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Ce que dit l’affaire Paul Watson de notre fascination pour les baleines


Avec l’arrestation du capitaine Paul Watson au Groenland le 21 juillet, tous les regards se portent sur les baleines. Le fondateur de Sea Shepherd, en pleine lutte contre les baleiniers japonais, risque la prison à vie.

Avant de devenir l’emblème de notre planète en feu, ces mammifères marins ont un temps été décriés, retrace l’historien Michel Pastoureau, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, spécialiste de l’histoire culturelle des animaux et auteur de La Baleine, une histoire culturelle (Éditions du Seuil, 2023).

Reporterre — La campagne de soutien au capitaine Paul Watson est sans précédent. Pourquoi la défense des baleines mobilise-t-elle autant le grand public ?

Michel Pastoureau — Pendant des siècles, la baleine a été perçue comme un monstre redoutable. Cette image s’est complètement renversée à la fin du XIXe siècle. Il y a eu une prise de conscience collective du fait qu’on avait trop chassé de baleines, et que certaines espèces étaient en voie d’extinction. Aujourd’hui, elles sont perçues comme un animal pacifique, attendrissant, victime de la cupidité des humains.

Le fait que la chasse ne concerne que certains pays facilite également ces mobilisations. Les pays chasseurs de baleines sont ultra-minoritaires, les autres peuvent donc facilement faire bouclier. Un peu comme pour la corrida.

Comment expliquez-vous notre fascination pour les baleines ?

On ne peut pas les voir vivantes, sauf exception. Le pourcentage de la population mondiale ayant déjà vu une baleine (autrement qu’en image) est infime. Elles sont aussi hors normes par leur taille. Ça intrigue, ça attire l’attention. De manière générale, les animaux énormes ou ronds ont tendance à davantage attirer la sympathie que le moustique ou l’araignée de mer. C’est le cas de la baleine, mais aussi de l’ours, de l’éléphant, du cochon et même de l’hippopotame, qui peut pourtant être très dangereux.

Comme vous l’expliquez dans votre livre, nos relations avec les baleines ont mal commencé. Comment étaient-elles représentées dans la mythologie grecque et la Bible ?

Elles étaient assimilées à tous les monstres marins. Ces animaux étaient décrits comme des instruments utilisés par des divinités pour punir les humains qui se conduisaient mal envers les dieux et les déesses — par exemple Poséidon, le dieu grec de la mer, très colérique et capricieux.

Le prophète Jonas avalé par une baleine, par le peintre Jacques Stella.
© Bibliothèque municipale de Lyon/CC0

Dans la Bible, le prophète Jonas est englouti, puis recraché par un poisson énorme semblable à une baleine, dans le ventre de laquelle il reste trois jours. Il en ressort transformé, comme après un séjour dans une caverne.

Au Moyen Âge, on racontait que les baleines se faisaient passer pour une île, afin de piéger les marins sur leur dos et les dévorer…

Derrière cette histoire il y a l’idée de ruse, considérée comme le pire des péchés au Moyen Âge. Faire croire que l’on est une île sans en être une, c’était épouvantable pour nos ancêtres. Un animal monstrueux, colérique, méchant, dévoreur d’hommes, de femmes et d’enfants… Voilà comment était perçue la baleine à cette époque.

Comment cette perception s’est-elle construite ?

Il y avait une méconnaissance physique de la baleine. À l’époque, on ne s’aventurait pas très loin au large des côtes. On connaissait très mal l’animal. Il était rêvé, fantasmé. Au Moyen Âge, on le représentait de manière informe, avec des dents énormes.

Représentation d’une baleine dans un bestiaire du Moyen Âge.
Wikimedia Commons/CC0

À partir du XVIe siècle et de l’essor des grands voyages maritimes, on a commencé à rencontrer davantage de baleines en mer. Les connaissances ont changé peu à peu.

Mais il ne faut pas croire que nos savoirs d’aujourd’hui sont de l’ordre de la vérité. Ils feront ricaner nos successeurs dans quelques siècles. On sera peut-être horrifiés de ce que l’on racontait en 2024 à propos des baleines et des océans.

La représentation des baleines comme un être monstrueux a-t-elle motivé leur chasse ?

Non, pas du tout. On en avait très peur, on ne s’amusait donc pas à les chasser. La chasse avait pour but de s’emparer des produits que fournit la baleine — et il y en avait énormément. L’huile de baleine servait à s’éclairer, à se chauffer ; les fanons, à faire des corsets ; le spermaceti contenu dans leur tête, des bougies et des savons ; l’ambre gris de leur estomac, du parfum… Avec la peau et les tendons, on faisait toutes sortes de petits objets. Tout était récupéré, comme dans le cochon.

Dépeçage d’une baleine au XVIIe siècle.
Gravure de Pierre Pomet/CCBY 2.0

Comment leur chasse s’est-elle structurée ?

Pendant longtemps, il ne s’agissait pas de chasse à proprement parler. On poussait l’animal vers les fjords et les estuaires, et on le forçait à s’échouer, avant de le mettre à mort. Puis on s’est mis à pratiquer une chasse côtière, notamment quand les baleines venaient mettre bas dans les eaux chaudes et proches du rivage, par exemple dans le golfe de Gascogne. C’était le cas à Biarritz, Capbreton, Fontarrabie (Espagne)…

À partir du XVIe siècle, les Anglais et Néerlandais ont commencé à s’aventurer jusqu’aux côtes américaines, notamment dans l’estuaire du Saint-Laurent. C’est au XVIIIe siècle que l’on s’est vraiment aventuré en pleine mer, d’abord dans l’Atlantique Nord, puis dans le Pacifique Sud. On est alors passé à une chasse très intensive, devenue industrielle dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec l’invention de techniques comme le harpon propulsé par un moteur.

La chasse industrielle a-t-elle changé notre perception de cet animal ?

En constatant que l’on avait trop chassé, on a essayé de limiter la chasse. Progressivement, des questions morales sont venues se greffer à celles purement économiques. On a commencé à se demander si l’humain ne se comportait pas mal en mettant à mort d’autres êtres vivants.

C’est aussi à cette époque que la baleine devient un objet littéraire, avec notamment la publication de « Moby Dick », d’Herman Melville, qui raconte la vengeance d’un capitaine de baleinier contre un cachalot blanc qui lui avait arraché la jambe. Paradoxalement, ces récits ont-ils contribué à soulever la question de l’individualité des baleines ?

Il existait d’autres livres avant Moby Dick sur la chasse à la baleine, mais aucun n’a eu le même succès en librairie. Il y a eu des versions pour adolescents, pour enfants, etc. Cela a contribué à donner un nom propre à des gros animaux, et cela a peut-être été le point de départ d’un nouveau regard sur eux.

Aujourd’hui, la mer n’est plus perçue comme un espace dangereux, mais comme un lieu de loisirs et de consommation. Cela a-t-il contribué à transformer notre rapport aux baleines ?

Oui et non. Le regard porté sur la mer est très différent aujourd’hui. Mais à tout prendre, il valait mieux l’époque où l’on avait peur de la mer, où l’on ne s’y aventurait pas et où l’on ne la souillait pas. Aujourd’hui, la mer est une poubelle.

Si l’on prend le cas du tourisme baleinier, on pourrait penser que c’est une bonne chose, puisqu’on ne tue pas les baleines. On croit que l’observer est bien plus pacifique que les chasser. C’est presque tout aussi nocif, on dérègle les relations sociales des baleines entre elles, on perturbe leur comportement. Et en s’approchant pour les voir, on pollue énormément les océans.



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