• ven. Sep 20th, 2024

La galère des céréaliers bio face à la mauvaise météo


Perreux (Yonne), reportage

L’air est lourd, autant que l’humeur est morose. Pourtant, c’est la saison préférée de Christelle, celle des journées à rallonge quand le soleil descend derrière ses parcelles vallonnées. Au volant de sa moissonneuse-batteuse, dans sa petite cabine climatisée, l’agricultrice de 55 ans contemple son champ d’avoine mûr à point mais pas très vigoureux.

La machine avance doucement au milieu des glumes voltigeant sous le soleil brûlant et se remplit de grains minuscules à l’arrière. Pas assez à son goût : « Je ne m’en sors plus, ce n’est pas possible. » Elle garde le sourire mais le cœur n’y est plus.

Cette année, la récolte est largement en-dessous des espérances. En cause : la météo des derniers mois.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Christelle Garnier est céréalicultrice dans l’Yonne. Elle a hérité de ses aïeux quelque 210 hectares qu’elle travaille exclusivement en bio. Du blé, de l’avoine pour les semences, des féveroles, du tournesol, de l’orge… Mais cette année, c’est la catastrophe. En cause ? Les conditions météorologiques depuis l’automne, des pluies en quantité, répétitives et incessantes. « Cela fait neuf mois qu’il pleut : je ne sais même plus si on a eu une semaine sans pluie depuis octobre 2023 ! » se désole celle qui a le moral au fond des baskets.

Le lendemain de notre passage, la parcelle de blé qu’elle s’apprêtait à moissonner a été dévastée par un violent orage de grêle. Sa fille a filmé le déluge devant la ferme et pris en photo les plants couchés « en quelques minutes ».

Christelle Garnier dans son champ durant la moisson.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

En vingt années d’installation, Christelle assure que c’est la première fois que tout est aussi compliqué. Comme chaque année, elle investit dans des semences pour les parcelles qui accueilleront des céréales, travaillées depuis cinq générations. Elle aurait dû semer 100 hectares en octobre et 70 au printemps.

« Il a plu non-stop depuis octobre »

« Il a plu non-stop depuis octobre, je n’ai pu ensemencer que 38 hectares à l’automne. Il m’est même arrivé de semer du tournesol et de voir les graines pourrir dans 40 cm d’eau quelques jours plus tard. » Conséquences, les cultures sont en retard et en piteux état pour certaines.

L’avoine est très peu dense sur cette partie du champ.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Ce que Christelle vit est commun à des milliers d’agriculteurs partout en France : les céréaliculteurs alertent sur l’annus horibilis qui se profile avec des rendements en baisse de 30 à 40 % selon les cultures. « Cette saison est un désastre, confirme Christophe Vivier, responsable de la production à la Cocebi, une coopérative du nord de l’Yonne regroupant 250 producteurs en bio et dont Christelle est la vice-présidente : « Chez nos membres, une vingtaine d’espèces se récoltent en juillet. Or, là, nous sommes en retard sur toutes les moissons, elles sont loin d’être terminées mafis elles ne sont pas fameuses. »

Pour les plants qui ont eu la chance de sortir de terre, malheureusement, au fil des pluies, la qualité de la céréale se dégrade. « La pluie, c’est de l’eau, et plus de maladies, bien sûr, mais aussi une absence de lumière au moment clef de la croissance de la plante », explique Christophe Vivier. Les rendements, fatalement, baissent. « Ceux qui faisaient peut-être 30 quintaux par hectare sur des terres à cailloux n’en feront que 15 ou 20 pour cette campagne », prévoit-il.

La baisse de productivité a été significative pour de nombreux agriculteurs.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Certains collègues de Christelle, au nord du département, ont même moissonné un blé où, par endroits, « la fleur a avorté », c’est-à-dire qu’il n’y a même pas de grain, « juste de la paille ». Jusqu’au bout de la récolte, la météo de l’été continue d’enquiquiner les agriculteurs. « Avec les orages, les plants et les récoltes se dégradent, ce qui produit plus de travail au silo puisqu’on doit les passer au séchoir pour éviter qu’elles pourrissent », explique le responsable production de la Cocebi.

Des pluies qui empêchent les semis, des pluies qui entravent la croissance de la plante et des pluies qui menacent les récoltes… Cette situation critique n’étonne pas l’agro-climatologue Serge Zaka : « Avec les changements climatiques, le cycle de l’eau s’accentue dans les deux sens : il y a à la fois plus et moins de pluies. Et comme pour les agriculteurs, le mauvais temps, c’est celui qui dure, ils ont été servis depuis l’automne ».

« À un moment donné, il y a une limite physique que le sol et les cultures ne peuvent plus encaisser »

Et cela risque de se répéter au fil des ans… M. Zaka affirme qu’« avec un degré supplémentaire, en général et lissé sur l’année, le phénomène d’évaporation augmente de 9 % et les pluies vont être plus fréquentes et intenses ».

L’année 2023-2024 pousse le réel dans ses retranchements : « Avec six mois de pluie et quatre de sécheresse, qu’on soit en conventionnel ou en bio, à un moment donné, il y a une limite physique que le sol et les cultures ne peuvent plus encaisser. Et il n’y a pas grand-chose à faire… » soupire l’agro-climatologue.

Si certains départements ont déjà vu se débloquer des aides, Christelle et ses collègues attendent encore les leurs.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

En réponse à ce désarroi, le ministre démissionnaire de l’Agriculture, Marc Fesneau, s’est rendu dans différentes exploitations. En Loire-Atlantique, certains ont vu se débloquer des aides automatiquement. Mais pas dans l’Yonne. En avril, le gouvernement a pourtant mis en place un dispositif de soutien de 90 millions d’euros pour les exploitations en agriculture biologique ayant subi des pertes économiques importantes. Ni Christelle, ni ses collègues icaunais n’en ont vu la couleur.

« On va devoir ressortir les tracteurs et être plus agressifs ! En dépit des promesses, personne n’a touché quoi que ce soit », s’énerve Emmanuel Cretté, qui travaille au nord du département et est passé en bio depuis 2012. « Avec mes 250 hectares, je gagne moins bien ma vie que mon grand-père qui avait seulement 50 hectares. » Idem pour Christelle qui enchaîne les emprunts en trésorerie. Les dettes s’accumulent et l’avenir s’assombrit.

Devant sa fille Élise, également agricultrice, Christelle raconte son exploitation, et les emprunts qui s’accumulent.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Tout cela ne fait pas les affaires des partisans de l’agriculture biologique. Car les cours ont chuté depuis un moment et les effets d’aubaine liés au prix n’existent plus. On est autour de 250 euros/tonne pour le blé par exemple — contre 450 euros en 2021, avant la guerre en Ukraine et la chute du marché du bio — tandis que le conventionnel est à peine moins cher.

« Cela provoque un départ des moins convaincus qui s’amusent à toucher les aides à la conversion pendant trois ans sur une partie de leurs terres, avant de repasser en conventionnel derrière et de convertir une autre partie de leur exploitation s’ils le peuvent », tempête Christelle Garnier.

Face à l’accumulation des difficultés, des exploitants bio sont repassés à l’agriculture conventionnelle.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Le responsable technique de la Cocebi ne dit pas autre chose : « Il va y avoir un rééquilibrage des marchés, c’est mathématique, mais c’est bien dommage que cela passe par la réduction de l’offre. » Rien que dans l’Yonne, la coopérative Ynovae a vu 850 hectares cultivés en bio repasser en conventionnel.

Le futur dans la co-culture ?

Alors quelles adaptations pour les années à venir ? Une multitude car l’agriculture est une somme de pratiques, de terroirs, de microclimats, d’hommes et de femmes, de sols… D’une manière générale, « toutes les techniques permettant de faire tampon avec le sol, qu’il y ait excès ou déficit d’eau, sont des techniques à soutenir dans l’avenir », dit Serge Zaka.

L’ajout de couverts végétaux, l’usage de co-cultures — c’est-à-dire deux espèces semées sur la même parcelle, comme les féveroles et l’avoine, pour ne citer qu’elles —, le fait de ne jamais laisser les sols à nu… sont des exemples. Pour les sécheresses, le recours à des variétés adaptées, la replantation de haies, les changements de cultures sur les parcelles en sont d’autres.

L’avoine peut être cultivée avec des féveroles, par un procédé nommé co-culture.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

La co-culture ? Il ne faut plus en parler à Emmanuel Cretté. « J’ai perdu de l’argent avec ça, car on les sème mais on ne les récolte jamais. Féverole, pois, fèves, pois chiche… Ce sont des cultures de riches : si vous n’avez pas besoin d’argent, allez-y. Moi, en dix ans, j’ai dû les récolter une seule fois ! Je reste sur le blé et l’orge que j’arrive à peu près à faire, sauf cette année où c’est la catastrophe. » Christelle, elle, a rentré ses féveroles semées au milieu de son avoine. Et ce ne fut pas si mal.

Vendredi 2 août, l’experte des assurances a fait le tour de ses parcelles et a constaté les dégâts. Il ne reste plus qu’à attendre la fin des moissons, les bons de livraison et les calculs savants pour être indemnisée. L’assurance aléas-climatiques de Christelle lui coûte 25 000 euros par an. Mais cela ne constitue en rien une solution d’adaptation.



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