• sam. Sep 21st, 2024

Les méduses peuvent aussi soigner, se déguster, ou fertiliser les sols


Vous lisez la troisième partie de notre série « Nuisibles des mers : un océan de préjugés ». Pour ne pas rater la suite, abonnez-vous à notre lettre d’info.


Sur les bords de l’étang de Leucate, dans les Pyrénées-Orientales, Clément Larrouy peine à répondre au téléphone : il remplit des glacières de méduses fraîchement pêchées. Objectif : « Les envoyer à un laboratoire qui extrait le collagène de leurs ombrelles pour l’utiliser dans des cosmétiques ou pour réparer les peaux brûlées », décrit-il au bout du fil. Comme lui, le long du littoral méditerranéen, chercheurs et citoyens expérimentent tous azimuts des pistes pour s’accommoder, voire tirer profit, de ces bestioles.

Et pour cause : les pullulations de méduses se multiplient à travers le monde depuis plusieurs décennies. Résistantes au plastique, au manque d’oxygène, et profitant de la surpêche qui élimine leurs prédateurs, ces créatures se plaisent dans nos océans malades.

Un engrais à base de méduses

Si elles brûlent les baigneurs, les pêcheurs, eux, en récupèrent en masse dans leurs filets. L’ingénieur travaille avec des professionnels des lagunes languedociennes. « On cherche avec eux des solutions pour valoriser ces espèces », précise-t-il. L’une des voies, explorée par son bureau d’études en partenariat avec l’Inrae [1] : transformer les Mnemiopsis leidyi — une espèce de plancton très envahissante qui ressemble fortement aux méduses — en biogaz.

De l’autre côté du littoral, en Corse, Anne-Charlotte Carsalade d’Ornano nous répond d’une voix essoufflée. Entre deux oraux du baccalauréat, la professeure de gestion poursuit un projet singulier avec ses lycéens : fabriquer un engrais à partir des Pelagia noctiluca qui abondent sur le sable d’Ajaccio.

Apparues bien avant les dinosaures, les méduses « n’ont ni cœur ni cerveau ».
© Mathieu Génon / Reporterre

À l’origine, un concours, le « Blue Challenge », et un triple défi : créer un projet innovant, rentable et en lien avec l’économie bleue. « Au début, on séchait, puis on est partis de notre quotidien, de notre lien avec la mer, raconte l’infatigable enseignante. Et chez nous, la mer, ce sont les méduses. » Au cours de leurs recherches, les élèves sont tombés sur un chercheur : « Il nous a expliqué que dans l’Antiquité, les Romains mettaient des méduses au pied des vignes pour les hydrater… On s’est dit “bingo” ! »

Beignets iodés à la méduse

Après moult essais et quelques erreurs — « On a tué nos premières plantes en leur mettant des méduses gorgées d’eau salée » —, la classe de première parvient à un produit « éponge » à base de méduse séchée, qui permet de garder l’humidité des sols. Un an plus tard, le projet vivote, les lycéens passant leurs examens. Mais « ça a changé mon regard sur ces animaux, dit Anne-Charlotte Carsalade d’Ornano. J’avais la phobie des méduses, maintenant, je ne vais à la plage que s’il y en a. Elles sont belles, je les observe, je les ramasse. C’est comme si je refaisais partie du tout ».

« Démystifier l’animal », c’est aussi la mission que s’est donnée Manuel Marchioretti. Pour ce faire, ce docteur en biologie niçois a mis les pieds dans le plat : il a cuisiné ces demoiselles glutineuses. Il a ainsi troqué sa blouse blanche pour un tablier, testé plusieurs recettes, et un soir, il a servi d’intrigants beignets à ses voisins. Avec succès. « Ça a une saveur iodée, un peu comme les huîtres, avec un verre de rosé, ça passe très bien », décrit-il.

La méduse, futur plat traditionnel provençal ? « On n’en est pas là », dit le chercheur. Les aliments à base de l’animal marin sont pour le moment interdits de commercialisation chez nous, car si la bestiole est consommée depuis des lustres en Asie, elle n’a jamais fait partie des menus européens.

Pour le scientifique, ces créatures des courants pourraient encore nous étonner : « Elles ont déjà permis de grandes avancées en médecine, notamment pour soigner les réactions allergiques et faciliter des greffes de peau, raconte-t-il. On en apprend sur elles tous les jours : certaines ont des propriétés antifongiques, d’autres sont antibactériennes… On n’est pas au bout de nos surprises ! »


Une carte pour éviter les méduses

Gamin, Jérémy Deverdun aimait être le premier à plonger dans les vagues azuréennes. Combien de fois pourtant le délicieux bain s’est-il transformé en calvaire brûlant ? Devenu adulte et désormais ingénieur de recherche en milieu hospitalier, ce nageur passionné a eu le déclic. En quelques heures de bidouille informatique, il a mis sur pied un outil participatif : une « météo des méduses ».

Sur la carte en ligne, la côte méditerranéenne est parsemée de points orangés et rouges : les zones à éviter pour ne pas se faire piquer. Depuis 2019, son site a répertorié 40 000 signalements, sur le littoral français mais aussi espagnol, portugais, italien… Prochaine étape : mieux anticiper les apparitions.

Une gageure pour les experts. « Les méduses sont portées par les courants marins, qui dépendent notamment des vents, précise Delphine Thibault-Botha depuis le centre d’océanographie de Marseille. Leurs arrivées sont donc très difficiles à prévoir. » Un coup de mistral peut éloigner les bestioles, quand les bourrasques venues du sud les pousseront vers les plages.

Bonne nouvelle : « Les échouages durent généralement un ou deux jours, selon la chercheuse. Il suffit donc d’aller visiter l’arrière-pays pendant cette période avant d’aller retourner se baigner. » Pour les plus sensibles, le port d’une combinaison en lycra permet d’éviter tout risque. Apparues bien avant les dinosaures — « elles n’ont ni cœur ni cerveau », précise la chercheuse —, les méduses utilisent des cellules urticantes terriblement efficaces pour immobiliser leurs proies. Et une fois piqués ? « Du vinaigre ou de l’eau chaude, à 40 °C pendant quarante minutes, insiste notre spécialiste, c’est ce qui permet de tuer les toxines. » Pas d’urine ni de glaçon donc.

legende



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *