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Intellectuels, histoire d’une étiquette, par Lionel Richard (Le Monde diplomatique, août 2024)

ByVeritatis

Août 9, 2024


« Charlatans, parasites et profiteurs de l’esprit »

Longtemps le mot a servi d’adjectif. À la faveur de l’affaire Dreyfus, « intellectuel » devient le nom de ceux dont les actes engagent la réflexion, gardiens de l’idéal républicain contre la presse d’argent, le sabre, le goupillon. La droite alors les moque, leur reproche de trahir les traditions. Jusqu’à ce que ses propres plumes en viennent à revendiquer le titre, et à en dévoyer le sens, éminemment politique.

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Federico Hurtado. — « Nos tienen miedo porque no tenemos miedo » (Ils ont peur de nous parce que nous n’avons pas peur), 2011

© Federico Hurtado – @federicohurtado2017

La peur de l’espionnage relève de la pathologie sociale qui, au cœur des rivalités entre les sphères dirigeantes de la France et de l’Allemagne après la guerre de 1870, imprègne toute la fin du XIXe siècle. Dans la presse européenne abondent les chroniques de procès intentés à des « espions ».

Ladite « affaire Dreyfus » émerge dans cette conjoncture. Une enquête de police aurait établi, expliquent les journaux, que « l’attaché militaire allemand Schwartzkoppen » et le diplomate italien Panizzardi ont gagné « à leur solde » un officier français. À la mi-octobre 1894, les mêmes titres de presse jettent en pâture l’identité du félon au public. Deux mois plus tard, à l’unanimité, un conseil de guerre prononce Alfred Dreyfus coupable. Le voilà condamné pour haute trahison à la déportation en Guyane, à perpétuité.

L’antisémitisme — ou l’antijudaïsme — sature l’expression politique de la bourgeoisie parisienne depuis le milieu des années 1880. Édouard Drumont, qui a publié avec succès le livre La France juive en 1886 et cofondé en 1889 la Ligue nationale antisémitique de France (LNAF), sort le premier numéro de son journal, La Libre Parole, le 20 avril 1892. L’armée française, y lit-on, compte trois cents officiers juifs, et chacun d’eux « trafique sans pudeur des secrets de la défense nationale ». Dans une conférence de 1907, le journaliste alsacien Isaïe Levaillant expose les effets de cette propagande. Si Dreyfus a pu être poursuivi, estime-t-il, « si les charges relevées contre lui ne se sont pas, faute d’avoir été soumises à une analyse tant soit peu sérieuse, évanouies dès la première heure, c’est que les préjugés de religion et de race avaient frappé les promoteurs de son procès d’une véritable cécité intellectuelle ».

La motion que votent à leur congrès de Lyon en novembre 1896 les catholiques rassemblés sous le drapeau de la démocratie chrétienne montre bien l’esprit ambiant. Elle est digne de la réglementation adoptée par l’Allemagne du IIIe Reich et la France de (…)

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