sans justificatif ou laisser un feu se propager dans un champ où se trouvent des centaines de personnes, qui me semblent illégitimes et illégales, paraissent normalisées en France », s’étonne Mariana, membre du collectif portugais pour la justice climatique Climaximo.

« Nous ne vivons pas une répression aussi violente en Italie »

La militante portugaise appelle à tirer les leçons des manifestations de Poitiers et La Rochelle qui n’ont pas atteint physiquement leurs cibles, et donc la nécessité de mener des « actions directes en plus petits groupes ». Au Portugal, où des milliers d’hectares de forêts partent en fumée sous l’effet du réchauffement climatique, son collectif Climaximo multiplie les actions depuis plusieurs mois, « de la mise à l’arrêt de jets privés au blocage de terrains de golf, en passant par l’intervention dans des émissions de télévision nationale ».

Inventer des tactiques « créatives »

Faut-il pour autant renoncer aux actions massives ? Face à des forces policières positionnées en « fortins » autour des lieux ciblés, « on s’aperçoit que nos manières de fonctionner se heurtent à des difficultés croissantes sur le terrain et qu’il faut se réinventer », explique Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre. Le pari reste de parvenir à mener « des actions directes massives et impactantes en plein jour », mais le mouvement et ses alliés recherchent des applications « nouvelles et créatives » de leur triptyque de modalités d’action : occupation, blocage et désarmement.

Léna Lazare prend l’exemple de la mobilisation contre le projet autoroutier de contournement est de Rouen, en mai 2023 dans l’Eure. Au cours d’une balade naturaliste dans une forêt menacée par le chantier, les militants ont planté des clous dans les arbres pour en empêcher l’abattage. « Ce sont des gestes difficiles à réprimer, car ils peuvent se faire à pleins d’endroits différents », explique la militante. La saison 8 des Soulèvements est annoncée à l’automne, avec une action contre la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse.

Lire aussi : Larguer des lentilles d’eau, la nouvelle « ruse » pour saboter les mégabassines

D’ici là, une « traversée des luttes pour l’eau » est annoncée en septembre par Bassines non merci, qui franchira les Alpes pour rejoindre un campement organisé à Vicence, près de Venise en Italie, contre le projet de ligne à grande vitesse Lyon-Turin. Les militants italiens y occupent une forêt menacée par le chantier ferroviaire, et y organisent un campement du 5 au 8 septembre. Comme un clin d’œil à la loutre des Soulèvements de la Terre, les Italiens ont choisi le blaireau pour symboliser leur lutte.



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