• ven. Sep 20th, 2024

une découverte cruciale pour la protection des abysses


Sans vie, les abysses ? Voilà une nouvelle preuve que non. À plus de 4 000 mètres sous la surface de l’océan Pacifique, à une profondeur que les rayons du soleil n’atteignent pas, des scientifiques ont découvert de l’oxygène, source de la vie sur Terre. Cet « oxygène noir » proviendrait non pas de plantes marines, mais de galets riches en métaux de la taille d’une patate, les « nodules polymétalliques », sur lesquels louchent les compagnies minières.

Cette découverte, rendue publique le 22 juillet dans la revue Nature Geoscience, pourrait à la fois remettre en question notre compréhension des origines de la vie sur Terre, mais aussi amener les scientifiques à réévaluer les conséquences de l’exploitation des fonds marins.

L’équipe de chercheurs a fait cette trouvaille de manière inattendue, alors qu’elle tentait de mesurer la consommation d’oxygène du plancher océanique dans la zone de fracture géologique de Clarion-Clipperton, au large du Pacifique. Cette immense plaine abyssale suscite l’appétit de plusieurs entreprises, dont la canadienne The Metals Company et la britannique UK Seabed Resources. Elles souhaitent exploiter les nodules polymétalliques qui y gisent afin d’en extraire les métaux (cobalt, nickel, manganèse…) nécessaires aux batteries pour téléphones et voitures électriques.

« Quelque chose de révolutionnaire et d’inédit »

Jusqu’à présent, l’océan profond était uniquement perçu comme un « puits » d’oxygène, vers lequel se serait contenté de couler, à la faveur des courants, le précieux gaz produit à la surface via la photosynthèse. En 2013, les auteurs de cette étude ont emprisonné de petites parties des fonds marins de la zone de Clarion-Clipperton sous des cloches, appelées « chambres benthiques ». Et là, surprise. Le niveau d’oxygène, qui aurait logiquement dû diminuer, augmentait.

En récupérant ces données, l’équipe de scientifiques a d’abord pensé « que les capteurs étaient défectueux », raconte dans un communiqué l’auteur principal de l’étude, écologue et spécialiste des fonds marins Andrew Sweetman. « Toutes les études réalisées dans les grands fonds marins ont montré que l’oxygène était consommé plutôt que produit. Nous rentrions au labo et réétalonnions les capteurs, mais, pendant dix ans, ces étranges relevés d’oxygène ont continué d’apparaître. »

Les chercheurs ont alors décidé de recréer les conditions des fonds abyssaux en laboratoire, sur leur bateau de recherche. Cette nouvelle méthode a donné les mêmes résultats. « À ce moment-là, nous avons su que nous avions identifié quelque chose de révolutionnaire et d’inédit. »

L’une des découvertes les « plus excitantes »

Les causes du phénomène sont encore incertaines. À la surface de certains nodules, les scientifiques ont détecté une tension électrique allant jusqu’à 0,95 volt. Le voltage pourrait être encore plus élevé lorsque ces galets métalliques sont agglutinés. Cela pourrait, selon les scientifiques, générer une séparation de l’eau de mer en hydrogène et en oxygène, au terme d’un processus appelé « électrolyse de l’eau de mer ».

Cette découverte est « l’une [des] plus excitantes de la science océanique récente », considère le biologiste marin et directeur de l’Association écossaise pour les sciences marines (Sams) Nicholas Owens, qui a contribué à ces recherches. La possibilité que l’oxygène puisse être produit sans organisme vivant ni photosynthèse oblige, selon lui, à repenser l’origine de la vie sur Terre.

« La vision conventionnelle est que l’oxygène a été produit pour la première fois il y a environ 3 milliards d’années par des microbes, les cyanobactéries, et qu’il y a eu un développement progressif de formes de vie complexes par la suite, développe-t-il dans un communiqué. La possibilité qu’il y ait eu une autre source d’oxygène nous oblige à reconsidérer radicalement la situation. » Si ce phénomène a cours sur notre planète, pointe par ailleurs Andrew Sweetman, cela pourrait éventuellement être le cas ailleurs dans l’univers.

Des nodules de manganèse trouvés par les scientifiques au fond de la zone de Clarion-Clipperton.
Capture d’écran/YouTube/SamsMarinescience

Cette découverte démontre, à nouveau, l’urgence d’abandonner les projets d’exploitation minière des abysses, selon Marie-Kell de Cannart, biologiste marine et activiste au sein du collectif Look Down et de la Sustainable Ocean Alliance. « Exploiter ces nodules reviendrait à enlever de l’oxygène de l’océan, alors qu’une respiration sur deux nous vient de l’océan », explique-t-elle à Reporterre.

De nombreuses autres études ont déjà mis en avant le péril mortel auquel l’exploitation minière expose les abysses. Ces dernières abritent des milliers d’espèces stupéfiantes et méconnues, comme par exemple les « écureuils gélatineux », des concombres de mer à la chair élastique dotés d’une longue queue jaune.

L’une de ces études, publiée en juillet 2023 dans la revue Current Biology, montre que les créatures marines désertent les zones soumises au passage des machines excavatrices. Selon ses auteurs, les fonctions de certains écosystèmes pourraient être détruites de manière « irréversible ».

Lobbying des entreprises

Marie-Kell de Cannart espère que les nouvelles données sur « l’oxygène noir » seront prises en compte par les 168 États membres de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), réunis jusqu’au 2 août à Kingston, en Jamaïque, pour leurs négociations annuelles. Au cours des prochains jours, ils devront notamment élire leur prochain secrétaire général, et discuter des prémices d’une future politique générale en faveur de la protection et de la préservation du milieu marin.

« Il faut que cette étude soit citée par les négociateurs, et que ses résultats ne soient pas mis en doute par les entreprises qui veulent aller miner les fonds marins », soutient la scientifique, qui dénonce le « lobbying immense » de certaines d’entre elles, notamment de The Metals Company.

Dans un communiqué, la société canadienne — qui a indirectement financé les recherches de l’équipe d’Andrew Sweetman via sa filiale Nori, qui détient des droits d’exploration dans la zone de Clarion-Clipperton et soutient, à ce titre, des expéditions scientifiques — qualifie cette nouvelle étude de « défectueuse ». À l’en croire, la méthodologie utilisée soulèverait « de sérieuses inquiétudes quant à la validité des données et des conclusions ».

« C’est un classique, analyse Marie-Kell de Cannart. À chaque fois [qu’une étude sur l’exploitation des abysses paraît], ils déforment l’information pour faire croire que les scientifiques racontent n’importe quoi. Beaucoup de gens peuvent être piégés. »

Les chercheurs ont recréé les conditions des fonds abyssaux en laboratoire. Ici, deux nodules polymétalliques.
Capture d’écran/YouTube/SamsMarinescience

Le 23 juillet, trois organisations environnementales — Deep Sea Mining Campaign, The Ocean Foundation et Blue Climate Initiative — ont déposé plainte contre The Metals Company, qu’elles accusent, après analyse de son dernier rapport annuel, de « tromper de manière significative les investisseurs, les fonctionnaires et le public par le biais d’omissions, d’informations et de déclarations inexactes ». Elles l’accusent notamment d’avoir surestimé ses qualifications « en tant qu’investisseur écologiquement et socialement responsable ».

Face aux accusations de The Metals Company, Andrew Sweetman et son équipe ont répliqué, et décidé de défendre publiquement leur étude. « Nous soutenons pleinement ses conclusions, qui ont été publiées par une revue universitaire très respectée à l’issue d’un processus rigoureux et long d’évaluation par les pairs », déclare l’auteur principal dans un communiqué.

Sa découverte ne serait par ailleurs pas un cas isolé. « À la suite de la publication de cet article, raconte-t-il, j’ai été contacté par d’autres chercheurs qui avaient obtenu des données similaires, qui donnaient des preuves de production d’oxygène noir, et qu’ils avaient écartées en pensant que leur équipement était défectueux. »



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