De Ciudad Juárez à Vilnius, de manifestations en colloques, un combat international
En quelques années, le mot « féminicide » s’est frayé une place dans les articles de presse et les discours des responsables politiques français. Avant de s’imposer dans le vocabulaire courant, il a effectué un long voyage militant des deux côtés de l’Atlantique. Retrouver ses origines et ses escales permet de raconter l’histoire d’un succès politique comme le risque de son édulcoration.
«Quiproquo de la passion » (Rock & Folk, octobre 2003). « Ils s’aimaient à la folie » (Paris Match, 31 juillet 2003). Se replonger, deux décennies plus tard, dans les articles consacrés au meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat donne la mesure des évolutions du traitement médiatique des violences masculines faites aux femmes. Décédée d’un œdème cérébral le 1er août 2003, la comédienne avait été battue à mort par le musicien, son compagnon depuis un an environ. La plupart des journalistes avaient ignoré l’historique des violences perpétrées par le criminel. En revanche, la vie amoureuse de la défunte avait été passée au crible, comme autant de preuves à charge. Une génération plus tard, à l’été 2023, cette affaire a fait l’objet d’une importante commémoration, jusqu’à prendre la forme d’un mea culpa médiatique. « À l’époque, les termes de “jalousie” et de “crimes passionnels” sont évoqués, comme pour justifier le drame », reconnaît-on au journal télévisé de France 2, le 31 juillet 2023. Et dans Ouest-France (1er août 2023) : « Un féminicide qui ne disait encore pas son nom. »
Avant de s’imposer dans l’espace médiatique, le mot a fait un long voyage, et quelques détours, dans le temps et l’espace. L’historienne Lydie Bodiou et son collègue Frédéric Chauvaud en ont retrouvé une première trace dans la langue française au XVIIe siècle, au cœur de la pièce Les Trois Dorotées, ou Le Jodelet souffleté, du dramaturge Paul Scarron. « Là vos yeux travaillant à faire femmicide », réplique un personnage pour décrire l’attitude d’un homme prêt à brutaliser son épouse. « Pour que les spectateurs comprennent, le mot devait être en usage », estiment ces chercheurs de l’université de Poitiers.
Au tournant du XXe siècle, il surgit sous la plume d’Hubertine Auclert. Cette pionnière de la lutte pour le droit de vote des femmes s’est déjà réapproprié le mot « féministe », qui a longtemps été une insulte misogyne, appréciée par Alexandre Dumas fils.
Ce qui se sait moins c’est (…)
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Laurène Daycard
Journaliste, auteure de Nos absentes. À l’origine des féminicides, Points, Paris, 2024.