À New York, au nord de Brooklyn, se cache une sorte de détroit de Béring. Une jetée longue de plusieurs kilomètres relie les quartiers de Coney Island et de Brighton Beach, mais c’est tout un monde qui les oppose. D’un côté, un parc d’attraction centenaire, le Luna Park, son lot d’échoppes et son immense plage, où se prélasse un condensé d’Amérique parlant anglais ou espagnol. De l’autre, un quartier à majorité russophone avec ses restaurants et cafés « Tatiana », les conversations feutrées de sa population presque exclusivement blanche et ses enseignes en cyrillique. Mis à part les panneaux et les feux de circulations typiquement américains, rien n’indique que l’on se trouve à New York. Les rares bâtiments en hauteur sont des « projects », des habitations à loyers modérés, monochromes et vétustes, aux balcons desquels flottent de nombreux drapeaux ukrainiens.
« La plupart des immigrés de Brighton Beach sont venus d’Odessa. Ils ont fui les pogroms russes à l’époque du tsar Nicolas II, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe », explique Mme Pat Singer, une Américaine d’origine ukrainienne à la tête de la Brighton Neighborhood Association. Elle précise : « Si la majorité étaient des Juifs d’Ukraine, il y avait aussi de nombreux Russes, des Moscovites notamment, qui se sont exilés avant la seconde guerre mondiale. » La voix de la sexagénaire se fait plus grave à l’évocation de sa propre famille : « Je n’ai moi-même plus aucun parent en Ukraine, ma famille a été massacrée par Hitler. Seul mon grand- père m’a transmis les souvenirs de sa terre natale. » Ce déracinement est le lot commun de nombreuses familles du quartier qui viennent souvent frapper à la porte de l’association dirigée par Mme Pat Singer. Créée en 1977, elle a permis à certaines d’en apprendre davantage sur leurs aïeux grâce aux archives collectées.
À « Little Odessa » — le surnom de cet arrondissement peuplé d’environ 35 000 personnes —, les habitants, qu’ils soient d’origine (…)
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