• ven. Sep 20th, 2024

« Je pense tout le temps à notre empreinte carbone »


Gojira, groupe de death metal originaire du sud-ouest de la France, a été propulsé sur le devant de la scène lors de sa participation à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, le 26 juillet dernier. Les quatre Landais, 25 ans d’existence au compteur, ont toujours fait de l’écologie leur cheval de bataille. Ils sont notamment fortement engagés, aujourd’hui, aux côtés du militant Paul Watson ou en faveur des peuples autochtones d’Amazonie. Racines de leur combat idéologique, difficultés à concilier vie d’artiste et sobriété… Reporterre s’est entretenu avec Joe Duplantier, chanteur et guitariste du groupe.

Reporterre — Qu’est-ce qui a changé pour Gojira depuis le 26 juillet, date de la cérémonie d’ouverture des JO ?

Joe Duplantier — C’était une expérience inespérée en tant que groupe de metal. Nous avons beaucoup plus d’écoutes sur les plateformes depuis, ainsi qu’un gros buzz autour du groupe. J’ai récemment fait quelques selfies à La Poste avec des gens qui n’avaient rien de metalleux (rires) ! Mais nous gardons les pieds sur terre, et le cap sur le huitième album, en cours d’écriture.

Comment avez-vous concilié vos convictions pour l’écologie avec cet évènement, naturellement générateur d’une énorme empreinte carbone ?

Nous sommes des êtres humains, en contradiction constante. Gojira part en tournée, prend des avions, des bus à air climatisé, embauche des équipes internationales… Je n’ai jamais calculé notre empreinte carbone, mais notre impact, j’y pense tout le temps. La vraie question reste : quel est notre but ? Faire de la musique, la véhiculer, partager des émotions avec le public. Nous faisons partie du système, ce serait hypocrite de dire le contraire.

Pour l’invitation aux JO, nous n’avions pas d’entre-deux : c’était répondre oui ou non. Est-ce égoïste d’avoir dit oui ? Tout cela est très complexe, nous sommes parfois torturés dans nos propres choix. C’était une chance qui n’arrive qu’une fois dans une vie, et nous l’avons saisie. Nous espérons que l’impact qui en ressortira sera positif. Nous ne pouvons pas plaire à tout le monde, nous écoutons et analysons les critiques… En tant que musiciens, notre mission est de jouer devant le plus de personnes possible. Si nous arrêtons de tourner, nous perdons notre raison d’être !

Le groupe Gojira en 2020.
© Jimmy Fontaine

Espérez-vous faire de cette exposition soudaine une tribune pour vos idées ?

Je ne souhaite pas légitimer notre choix de jouer aux JO par nos engagements écolos et sembler, par là, me justifier. Gojira va continuer de se battre pour ses idées, comme nous l’avons toujours fait. Je ne vais pas commencer à m’exprimer sur le conflit israélo-palestinien, par exemple, car je ne m’en sens pas légitime. En revanche, je sais parler de la forêt amazonienne. Je connais le sujet et, quand les choses le permettent, j’agis. J’agis depuis que je suis ado, quand je ramassais les déchets sur la plage près de chez moi, avec mon kayak, et laissais un message au maire sur ma récolte…

Les racines de votre engagement pour l’écologie viennent-elles de là ? Celles qui font aujourd’hui l’identité de Gojira ?

Je pense que c’est un mélange de sensibilité et de l’éducation que j’ai reçue avec mon frère (Mario, batteur de Gojira) et ma sœur. Petits, nous allions marcher sur la plage et revenions les pieds pleins de goudron. Quand on a commencé à jouer, ce goudron, j’ai eu besoin de le gueuler. Puis, c’est devenu naturel d’en parler. Tous les membres du groupe sont très sensibles au lien avec la nature, cela fait partie de notre ADN.

« Je constate que la communauté metal est assez sensible et ouverte »

Quelles sont les actions dont vous êtes le plus fier ?

La première qui me vient en tête date de 2010 et de ma rencontre avec Paul Watson. Nous avions alors fait du bruit pour Sea Shepherd, dont le combat me touche énormément. Gojira, avec Meshuggah (un autre groupe de metal), a sorti en 2011 le single « Of Blood And Salt », qui évoque le massacre des globicéphales aux îles Féroé. Un seul morceau qui a suffi à engendrer beaucoup d’interviews, qui ont elles-mêmes touché beaucoup de monde. Après cela, Sea Shepherd et Greenpeace nous ont rejoints pendant plusieurs années sur nos tournées.

En 2021, nous avons sorti le morceau « Amazonia » : nous avons alors collecté de l’argent pour l’ONG Articulation des peuples autochtones du Brésil (Apib), créée par des indigènes. Grâce à la somme recueillie, ils ont pu acheter du terrain et des cabanes. C’était étonnant pour eux car en principe, l’État leur reconnaît le droit inaliénable de vivre sur leurs terres. Mais le gouvernement de Bolsonaro les chassait… J’ai manifesté devant le Parlement brésilien et j’ai organisé des performances. De son côté, Gojira a relayé l’information.

Le metal est un style de musique généralement engagé en faveur de la protection animale et environnementale. Sauriez-vous l’expliquer ?

Je n’ai pas vraiment d’explication, mais je constate que la communauté metal est assez sensible. Les gens, ouverts, expriment leur violence par la musique. Pour moi, les concerts de Gojira permettent de recycler énergie et frustration : les pogos sont parfois violents, mais seuls ceux qui le souhaitent y participent. Les gens se libèrent comme ça. Il existe également une dimension spirituelle très forte dans le metal, qui évoque des peurs et des tabous comme la mort, omniprésente dans les textes et l’esthétique. Et ça aussi, je pense que c’est une bonne catharsis.

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Vous évoquiez Paul Watson, auprès de qui vous êtes fortement mobilisé depuis son arrestation. Vous participerez d’ailleurs, le 12 août prochain, à une manifestation pacifique devant le Parlement danois, à Copenhague, pour exiger sa libération. Comment vivez-vous cette situation ?

Je n’ai pas de plan précis (rires) ! J’ai demandé un entretien à la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, ainsi qu’au ministère de la Justice, et suis en contact avec Jonas, du groupe danois Mew, qui me guide dans mes démarches. Je souhaite faire ça sans grabuge, je vais me balader avec mon mégaphone devant le Parlement, et je verrai bien !

J’espère attirer la communauté metal — même si c’est pour faire un selfie, au moins, il y aura du monde. Lors de la cérémonie des JO, j’ai essayé d’écrire « Free Paul Watson » derrière moi (rires) ! Mais nous avons évidemment été passés au peigne fin avant de jouer, et je n’ai pas eu envie de saboter l’événement, par respect. Mais le timing fait qu’avec les JO, je me sens plus écouté.

« Mes enfants ont une conscience écologique bien plus forte que la mienne à leur âge »

Paul Watson est un ami, une personne incroyable qui s’interpose entre les baleines et leurs tueurs. C’est une forme de désobéissance civile, mais aussi et surtout du bon sens et de la compassion. Il n’y a pas de police sur les eaux internationales. Paul a endossé ce rôle en s’interposant et faisant parfois couler des bateaux, mais sans jamais blesser personne. Il s’agit d’une situation avant tout politique, car les baleiniers sont des truands du point de vue du droit international ! Ils contournent les lois quand Paul tente de sauver les baleines, qui participent à un écosystème très fragile. En sauvant les baleines, il sauve les hommes ! Penser qu’il pourrait finir sa vie en prison est inacceptable.

Nous devons absolument faire pression et j’aimerais demander à tous vos lecteurs d’envoyer un message sur Instagram à la Première ministre danoise et à l’ambassade. Ce serait merveilleux car, ensemble, nous pouvons avoir un véritable impact !

Quand vous voyez ce que l’être humain fait de la planète, avez-vous encore de l’espoir ?

Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! Il existe une théorie selon laquelle si 20 % de la population s’engage pour le changement, alors le reste suivra. Pendant longtemps, l’esclavagisme a été la norme. Jusqu’à ce que certains se posent des questions. Je fais le parallèle avec le mouvement végane, qui grossit et incarne une profonde capacité à la compassion. Les animaux ont des droits, et de plus en plus de personnes l’entendent. Bientôt, nous pouvons espérer qu’il ne sera plus normal de les massacrer.

C’est dur d’être optimiste, mais j’essaie de garder espoir, notamment avec les générations qui arrivent. Mes enfants de 10 et 12 ans ont une conscience écologique vive, bien plus forte que la mienne à leur âge. Oui, il y a des régressions, oui, il y a des écrans partout, mais il y a de l’espoir ! J’invite les gens à garder cet espoir, à se donner de l’amour afin d’en donner aux autres. La prochaine révolution sera individuelle, avec plus de compassion, et plus d’amour.

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