• ven. Sep 20th, 2024

les voilà recouvertes d’affiches artistiques


Paris, reportage

« Je m’en fiche, je ne comprends rien, ce que je sais, c’est que j’attends un bus depuis plus de vingt minutes ! » Veste colorée sur les épaules, Betty, qui ne fait pas du tout ses 80 ans, se fiche bien de ce qui se passe derrière son dos. Deux jeunes filles sont en train de recouvrir le joli minois de Natalie Portman — en effigie d’une grande marque de parfum — avec une affiche confectionnée spécialement pour les Jeux olympiques. « Hotter, dirtier, deadlier, together », (plus chaud, plus sale, plus mortel, ensemble !). « Pourquoi est-ce en anglais ? C’est dommage, on ne comprend pas », regrette Betty, désabusée.

Mercredi 24 juillet au soir, une vingtaine de militants de Résistance à l’agression publicitaire (RAP) ont déambulé dans Paris, rouleaux d’affiches « arty » sous le bras pour recouvrir les publicités des sponsors des JO (mais pas seulement) des abribus parisiens. « On nous répète que ce sont des jeux sobres mais ils sont financés par les plus gros pollueurs de la planète », dit Thomas, référent du groupe qui cible les arrêts de bus du 20e arrondissement.

« L’art a sa place à Paris. Les pollueurs géants, non », peut-on lire sur cette affiche faite par le collectif Brandalism.
© Mathieu Génon / Reporterre

D’autres groupes se sont disséminés dans Paris avec des rouleaux d’affiches réalisées par le collectif Brandalism. Celles-ci détournent la devise olympique, dénoncent le greenwashing assumé des sponsors officiels ou l’accaparement de l’espace public par des publicités mensongères. Dans le viseur : les pubs spéciales JO de Coca-Cola, de Heineken, Toyota ou Dior…


« Un peu de dissonance » dans l’autosatisfaction des organisateurs des JO

Chaque commando se compose de quatre personnes, dont deux guetteurs : « Il faut éviter d’attirer l’attention des chauffeurs de bus, vérifier la présence de policiers et donner l’alerte si besoin. » Avec leurs clefs Allen, Cyrille et Chat, respectivement 25 et 21 ans, essaient d’ouvrir les panneaux publicitaires des abribus. S’y reprennent à plusieurs fois. Forcent. Hésitent. « Si les clefs ne fonctionnent pas, on recouvre et on passe à autre chose », presse Thomas, vétéran du RAP depuis au moins vingt ans. Aguerri, le militant laisse officier les jeunes recrues tout en surveillant les alentours.

La plupart des badauds sont indifférents à l’opération, sauf Karima et Selim qui se félicitent enfin « qu’on parle de ce qui dérange dans ces JO ». Les deux amis se sentent d’autant plus concernés qu’ils ont fondé l’application Cycle zéro qui permet de récupérer gratuitement des matériaux sur les chantiers de proximité. Ils sont même intervenus auprès de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) pendant les chantiers parisiens de ces jeux.

« Ne voyez pas notre pollution, utilisez nos lunettes à greenwashing ! »
© Mathieu Génon / Reporterre

« On nous parle de jeux verts ou de réduction de CO2 mais on oublie que ces jeux ont généré des déchets de chantier faramineux, s’énerve Karima. Ces jeux n’ont pas été l’occasion d’une véritable économie circulaire et ce n’est pas Coca-Cola avec le recyclage de ses bouchons en plastique qui va changer la donne ! » Ils soutiennent les recouvreurs d’affiches qui amènent « un peu de dissonance » dans le concert autosatisfait des organisateurs des JO.

La troupe descend la rue Orfila puis emprunte l’avenue Gambetta, entre les vélos qui filent, les voitures embouteillées et les sirènes de police hurlant le long du cimetière du Père Lachaise. Cyrille galère avec son rouleau, dont les affiches lui échappent. « D’ordinaire je me contente de coller des affiches, c’est la première fois que j’ouvre des sucettes, c’est marrant », dit la militante de justice climatique. Cela faisait longtemps qu’elle voulait s’engager avec le RAP, « fatiguée par ces pubs qui envahissent l’espace public ».

« Toyota, fier d’être le partenaire le plus polluant des JO. »
© Mathieu Génon / Reporterre

Cheveux peroxydés et chemise hawaïenne verte, Kévin fait le guet, serein. Il adore ces actions concrètes qui « font réfléchir » contre la pub. On sent qu’il s’en veut encore d’avoir œuvré dans le secteur comme consultant junior… « Je connais les biais que les techniques publicitaires mettent dans nos esprits en matière de sexisme, de racisme ou d’écocide. La pub a un pouvoir de dingue que la plupart des gens sous-estiment. La cibler, c’est un début pour déconstruire tout ce à quoi on s’accroche. » Les voitures s’arrêtent au feu, les cyclistes s’entrecroisent, les piétons traversent le nez dans le téléphone… L’action de recouvrement passe crème. Avec une certaine jouissance, les filles éliminent (la pub) Johnny Depp et son parfum « sauvage » sans faire sourciller qui que ce soit.

« La pub a un pouvoir de dingue que les gens sous-estiment »

Déjà sur le carrefour de Ménilmontant, les militants s’étonnent : le rouleau d’affiches s’amenuise. Les trois dernières sont qualifiées d’« artisanales », comprendre : faites à la main sur papier kraft par « une militante du réseau motivée » se réjouit Thomas. Éclatantes, elles se font tout de suite remarquer. Elles ont surtout l’avantage d’être comprises avec leur slogan hérité de Pierre de Coubertin : « Brûler la planète, plus vite, plus haut, plus fort. »

© Mathieu Génon / Reporterre

Notamment par Nathan, conducteur à l’air épuisé, qui ne redémarre pas au feu passé au vert pour admirer le travail de petit remplacement. « Je viens d’être bloqué quatre heures, ils ont coupé Paris en deux, avec ou sans QR code, la répétition de la cérémonie est un cauchemar. » L’action du RAP l’amuse « même si ça ne va pas changer la donne ».



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