• ven. Sep 20th, 2024

Le bivouac à l’épreuve de sa popularité


Vous lisez la seconde partie de notre série d’été « Camping ». La première, « De la tente au mobil-home, le camping perd-il son âme ? » est à retrouver ici.


À 23 ans, Aurélien est parti seul bivouaquer quatre jours dans le Mercantour. Une tente trop lourde, un duvet trop léger, 20 kg sur le dos. Et là-haut, dans la montagne, un déclic : « Cette expérience a probablement été le point de départ de ma prise de conscience écologique », raconte-t-il aujourd’hui. De retour à Paris, tout l’oppresse : « Trop de monde, trop de bruit, trop de consommations, de pubs, de voitures, de stress… Une partie de moi n’est jamais redescendue de cette montagne. »

Comme Aurélien, vous êtes des dizaines à nous avoir écrit pour nous décrire comment ces nuits à la belle étoile vous ont bouleversées. « Je me sens faire partie du monde, au même titre que les chevreuils, les sangliers, les oiseaux, les fourmis et les araignées », décrit Clara [*], 47 ans et près de mille bivouacs au compteur.

Avec son tarp — une toile qu’on tend au-dessus de soi — et son sac de couchage, Thierry [*] aime dire qu’il s’offre ainsi « des nuits dans des hôtels à dix milliard d’étoiles » : « On n’est plus enfermé par des murs, par tous ces biens qui nous retiennent, par nos habitudes, ajoute-t-il. C’est une expérience que tout le monde devrait faire, non pas une fois, mais régulièrement, pour reprendre conscience que nous sommes juste des passants sur cette Terre. »

Le tarp, cette toile tendue au-dessus du couchage, a l’avantage d’être plus légère qu’une tente, avec une moindre empreinte au sol.
Nicolas Weldingh / Unsplash

Sans doute poussés par ce désir de reconnexion, nous sommes de plus en plus nombreux à planter notre tente hors des campings et des sentiers battus. « Depuis le Covid, on voit un très fort engouement pour le milieu montagnard et une augmentation du bivouac », dit Suzanne Foret, conservatrice à la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse. Un constat corroboré par tous les gestionnaires d’espaces que nous avons interrogés.

« On sent qu’il y a un besoin énorme de nature »

« Il y a un afflux de nouvelles personnes, on sent qu’il y a un besoin énorme de nature, confirme Thomas Burel, chargé de la marque Esprit Parc national, à l’Office français de la biodiversité. Mais c’est un public qui n’a pas tous les codes de la montagne, qui est peu formé et informé sur les usages à avoir. » Musique sur des enceintes, coquilles d’huîtres abandonnées près des lacs, mangeoires pour brebis utilisées pour refroidir les bières… Les anecdotes sont légion.

Ces comportements ont des conséquences non négligeables pour les milieux naturels. Principal problème, selon Suzanne Foret, le feu : « En altitude, il faut entre 15 000 et 40 000 ans à un sol pour se constituer, explique-t-elle. Faire un feu, c’est détruire des milliers d’années de travail. Sans compter le risque incendie. » Deuxième difficulté, les déchets. Aluminium, papiers, plastique…

Risque d’incendie, destruction du sol… Le feu est l’un des plus gros problèmes provoqués par le bivouac, dit la conservatrice Suzanne Foret.
Romain Gal / Unsplash

La sociologue du sport Léna Gruas pointe également du doigt « un énorme paradoxe » : « Celles et ceux qui ont des pratiques de pleine nature appartiennent à des classes aisées qui ont une conscience écologique, font des écogestes, mais qui en même temps polluent davantage, de par leur activité — pour le renouvellement des équipements, le transport. » Autrement dit, « ces personnes font des activités de plein air pour se reconnecter à la nature, mais ces pratiques ont des effets directs sur les milieux. »

Animaux stressés

Dernier problème, et non des moindres : le dérangement de la faune. « Les animaux nous évitent, ils sortent donc quand nous ne sommes pas là, indique la conservatrice. Mais si on est là tout le temps, H24, a fortiori si on fait du bruit et de la lumière, ils restent en état de vigilance permanent, et ça peut les stresser fortement. »

Certains parcs naturels ont interdit le bivouac pour lutter contre la surfréquentation.
Anders Norén / Unsplash

Face à la surfréquentation, plusieurs lacs alpins ont ainsi dû interdire la pratique, comme les lacs Jovets au cœur de la réserve naturelle nationale des Contamines-Montjoie, ou le lac Achard sur Chamrousse. Dans la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse, il est désormais interdit de camper sous tente en juillet et août — la belle étoile reste autorisée.

« Plutôt que d’interdire, il faudrait mieux accueillir »

Attention cependant à « ne pas stigmatiser les nouveaux pratiquants, dit Léna Gruas. Ils ont autant le droit d’être là que les montagnards avertis. » Et la sociologue d’alerter sur un fort risque de discrimination : pratiquées par des cadres et des personnes surdiplômées, les activités de pleine nature sont révélatrices des inégalités sociales. « Il ne faudrait pas exclure des nouvelles populations de l’accès à la nature », prévient-elle.

Nombre de sites naturels misent ainsi sur l’information — pancartes, animations… Au-delà, « il s’agit de trouver un équilibre », estime Philippe Gamen, président délégué de la fédération des Parcs naturels régionaux. Pour cet élu du massif des Bauges, en Savoie, tout refuser serait contre-productif : « Ces activités permettent aux gens de se sentir bien, de se reconnecter à la nature, et c’est essentiel en ces temps troubles, souligne-t-il. Mais en même temps, on ne peut pas bivouaquer partout, n’importe comment. Plutôt que d’interdire, il faudrait donc mieux accueillir. »

Pour les passionnés, le bivouac, c’est « des nuits dans des hôtels à dix milliard d’étoiles ».
Yann Bervas / Unsplash

Dans le Massif central, où la pression touristique est bien moins importante, les parcs naturels régionaux testent ainsi des « aires d’écobivouac ». Des toilettes sèches, un foyer sécurisé pour faire un feu et quelques plateformes en bois où poser tente ou matelas. « L’idée, c’est de cadrer et d’accompagner la pratique, mais aussi de développer une offre d’hébergements dans des zones où elle reste insuffisante », précisé Benjamin Cau. Trois sites fonctionnent pour le moment, dans le Morvan, le Limousin et les Ardennes.

Feuilles d’arbre et herbe couchée

Parmi les lecteurs et lectrices qui ont répondu à notre appel à témoignages, nombre d’entre vous sont bien conscients du problème et tentent de l’atténuer, à l’instar de Fernand, 74 ans : « La seule trace que je laisse est l’herbe couchée à l’emplacement de la tente, je veille particulièrement à ce point », nous écrit-il.

Quant à Paul, il tente même de se passer de papier toilette : « Certaines feuilles d’arbres bien sélectionnées se prêtent bien pour essuyer notre anus délicat, dit-il. C’est beaucoup plus facile à cacher dans un fourré avec quelques poignées de terre et de feuilles mortes que du papier blanc qui donne des allures de champ de bataille aux coins de nature fréquentés. »

Des attitudes volontaires, corroborées par les recherches de Léna Gruas : « La plupart des gens sont persuadés de ne pas faire de mal, et de faire de leur mieux individuellement. » Une bonne volonté exprimée, mais qui doit encore faire ses preuves face à l’épreuve du nombre.


Bivouac : que dit la réglementation ?

Le bivouac ne possède pas de définition juridique propre, chaque territoire a donc sa propre manière de l’encadrer.

De manière générale, hors réglementation locale spécifique, il est interdit de bivouaquer sur la voie publique, à moins de 500 m d’un monument historique, à moins de 200 m d’un point d’eau destiné à la consommation. Autrement, bivouaquer est autorisé à condition d’avoir l’accord du propriétaire terrien, de s’installer pour une seule nuit de 19 heures le soir à 9 heures le matin, sans abri ou dans une tente ne permettant pas de s’y tenir debout, et ce à proximité des sentiers balisés autorisés. La pratique du bivouac se veut éphémère, sans traces, et respectueuse de l’environnement.

Par ailleurs, il est interdit d’allumer un feu sur un terrain privé, sans l’aval du propriétaire. Pour rappel, une forêt ou une prairie même non clôturée peut appartenir à quelqu’un — c’est même le plus souvent le cas. Si vous faites un feu de camp, pensez à garder à proximité un moyen d’extinction et un moyen d’alerte en cas de perte de contrôle ; ne brûlez pas par vent fort ; débroussaillez une zone de 5 mètres autour du foyer ; ne quittez pas les lieux sans vous être assuré que le feu et les braises sont correctement éteints.



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