par François Meylan
La Ville aux 100 clochés comme elle est si joliment appelée demeure l’épicentre de l’espionnage sur le vieux continent
Mercredi 13 novembre 2024, midi, je suis reçu par le journaliste Guillaume Narguet, dans les bureaux de Radio Prague International, à Rimska 13, Prague 2.
On parle espionnage et plus communément des services de renseignement. Radio Prague International en connaît de long en large sur cette thématique. C’est par ce média que votre serviteur a appris l’ouverture au public des archives de la très discrète mais au combien efficace StB (Státní bezpečnost en tchèque, Státna bezpečnost en slovaque), le service de renseignement tchécoslovaque qui fut le service de sécurité du régime communiste en place et qui servit particulièrement de courroie de transmission au puissant KGB soviétique.
C’est grâce auxdites archives déclassifiées – depuis 2008, une première dans le monde du Renseignement – que le journaliste français d’investigation Vincent Jauvert a publié à l’été dernier «À la solde de Moscou», Édition Seuil, Paris. Livre de référence, après le bestseller de Ben Macintyre «L’espion et le traître» qui n’est autre que la biographie de l’agent double soviétique Oleg Gordievsky (pseudo GORMSSON ou GORDON).
Si ces deux ouvrages révèlent la redoutable efficacité des espions tchécoslovaques durant la guerre froide et qui rendaient systématiquement compte à Moscou, les pages de Jauvert détaillent, notes d’entretiens à l’appui, combien les faiseurs d’opinions de l’hexagone étaient infiltrés pour ne pas dire contaminés. Des médias aux politiques, en passant par quelques chefs de service. Les traitres étant principalement motivés par l’appât du gain. La StB était généreuse avec ses informateurs de l’étranger. Parfois, ceux-ci étaient motivés par l’idéologie communiste ou par un anti-américanisme trivial. Quant aux espions tchécoslovaques, toujours à la poursuite des dissidents et à l’abri de la publicité d’Hollywood, ils étaient réputés pour leur maitrise des langues étrangères, des codes éducatifs et culturels occidentaux et pour un certain savoir-vivre qui détonnait quelquefois avec celui des officiers du KGB un peu brut de coffrage.
Notons que l’entregent et la serviabilité demeurent profondément ancrés dans l’ADN tchèque. Par ailleurs, sans «les petites mains» d’une étudiante et traductrice tchèque, Jauvert n’aurait pas pu sortir son dernier opus. Parce que si les archives sont librement consultables après un délai de deux mois faisant suite à la requête, faut-il encore pouvoir les traduire.
Mais alors que reste-il de ce riche héritage du Renseignement, ici à Prague ? Certes, la StB fut dissoute après la Révolution de velours du 17 novembre 1989 qui a marqué la fin du communisme dans l’ex Tchécoslovaquie. Mais ses abondantes et très détaillées archives ont encore beaucoup à nous apprendre. En particulier sur l’Europe occidentale contemporaine. Les surprises et autres révélations sont garanties.
Alors que le digne successeur de l’espionnage tchécoslovaque n’est autre que le Service d’information de sécurité (Bezpečnostní informační sluzba, BIS), soit quelques 3500 fonctionnaires armés, celui-ci mise sur la transparence, sur la communication et insiste sur le fait que lors de sa création en 1994 par la loi No 154/1994, il est né d’une page blanche. Soucieux de se démarquer de la StB qu’il qualifie d’ancienne police d’état au service d’un régime théocratique. Ses activités n’en demeurent pas moins, en plus de la lutte contre le terrorisme et contre le blanchiment d’argent, le contre-espionnage. Prague restant une fourmilière d’espions. Par ailleurs, on retrouve probablement son empreinte sur les «pressions » et les réunions secrètes entreprises à l’endroit de Belgrade pour parvenir à ce que la Serbie se résigne elle aussi à envoyer des armes à l’Ukraine, . Le changement de paradigme – passer de la tutelle du Kremlin à celle de l’OTAN – est consommé.
Notons que l’auteur de ces lignes a sollicité un entretien avec le BIS que son porte-parole Sticha Ladislav a différé pour l’an prochain.