• dim. Sep 29th, 2024

Cette Marocaine traverse l’Afrique à vélo jusqu’au Kilimandjaro


Vous lisez la 5e partie de notre série d’été « L’aventure décarbonée ». Retrouvez ici tous les épisodes de nos séries d’été.


« Hey ! Je viens juste de trouver un café avec un bon wifi. Je suis prête pour l’appel ! » À quelques kilomètres du Cap — celui d’Afrique du Sud — Meryem Belkihel, 28 ans, descend de sa lourde bicyclette blindée de sacoches pour se reposer un peu, et accorder quelques minutes à Reporterre.

Elle a dû rouler deux heures avant de trouver un endroit avec un réseau stable. Une galère pour beaucoup, mais pas pour la Marocaine, qui en a vu d’autres. Depuis un an et demi, elle a quitté sa ville natale de Casablanca pour se lancer dans une folle aventure : rejoindre le Kilimandjaro, montagne située dans le nord-est de la Tanzanie, à vélo. « Je ne voulais pas prendre l’avion », sourit la jeune femme. Soit 20 000 kilomètres à parcourir… à vol d’oiseau. Un voyage qu’elle compte finir l’année prochaine.

Meryem Belkihel en Angola.
Photos issues du compte Instagram MeghyLost.

Avant de partir pour ce voyage de « dingue », Meryem, passionnée de vélo et issue d’une famille sportive, a usé ses jambes sur les routes du royaume chérifien. « J’ai fait la traversée du grand Atlas et grimpé les plus hauts sommets au Maroc », raconte-t-elle. En parallèle de son boulot — elle travaille comme informaticienne pour une multinationale — elle pédale, sans relâche.

L’idée de partir pour cet improbable voyage s’est concrétisée en janvier 2023. Non sans une certaine appréhension de ses proches : traverser l’Afrique pour une femme seule, n’est-ce pas un peu risqué ? Pas pour Meryem. « Dans les médias, l’Afrique, c’est le danger. On nous dit qu’il ne faut pas partir, qu’il y a la guerre partout. Mais l’Afrique, c’est l’hospitalité, c’est pas juste ce qu’on voit dans les médias », tranche-t-elle.

Très vite, à travers ses vidéos publiées sur les réseaux sociaux, « Meghylost » — son pseudo — a réussi, estime-t-elle, à faire bouger les lignes auprès de ses « followers ». « Je suis en train de changer des mentalités », se réjouit Meryem.

« Elle n’accepte pas la défaite »

Après avoir traversé à nouveau l’Atlas marocain, et le désert du Sahara côté mauritanien, Meryem a passé le Ramadan 2023 en terre sénégalaise. « C’était comme si j’étais chez moi », dit-elle. Puis elle a roulé sa bosse jusqu’à la Guinée-Bissau, où elle souhaitait visiter l’archipel des Bijagos, situé au large de Bissau, la capitale.

Depuis un an et demi, elle a quitté sa ville natale de Casablanca pour se lancer dans une folle aventure : rejoindre le Kilimandjaro.
Photos issues du compte Instagram MeghyLost.

C’est là, dans une auberge, qu’elle fait la rencontre de Tomas Diera. Originaire de Banska Bystrica en Slovaquie, celui qui habite à l’origine à Copenhague est parti de son fief pour rallier le Cap il y a quelques semaines. Le destin a décidé que sa route devait croiser celle de Meryem Belkihel.

« Je recherchais une personne aventureuse pour aller sur l’une des îles des Bijagos en kayak. Comme il y a un gros courant entre les îles, tout le monde n’aurait pas accepté. Mais Meryem, si », indique Tomas. Très vite, le Danois a compris à quel point la Marocaine est une battante. « Elle est très courageuse, et très concentrée sur ses buts, elle n’accepte pas la défaite, analyse-t-il. Elle ne connaît pas l’impossible, surtout si c’est pour quelque chose qu’elle désire vraiment. Si tu lui dis qu’elle ne peut pas le faire, elle va le faire. »

Pannes, palu et Boko Haram

La détermination de Meryem Belkihel a toutefois été soumise à rude épreuve à de nombreuses reprises. « Je ne veux pas montrer que “la vie en rose”, dit-elle. Parfois, c’était compliqué pour les visas. » Elle a aussi rencontré pas mal de problèmes de vélo : « Quand j’ai un truc qui se casse, je dois le changer. Je n’ai jamais pris les routes nationales, que les petites routes. » Et lorsque la route devient impraticable à cause de la boue et que l’on est bloqué au milieu de nulle part, « on pourrait être tentés de perdre la foi ».

En plus des pannes, des (plutôt gros) pépins de santé ont jonché sa route. « Au Cameroun, Meryem a eu une infection. Heureusement, elle a réussi à avoir un hôpital privé, très loin dans la jungle », souffle Tomas Diera. « J’ai eu le palu [le paludisme] quatre fois, la fièvre typhoïde aussi, liste Meryem Belkihel. J’ai des dents sensibles donc beaucoup d’infections. J’ai un abcès que je traîne depuis Dakar. » Pas de quoi la faire renoncer.

« Je ne veux pas montrer que “la vie en rose” », dit celle qui partage autant ses joies que ses galères, de visa par exemple.
Photos issues du compte Instagram MeghyLost.

Pour la sécurité, Meryem n’a jamais été embêtée… Excepté dans le nord du Nigeria, où sévit le groupe terroriste Boko Haram. « Un jour, trois personnes nous ont mis en joue. On pensait qu’on allait se faire kidnapper, mais en fait, c’était un groupe antikidnapping… », soupire Tomas, qui pédalait avec Meryem à ce moment-là.

Montrer la réalité des bouleversements climatiques

À plusieurs reprises, Meryem et Tomas ont voyagé ensemble à travers le Congo, le Cameroun, la Centrafrique, ou le Nigeria. « Notre philosophie, c’était pas de visiter le pays, mais de visiter les gens. On avait ce but en commun », clame Tomas.

Lorsqu’ils étaient dans la jungle et qu’il pleuvait dru, ils s’adressaient au chef du village, lequel les laissait – en général sans problèmes – rester dans le village pour la nuit.

« Le changement climatique, je l’ai vu dans chaque pays »

Chez Meryem Belkihel, la question de l’écologie est primordiale : le voyage avait à la fois pour but d’éviter l’avion, d’utiliser un moyen de déplacement doux, ainsi que de montrer la réalité des bouleversements climatiques.

« J’ai une sensibilité par rapport à ça, indique-t-elle. Le changement climatique, je l’ai vu et vécu dans chaque pays : on voit les pays qui souffrent de la sécheresse, d’autres qui souffrent de la pluie. » Ainsi, au Cameroun ou en Centrafrique, « la saison des pluies ne s’arrêtait pas ». En Namibie, à l’inverse, c’est la sécheresse : passée notamment par le parc national d’Etosha, Meryem a réalisé l’étendue des dégâts.

« Cela fait trois ans en Namibie qu’il n’y a pas de pluie. S’il ne pleut pas l’année prochaine, il y aura un grand problème, alerte-t-elle. Les gens ne trouvent pas quoi donner aux animaux parce que c’est cher. On m’a dit qu’ils risquaient de tuer les animaux. » Et de pointer l’activité humaine et l’exploitation démesurée des ressources du continent africain. « Il y a beaucoup de déforestation. Au Cameroun, je suis allée dans les zones où ils coupent des arbres pour les vendre. Ce changement climatique est le résultat de ce que les gens font. Chaque pays que je traverse, je plante un arbre, j’enregistre l’emplacement. Et j’essaie de motiver les gens qui me suivent. »

« Je fais du “women empowerment” »

Pour Meryem, le plus gros du voyage est passé ; et en cet hiver austral, on espère que les routes sud-africaines seront clémentes pour la jeune femme. La gueule au vent sur une plage du Cap, elle devrait avoir en tête les belles rencontres faites à travers l’Afrique et les vingt pays traversés, des villages de Casamance à Windhoek en passant par Abidjan, où elle a pu supporter les Lions de l’Atlas durant la coupe d’Afrique de football, ou par l’Angola, pays méconnu mais magnifique.

S’il reste un petit peu de route jusqu’au Kilimandjaro, la Marocaine a déjà réussi ses paris : découvrir — et faire découvrir — l’Afrique, alerter sur le réchauffement climatique, et surtout envoyer un message fort aux femmes marocaines et aux femmes du monde entier. « En partageant mon expérience, je fais du “women empowerment” [de l’empouvoirement des femmes]. Chacun de nous a des rêves, que l’on doit réaliser. On ne doit pas attendre cela d’autres personnes. »


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