• ven. Sep 20th, 2024

La défense du service public, nouvelle stratégie de la gauche unie


Fini de se déchirer. Après deux semaines de négociations et d’incessantes disputes autour du choix d’un Premier ministre, le Nouveau Font populaire semble avoir adopté une nouvelle stratégie plus heureuse : la défense des services publics. En sélectionnant Lucie Castets comme candidate à Matignon — une haute fonctionnaire, par ailleurs cofondatrice du collectif Nos services publics — la gauche unie a finalement choisi un axe (potentiellement) consensuel.

« C’est très malin. Dans un contexte politique où le Nouveau Front populaire n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale, le thème des services publics peut vraiment être fédérateur », estime la politiste Julie Gervais, coautrice avec Willy Pelletier et Claire Lemercier de l’ouvrage La valeur du service public (La Découverte, 2021).

Une fois la « trêve olympique » passée, de la gauche à la droite, des députés aux élus locaux, « qu’ils s’identifient ou non au Nouveau Front populaire, ils peuvent soutenir la politique de défense des services publics, pense Julie Gervais. Le massacre est allé si loin qu’il y a une forme de prise de conscience généralisée qu’il faut à tout prix l’arrêter. »

Dégradation continue

Car la situation est grave. En septembre 2023, le collectif Nos services publics — qui regroupe des agents des services publics, des fonctionnaires et des contractuels — a publié un rapport alarmant sur le sujet, étudiant les écoles et les universités tout comme les hôpitaux, les transports et la justice.

« Bien qu’ils aient été sporadiquement renforcés — le nombre de fonctionnaires a par exemple augmenté dans les vingt dernières années — les moyens des services publics augmentent depuis vingt ans moins rapidement que les besoins sociaux [le nombre de patients à soigner ou d’étudiants à former par exemple]. L’écart entre les premiers et les seconds tend à s’aggraver », peut-on lire dans le rapport. Ce qui conduit au développement d’offres privées, de cliniques médicales ou d’écoles sous contrat par exemple, et donc à des inégalités d’accès aux soins et à l’éducation.

« Réduire les budgets, les effectifs, c’est maltraiter les gens »

Qui est responsable ? La politiste Julie Gervais souligne que la dégradation des services publics est « continue » depuis plusieurs dizaines d’années, avec « des formes d’accélérations plus récentes, notamment du fait de l’accumulation des réformes dites modernisatrices » : la révision générale des politiques publiques voulue par Nicolas Sarkozy en 2007 ; la modernisation de l’action publique par François Hollande en 2012 ; la loi de transformation de la fonction publique par Emmanuel Macron en 2019…

« Il y a une continuité dans ces politiques dites de modernisation qui ont visé et visent encore à réduire les budgets alloués aux services publics, et à réduire leurs effectifs, analyse Julie Gervais. Or réduire les budgets, les effectifs, c’est maltraiter les gens. Les usagers comme les agents. »

En mettant en avant la personnalité de Lucie Castets, le Nouveau Front populaire peut ainsi dénoncer cette situation, et évoquer des aspects concrets de leur programme commun : le recrutement et la revalorisation des salaires des fonctionnaires, la mise à disposition d’un accueil physique des services publics à trente minutes maximum de toute habitation, la création d’un service public de la petite enfance et d’accompagnement des élèves en situation de handicap.

« Ce qui est intéressant, ce n’est pas seulement de défendre les services publics qui existent encore, mais peut-être d’expérimenter des nouveaux services publics pour améliorer les conditions de vie », imagine Julie Gervais — citant par exemple un « grand service public » du rail, de l’alimentation ou de la distribution de l’eau. Des services publics qui ne seraient pas décidés « par en haut », par l’État, mais qui pourraient être inventés localement, directement par les collectivités, en associant les habitants.

Des moyens pour la transition écologique

D’autant plus que l’urgence écologique va rendre urgent le renforcement, voire la création de nouveaux services publics. Lucie Castets affirmait elle-même, dans un entretien accordée au journal Politis en 2023, que la transition écologique allait « nécessiter une intervention de la puissance publique ». « La puissance publique est la seule à pouvoir jouer ce rôle », confirme Wandrille Jumeaux, fondateur du Lierre, le réseau écologiste des professionnels de l’action publique.

L’homme ne cesse de répéter que « les services publics et les agents publics sont le principal levier d’action au service du pouvoir exécutif ». « Il faut des gens pour coordonner la transition écologique, pour accompagner les territoires, aider les collectivités à financer les investissements nécessaires », résume-t-il.

L’augmentation des moyens humains et financiers est donc indispensable pour répondre à l’urgence. Avec un point noir à l’horizon : la France a l’un des déficits publics les plus importants de l’Union européenne, à tel point que cette dernière a lancé contre l’Hexagone une procédure pour déficit public excessif, le 26 juillet. Le pays va devoir prendre des mesures correctrices pour respecter la limite de déficit public de 3 % du produit intérieur brut (PIB), sous peine de sanctions financières.

« Si on recule maintenant, ça va nous coûter plus cher plus tard »

« Si on recule maintenant, ça va nous coûter plus cher plus tard, affirmait toutefois Lucie Castets à nos confrères de Politis en 2023. Donc même si on est dans une perspective totalement budgétaire et financière, c’est une bêtise de ne pas faire ces dépenses maintenant. »

Le rapport de l’économiste Jean Pisani-Ferry et de l’inspectrice générale des finances Selma Mahfouz, rendu public en mai 2023, ne disait d’ailleurs pas autre chose, en incitant l’État à financer l’adaptation écologique par des milliards d’euros d’investissements, et un endettement de l’État. Et pourtant, « [on ne] peut [pas] qualifier [Jean Pisani-Ferry] de dangereux gauchiste », ironisait Lucie Castets auprès de Politis.

Mettre les plus riches à contribution

Depuis l’annonce de sa désignation par le Nouveau Front populaire, Lucie Castets ne cache pas comment elle compte financer cette politique de développement des services publics, si elle accédait au pouvoir. Lors d’un entretien accordé à l’Agence France Presse le 23 juillet, elle annonçait déjà vouloir une « grande réforme fiscale pour que chacun, individus et multinationales, paie sa juste part ». Autrement dit, que les plus riches paient davantage d’impôts. Or c’est là que le bât blesse.

« Sur le principe, la défense des services publics est assez consensuelle, estime Wandrille Jumeaux du Lierre. Par contre, dès qu’on va creuser et aborder le comment, on va bien voir que la question est beaucoup plus compliquée, puisque certains refusent par principe d’augmenter les impôts. » La stratégie du Nouveau Front populaire pourrait donc se heurter rapidement à des obstacles.

Mais en mettant en avant ce thème durant l’été, malgré l’invisibilisation des enjeux politiques due aux Jeux olympiques de Paris — Emmanuel Macron n’ayant pas prévu de nommer un Premier ministre avant la « mi-août » — la gauche unie peut tenter de faire infuser ses idées, et de faire venir à elle les millions de Françaises et Français qui ne réussissent plus à se soigner en zone rurale, ou qui n’ont plus de classes où scolariser leurs enfants près de chez eux.



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