• ven. Sep 20th, 2024

Avançant dans l’orage, par Hubert Artus (Le Monde diplomatique, août 2024)

ByVeritatis

Août 9, 2024


Des romans sont portés par leur histoire, d’autres par leurs personnages ou par leur thème, d’autres enfin par leur langue. Mais il en est, plus rares, qui sont appuyés par tous ces piliers-là. C’est le cas des Irrésolus, le sixième roman de Mario Desiati, mais le premier traduit en français, enraciné dans la région des Pouilles, au sud-est de la « botte ».

En Italie, il a paru sous le titre Spatriati. Dans le dialecte local, ce terme désigne « les instables, les irréguliers, les inclassables, les idiots ou les orphelins, parfois les vieilles filles, les nomades et les vagabonds, ou peut-être encore (…) les êtres libres ». Autrement dit, ceux qui sont en dehors de la norme, de la pensée dominante. Spatriati, le terme s’applique autant aux protagonistes qu’à l’époque et aux lieux — une région d’Italie, le pays et une certaine Europe. Il n’est pas certain que la traduction française du titre soit en cela éclairante.

Le narrateur, Francesco Veleno, est né dans la belle petite ville de Martina Franca, et sa jeunesse dans les années 1980-1990 s’inscrit dans le paysage moral et social de l’Italie rurale du Sud : tradition, conservatisme familial voire religieux, inégalités, chômage. Son horizon s’éclaircit quand il rencontre Claudia Fanelli au lycée. Il est aimanté. La mère de l’un a une liaison avec le père de l’autre. Un événement qui va les rapprocher. Initialement, ils étaient pourtant comme « pluie et foudre, eau et feu », selon les propres mots du garçon. Entre désirs, sentiments, amitié mais aussi stratégie affective, l’ambiguïté sera leur lien, une sorte d’orage, pendant les trois décennies que traverse cette histoire, roman de jeunesse, de génération, de formation. De calmes et de tempêtes. D’attractions et de répulsions : si le garçon se sent appartenir à sa région par ses paysages, ses croyances, ses poètes et ses dialectes, la jeune fille, elle, ne veut que la quitter. Dès qu’elle le peut, elle part : Milan, Berlin. Francesco la rejoindra. C’est alors une autre musique que joue la plume de Desiati, racontant de quelle manière deux ruraux italiens vivent, aiment, étudient et travaillent (ou pas) ; comment ils cherchent leur liberté, dans une Europe dont on ne leur avait jamais trop parlé. Quelle place pour eux ? Ce sont aussi les liens entre une unité (un pays, l’Italie) et un tout (une Union, européenne) que scrute l’écrivain. Dans cette Europe où l’on devient vite des spatriati aux yeux des autres. Et pour savoir qui on est, il faut savoir d’où l’on vient… C’est le dernier sens du roman. Le duo ne cesse de se croiser et se percuter. Comme un couple uni et désuni. Affrontant la transgression. Lié, indéfectiblement, à Berlin comme ailleurs, quelles que soient leurs amours du moment. Avançant vers leur liberté.

Au croisement du roman de formation et du récit sociologique, cette fiction est celle de quêtes universelles. Elle est portée par une langue audacieuse, une voix que l’on découvre en France, et qui en 2022 a fait de ce livre le lauréat du prix Strega, le principal prix littéraire transalpin.



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *