• ven. Sep 20th, 2024

« Qui sont les véritables écoterroristes ? »


Cette tribune a été signée par des militants qui défendent les victimes des armes chimiques, des activistes écologistes et des personnalités du monde politique et syndical. La liste des signataires est ici.


Le 10 août 1961 ont débuté les premiers épandages aériens de produits chimiques par l’armée des États-Unis lors de la guerre du Vietnam. Nommés agents bleu, blanc, pourpre, ou orange, ces défoliants ont été déversés sur la jungle du sud du Vietnam pour détruire le couvert végétal et débusquer les résistant.es vietnamien.nes qui y trouvaient refuge. L’agent orange, qui représentait l’essentiel de cet arsenal arc-en-ciel contenait de la dioxine, responsable de dommages irréversibles tant sur la santé des populations exposées (vietnamiennes, cambodgiennes et laotiennes) que sur leurs écosystèmes.

Tératogène, la dioxine est à l’origine de malformations graves sur les nouveau-nés, entraîne des fausses couches et de nombreuses maladies, telles que des cancers et la leucémie. Lipophile, la molécule se conserve dans les tissus adipeux et se transmet ainsi de génération en génération. Stable et insoluble, elle persiste longuement dans les milieux naturels, près de 50 ans après la fin de la guerre. Ainsi peut-on lire « Zone contaminée par la dioxine » sur des panneaux aux abords des anciennes bases américaines au Vietnam où étaient stockés les barils. Écocidaire, enfin, car l’utilisation massive de ces herbicides (près de 80 millions de litres entre 1961 et 1971) a conduit le biologiste Arthur Galston à théoriser l’écocide.

Un poison silencieux qui perdure

L’Association des victimes de l’agent orange-dioxine du Vietnam (VAVA) compte plus de 3 millions de personnes exposées à la dioxine. Près d’un demi-siècle après la fin de la guerre, cet empoisonnement du vivant continue silencieusement de faire des victimes. Dès lors, comment faire entendre ces voix trop nombreuses et enfin obtenir justice ?

Aujourd’hui, l’espoir d’une reconnaissance et d’une réparation des préjudices subis par la guerre impérialiste repose sur un procès : celui entamé en 2014 par Tran To Nga au tribunal d’Évry contre quatorze firmes ayant produit et vendu l’agent orange, dont Bayer-Monsanto, Dow Chemical et Hercules. Ayant la double nationalité franco-vietnamienne et victime directe des épandages, elle réunit les conditions nécessaires pour intenter un tel procès, là où bon nombre de victimes vietnamiennes ont échoué à passer les portes d’un tribunal. Après un jugement, le 7 mai dernier, de la cour d’appel de Paris, la décision sera rendue le 22 août prochain.

L’enjeu de ce procès historique doit ouvrir la voie à une condamnation des politiques ou industriels responsables d’écocides. On retrouve sur le banc des accusés Bayer-Monsanto, habitué des tribunaux puisque la firme agrochimique cumule actuellement près de 40 000 procès dans le monde. Cette même entreprise est à l’origine du glyphosate, descendant de l’agent orange, une substance cancérigène qui extermine depuis des décennies toute forme de vie sur Terre, humaine et non humaine.

Lire aussi : Contre Monsanto, les pesticides et l’Agent orange, la bataille juridique continue

Mais la résistance face à ce mastodonte s’organise. Parmi les victimes, Théo Grataloup, atteint de malformation du système respiratoire en raison de l’exposition prénatale de sa mère au glyphosate. En 2018, il dépose plainte avec sa famille contre Monsanto et Novajardin pour ces préjudices corporels. La même année, aux États-Unis, le jardinier Dewayne Johnson, en phase terminale d’un cancer du système lymphatique en raison de son exposition prolongée au produit, remporte son procès contre Monsanto et est indemnisé à hauteur de 289 millions de dollars (264 millions d’euros).

Les firmes pétrolières sont aussi visées par des plaintes en raison des dégâts environnementaux et sanitaires qu’elles causent. En février 2024, une procédure judiciaire a été ouverte au parquet de Nanterre à l’initiative d’une soixantaine de victimes yéménites contre l’entreprise française TotalEnergies.

Malformations, cancers…

Pour optimiser ses coûts, elle aurait négligé le traitement des « eaux de production » (eaux de déchets liées à la production de pétrole) dans le gisement de Messila, dans l’est du pays, en s’affranchissant des standards de sécurité et d’environnement, comme le raconte une enquête de Marianne. Au lieu d’être retraitées, elles sont conservées dans des bassines extérieures et s’infiltrent dans les nappes phréatiques qui alimentent en eau toute la région.

Dans cette zone contaminée par des marées noires, des enfants naissent avec de lourdes malformations, le nombre de cancers a explosé, car l’eau polluée contient des métaux lourds, des éléments radioactifs, etc. L’enjeu du procès est d’obtenir des documents de la firme attestant une négligence du traitement des eaux de production pour, dans un second temps, demander réparation des préjudices subis.

Enfin, l’État français est également coupable d’empoisonnement sur ses territoires d’outre-mer. C’est le cas du chlordécone dans les Antilles, un puissant pesticide dont l’usage était interdit dans l’Hexagone. Utilisé entre 1973 et 1992 contre le charançon du bananier, il induit des effets délétères sur la santé (90 % des personnes sont contaminées) et sur des milliers d’hectares de terres empoisonnées. Le procès des victimes de Guadeloupe et de Martinique a abouti à un non-lieu en janvier 2023. La décision de l’appel sera connue le 22 octobre prochain.

David contre Goliath

Que ce soit pour les eaux polluées, le chlordécone ou l’agent orange, ces destructions du vivant s’opèrent dans un contexte colonial, affectant des territoires et des corps non occidentaux. Les procès en cours sont dignes d’un combat à la David contre Goliath, puisqu’ils opposent systématiquement des puissantes multinationales, ou un État dans le cas du chlordécone, face à quelques victimes civiles qui s’organisent en collectif. Le soutien populaire, associatif et politique, notamment apporté à Tran To Nga tout au long de son combat juridique, ainsi que leur médiatisation sont essentiels pour rééquilibrer ce rapport de force.

Combien de tels scandales doivent-ils être révélés et portés devant les tribunaux pour faire émerger toute forme de justice et réparation ? Qui sont les véritables écoterroristes, entre ceux qui tuent le vivant par intérêt lucratif et ceux qui les dénoncent ? En cette journée mémorielle dédiée aux victimes de l’agent orange, le collectif Vietnam Dioxine, association militant pour une écologie décoloniale, continuera à soutenir le combat de celles et ceux qui luttent, dans les tribunaux ou ailleurs, pour une interdiction définitive des pesticides, des armes chimiques, et contre leurs responsables.



Liste complète des signataires :

Micheline Pham, Nadège Abomangoli (députée LFI), Martin Benoît (UD CGT Paris), Annah Bikouloulou (Jeunes écologistes), Benoît Biteau (paysan et député écologiste), Marine Calmet (Wild Legal), Yahan Chuang (Ined), Malcom Ferdinand (Observatoire Terre-Monde), Sylvain Goldstein (CGT), Clémence Guetté (députée LFI), Lilith (Coaadep), Léna Lazare (activiste), Pascal Pascal Lê Phát Tân (CGT), Pierre-Charles Philippe (Lyannaj pou Dépolyé Matinik), Boris Plazzi (CGT), Sandrine Rousseau (députée écologiste), Azelma Sigaux (REV), Jérémie Suissa (Notre Affaire à Tous), Marie Toussaint (députée européenne écologiste), Olivier Besancenot, Christine Poupin, Philippe Poutou, Pauline Salingue (NPA), Amel Chaibi (Vietnam Dioxine), Julie Ferrua, Murielle Guilbert (Union syndicale Solidaires), Cannelle Fourdrinier (Coaadep), Ersilia Soudais (députée LFI), Les Soulèvements de la Terre.

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